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 "La justice, tu chercheras ardemment" [Deutéronome]

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Henri de Champagne

Henri de Champagne

PREUX CHEVALIER
L'honneur en armure, La bravoure en bouclier, La gloire en étendard

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Date d'inscription : 10/12/2012
Localisation : Entre mes terres de Champagne, celles de mon frère à Blois, la cour de Louis VII et Châteauroux

Feuille de route
Mon coeur est: tout dévoué à ma famille et à mon honneur
Je suis né à: Vitry (Champagne)
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MessageSujet: "La justice, tu chercheras ardemment" [Deutéronome]   "La justice, tu chercheras ardemment" [Deutéronome] EmptyMer 19 Déc - 21:20

Henri de Champagne  a  dit:
Le comte de Champagne était arrivé la veille dans la ville de Blois et l'effervescence qui s'était emparée des lieux était en partie due à la présence du frère aîné du seigneur des lieux qu'il fallait contenter même si son caractère était réputé pour être agréable et chaleureux. C'était au moment où ce pâle soleil d'avril 1151 était parvenu à son zénith que les servantes, les premières, qui étaient allées battre le linge du château comtal dans la rivière avait vu arriver une longue colonne de cavaliers poussiéreux menés par des hommes d'Henri de Blois qui avaient fière allure sur leurs destriers, qui dardaient un regard fier sur les alentours et que l'on disait vaillants et courageux car ces chevaliers qui avaient la confiance du comte, c'était ceux qui l'avaient accompagné durant la croisade jusqu'en Terre Sainte. Ils avaient avec eux de nombreuses mules chargées de ballots que l'on devinait remplis de nourriture pour le voyage mais aussi de présents pour leur hôte, le jeune Thibaud de Blois qui avait à peine vingt et un ans. L'un des meneurs était descendu de son palefroi pour donner une piécette à un garçon qui avait accompagné sa mère au lavoir afin qu'il aille prévenir de l'arrivée du seigneur. Le petit avait couru à toutes jambes mais les gardes sur le chemin ronde avaient déjà distingué le nuage de poussière qui s'élevait au fur et à mesure des pas des chevaux et l'éclat métallique des harnachements. Henri de Champagne était attendu par son frère et Blois était une ville rayonnante, ouverte, le pont-levis était déjà baissé. Les lavandières avaient interrompu leur travail le temps que la petite troupe passe et avaient cherché à distinguer le comte mais aucun signe particulier, aucune richesse n'avait pu leur désigner le fils aîné de celui qui les avait dirigés pendant si longtemps et qui s'était à présent retiré dans son abbaye de Lagny. Pourtant Henri était bien au centre de sa mesnie et il était aisé de le reconnaître car il était le seul qui souriait franchement en voyant approcher les murs de Blois au fur et à mesure où ils avançaient. Il n'avait pas revu son frère Thibaud depuis des semaines, peut-être des mois et même s'ils avaient pris l'habitude des longues séparations depuis son départ pour Jérusalem, ce n'était pas pour cela qu'il était moins impatient de le revoir. Sans jeter un regard aux servantes, il s'était contenté de faire accélérer l'allure.

D'ailleurs, les retrouvailles entre les deux frères avaient été chaleureuses bien qu'un peu plus empruntées que dans leur jeunesse. Pour une fois, ce n'était pas deux simples compagnons d'armes, deux hommes liés par le même sang qui se saluaient mais deux comtes aux titres importants que venaient de leur abandonner leur père. Henri avait donné à Thibaud l'accolade qui soulignait l'égalité de leur rang et s'était promis d'être plus naturel une fois qu'ils seraient seuls tous les deux. Mais il avait du attendre un certain temps pour cela car une fête avait été organisée à Blois en son honneur et Thibaud avait déployé un véritable faste pour un banquet qui s'était terminé tard dans la nuit. Après seulement plusieurs heures de sommeil, habitué au repos troublé du chevalier, Henri s'était levé, avait fait ses ablutions avant de se vêtir et de sortir de la chambre qu'on lui avait attribué le temps de son séjour dans le logis du châtelain qui ne vivait pas dans le donjon mais au pied dans cette immense demeure qui avait vu grandir les enfants de Thibaud IV et Mathilde de Carinthie. C'était dans ses couloirs qu'Henri de Champagne se promenait alors, se prenant à se remémorer avec une certaine nostalgie des souvenirs de sa jeunesse qui n'avait certes jamais été totalement insouciante mais qui s'en était rapproché. C'était ces murs-là qui avaient vu courir toute la petite fratrie, avaient assisté à leurs premiers pas, à leurs premières disputes ou à leurs premiers chagrins. C'était une raison pour laquelle Henri aimait revenir à Blois même si la ville était désormais située au cœur des possessions de son frère. En quelque sorte, il considérait toujours ces lieux comme sa demeure. Ses châteaux de Vitry ou Provins, le palais qu'il comptait se faire construire à Troyes n'avaient pas ce charme d'avoir une histoire. Les pierres n'étaient pas anciennes et n'avaient encore rien vécu. Mais après tout, c'était pour cela qu'il avait, très tôt, été investi de la succession de Champagne. Tout y restait à construire et il aimait les défis, les territoires vierges où il pourrait apposer son empreinte. Cela ne l'empêchait pas d'avoir une affection toute particulière pour Blois.

Ses pas le portèrent tout naturellement vers la grande salle du logis, là où on s'activait pour préparer les assises où allait siéger Thibaud pour rendre la justice dans ses domaines. Henri savait que c'était là qu'il allait trouver son frère. Cette pièce, c'était leur point de rendez-vous quand ils étaient enfants avec leurs frères et sœurs. Parfois leur mère, enceinte, les rejoignait mais elle gardait un air absent et ne paraissait pas écouter leurs chamailleries ou leurs jeux. Et en effet, penché à une fenêtre qui donnait sur la cour principale de la forteresse, Thibaud faisait dos à son frère qui le rejoignit en quelques pas pour poser lui aussi ses coudes sur l'encadrement et observer l'extérieur :
- Je savais que tu serais là, s'exclama-t-il avec bonne humeur et un large sourire, tout en tapotant l'épaule de son cadet et poursuivit non sans humour : songes-tu déjà à t'enfuir avant d'avoir entendu les revendications de tes hommes ?
Il connaissait assez Thibaud pour savoir que ce n'était absolument pas le cas mais il aimait parfois le taquiner comme s'ils n'étaient restés que deux enfants. Il détourna son regard du visage de son frère, entouré de mèches noires qui ressemblaient si peu à sa propre chevelure pour fixer les hauts murs qui dissimulaient à peine les forêts giboyeuses des alentours, dont le vert était accentué par la luminosité diffusée par un ciel sans nuage.
- En tout cas, quand ce sera terminé, je te réclame une partie de chasse. Nous verrons combien de cerfs blésois réussiront à échapper à nos coups conjugués !
Après avoir laissé échapper un rire, Henri se retourna pour faire face à la haute salle aux multiples voûtes peintes de couleurs vives. Combien de fois avaient-ils pu voir leur père siéger entre ses murs ? Il était impressionnant, le vieux Thibaud IV, dans son grand manteau azur, lorsqu'il écoutait les doléances et prononçait ses sentences d'une voix ferme et qui n'admettait pas de réplique. Henri qui avait été proche de lui, bien plus que ses autres frères car son père l'avait emmené avec lui dans tous ces moments de l'existence d'un seigneur, n'avait jamais ignoré que toute cette « mascarade » comme l'appelait Thibaud ne lui plaisait guère. Le comte de Blois-Champagne avait été un homme d'action qui n'avait que faire d'écouter les plaintes que ses vassaux lui apporter. Mais il accomplissait son devoir car il avait bien conscience que c'était là un moyen d'affirmer son autorité. Si ses fils étaient taillés du même bois, aucun des deux ne considérait réellement cela comme une corvée. Et ils étaient impatients de faire leurs preuves. Après avoir fixé quelques instants les va-et-vient des serviteurs qui ne prêtaient aucune attention aux seigneurs, Henri jeta un coup d’œil à Thibaud en se disant que même s'il en doutait peut-être, son frère serait plus qu'à la hauteur de leur querelleur de père. S'il était sans nul doute moins effrayant, il était plus juste et d'une certaine manière plus charismatique. Le comte de Champagne avait en tout cas toujours voué une véritable confiance en son cadet et s'il était là cette journée-là, ce ne serait qu'en tant que simple conseiller. Il avait certes une autorité assez naturelle sur le reste de la fratrie mais il avait toujours tenté de ne pas être étouffant. Et il n'était à Blois qu'en tant qu'invité.
- As-tu eu des contestations dans ton comté lors de ta prise effective du pouvoir ? Ce n'a pas été mon cas, on avait déjà l'habitude de me voir en Champagne mais je ne sais si tu le sais, Étienne m'a demandé de lui envoyer quelques hommes à Sancerre. Une abbaye d'obédience clunisienne s'était emparé de ses droits de péage sur plusieurs des voies qui menaient à son donjon, il voulait les récupérer. Je ne me fais pas de souci, il saura reprendre ce qui lui revient.
Henri leva un sourcil pour indiquer qu'il n'en pensait pas moins. Étienne n'était en effet pas du genre à s'en laisser compter et s'il n'avait reçu que des miettes de l'héritage, il avait bien l'intention de les faire fructifier. Sans doute la forte tête de la famille mais il restait entre eux une solidarité que rien ne pouvait effacer.
- Je suis allé rendre visite à Guillaume à Provins, il m'a tout l'air de se plaire dans les ordres. Pour le moment, en tant que chanoine, il n'a que peu d'obligations, contrairement à Hugues qui mène une vie bien austère à Cîteaux sous la conduite du père Bernard, je le soupçonne même de vouloir venir à la cour du roi lors de la visite du fils Plantagenêt...
Voyant que la salle était désormais prête à accueillir les assises, Henri se détacha du mur et s'étira un instant avec de poursuivre d'un ton plus badin :
- Tu es au courant qu'il se dit que les Angevins vont venir à Paris ? Les festivités seront, paraît-il, grandioses. J'ai hâte de voir notre cousin pour moi-même, il se dit tellement de chose sur lui ! D'ailleurs, j'aimerais que ce soit toi qui conduises nos chevaliers sous le même étendard des Blois-Champagne. Ils doivent continuer à combattre ensemble et non les uns contre les autres.
Le jeune homme avait une manière toute personnelle de faire ses demandes à son frère qui relevait à la fois de l'ordre qui n'attendait nul refus et de la supplique. Il savait de toute façon que Thibaud n'était pas de ceux qui se dérobent devant un tel honneur et devant l'occasion de briller devant les yeux du souverain et du reste de la cour. Henri avait déjà fait ses preuves, c'était au tour de son frère de se mettre en avant surtout en tant que comte de Blois, il devait montrer sa toute nouvelle puissance. Et cela lui permettrait peut-être d'attirer le regard de quelques dames de la cour et d'une tout particulièrement même s'il s'y refusait encore. Henri ne désespérait pas de le convaincre une fois qu'il aurait fait la connaissance de la jeune femme en question.
De manière détachée mais retrouvant tout son sérieux malgré son sourire en coin qui ne le quittait que rarement, il se dirigea vers le bout de la pièce où on avait installé des sièges. Déjà les grands vassaux de son frère rentraient pour siéger dans la cour et saluèrent les deux frères de Blois. Certains d'entre eux portaient déjà de longues barbes blanches et des rides barraient leur front dégarni... Auraient-ils du mal à accepter la toute jeune autorité qui s'imposait à eux ? Cela n'inquiétait pas Henri outre mesure mais il ne put s'empêcher de faire la réflexion que tout ne serait peut-être pas aussi facile que prévu. Tout cela ferait figure de test. Et bien, Thibaud ne lâcherait rien et Henri le soutiendrait en cela. Le comte de Champagne adressa un sourire aux participants et s'assit aux côtés de son frère tout en continuant à lui parler à voix basse de matière sans grande importance, permettant uniquement de dénouer la tension de l'instant :
- Marie sera en Bourgogne pour l'ouverture des festivités, elle ne pourra pas être présente à Paris mais je pensais amener Isabelle qui veillera sur ses sœurs, Mathilde, Agnès et peut-être même la petite Adèle même si elle n'a que onze ans. Je me disais qu'il serait bon que notre famille fasse bonne figure. J'ai reçu des propositions pour la main de Mathilde dernièrement. Le comte du Perche, je me suis dit qu'il faudrait étudier la demande soigneusement, ce n'est pas inintéressant.
A peine Thibaud eut-il le temps de répondre que les portes s'ouvraient en grand. Les assises pouvaient commencer !
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Thibaud de Blois

Thibaud de Blois

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Feuille de route
Mon coeur est: libre pour l'instant! Mais n'est pas contre un peu de tendresse!
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MessageSujet: Re: "La justice, tu chercheras ardemment" [Deutéronome]   "La justice, tu chercheras ardemment" [Deutéronome] EmptyMar 1 Jan - 18:12

Thibaud de Blois  a  dit:
Depuis qu’il avait reçu ce message annonçant la venue du comte de Champagne sur ses terres, le jeune comte de Blois était ou euphorique de retrouver son frère qu’il n’avait plus vu depuis des semaines ou bien totalement angoissé à l’idée de lui faire une mauvaise impression. Ils s’étaient rarement vus depuis que leur père leur avait abandonné ses titres. Thibaud avait pris ses fonctions tout naturellement, comme s’il avait été comte toute sa vie et ses conseillers ne manquaient pas de le lui faire savoir mais Henri serait-il du même avis ? Thibaud considérait son frère comme le parfait modèle à suivre et avait même parfois du mal à croire qu’il puisse commettre des erreurs comme n’importe quel homme. Il savait que, comme chacune de ses émotions en fait, cette admiration sans bornes allait un peu trop loin mais il ne pouvait s’en défendre. Aussi quand on annonça la venue de son grand frère, il décida de préparer un banquet fastueux en son honneur.

- Que tout le monde en cuisine mette la main à la pâte : je veux des cerfs et des sangliers cuits à la broche, des pâtés de lièvre, de faisan à profusion. Que l’on aille chercher quelques cygnes sur l’étang et que l’on en fasse des tourtes richement décorées. Et qu’on n’hésite pas à user de ces merveilleuses épices que le comte de Champagne nous a ramené des croisades ! Cueillez tous les fruits que vous pourrez trouver. Et que le meilleur vin coule à flots ! Je veux que mon frère sache que Blois est une bonne table et que la maisonnée tient son rang, proclama-t-il à Aliaume le Long, son chambellan.

Sans tenir compte du haussement des épaules de celui-ci, Thibaud avait ensuite donné des ordres pour que la meilleure chambre du château soit lavée de fond en comble et avait commandé plusieurs troupes ambulantes pour amuser les convives durant le banquet : jongleurs et trouvères se succèderaient donc toute la nuit, il n’y aurait pas une minute pour s’ennuyer. Après tous ces préparatifs, il vécut dans l’impatience. Aussi eut-il beaucoup de mal à se contenir lorsque l’on annonça l’arrivée d’Henri de Champagne. Pourtant, il parvint à garder son calme et les deux frères eurent les retrouvailles chaleureuses mais distantes de deux grands seigneurs. Thibaud voulait tout faire pour montrer qu’il était un comte capable, qu’il maitrisait déjà son domaine et que son frère pouvait avoir toute confiance en lui. Henri avait beau la lui manifester où Thibaud y croyait dur comme fer et était euphorique à cette idée, où il était persuadé que l’amour fraternel l’empêchait de lui dire la vérité. Encore une fois, le jeune comte ne connaissait pas la demi-mesure. Néanmoins, le banquet fut parfaitement à la hauteur des attentes de Thibaud et Henri parut satisfait de sa nuit, tout comme chacun des convives. Les plus en forme d’entre eux rentrèrent dans leurs pénates accompagnés par des ribaudes, preuve que la soirée les avait comblés !

Mais Thibaud dormit difficilement cette nuit-là – enfin le peu de nuit qu’il restait – car tout resterait à prouver le lendemain. D’un côté, il était fier que son père et son frère aient décidé de lui confier Blois, le plus beau fief de la famille, en héritage mais d’un autre côté, il avait parfois l’impression que ce choix trahissait un certain manque de confiance : il avait hérité de l’endroit où ils avaient tous grandit et même si la famille avait souvent bougé de place en place, Blois signifiait clairement un retour aux sources. Pensaient-ils qu’il ne pourrait pas faire fructifier un fief en partant de rien ? Il avait beau se dire que ces vilaines pensées étaient ridicules, dès qu’il se sentait angoissé (et ce mot n’était jamais précédé de « légèrement » pour lui), elles revenaient l’habiter. Thibaud savait donc que le lendemain apporterait la solution à ses démons : il devrait rendre la justice. Son frère était évidemment convié dans la salle et Thibaud pourrait lui montrer qu’il remplissait parfaitement sa charge.

Le lendemain, après avoir fait ses ablutions et s’être richement vêtu, il se dirigea vers la Grande Salle du château où il commanda une collation en attendant que les assises commencent. Il attrapa une pomme sauvage et se rendit à la fenêtre, nostalgique. Cette pièce avait été l’endroit où il avait été le plus heureux : la fratrie Blois-Champagne, livrée à elle-même depuis la mort de leur grand-mère, s’y réunissait très souvent. Un homme vint le rejoindre tandis qu’il songeait à tous ces moments de plénitude, et l’apostropha d’une voix familière :

- Je savais que tu serais là, songes-tu déjà à t'enfuir avant d'avoir entendu les revendications de tes hommes ?

Henri bien sûr. Thibaud avait beau savoir qu’il plaisantait, il n’aimait pas entendre ce genre de réflexion sortir de sa bouche, cela ravivait ses angoisses. Mais comme il n’en avait jamais discuté à Henri, celui-ci continuait ses plaisanteries. Thibaud réagit donc comme d’habitude et tut le fait qu’il ne voulait plus entendre ce genre de choses.

- Non mon frère, si je n’ai pas reculé hier pour te suivre lorsqu’il s’agissait de tordre le cou à tous les pichets de bon vin, ce n’est pas quelques vassaux ou gens qui vont m’effrayer !

Thibaud ne put s’empêcher d’observer son frère une fois encore et de constater une fois de plus à quel point ils étaient différents. Ils sortaient pourtant du même ventre mais seul leur regard pénétrant témoignait de leur lien de parenté !

- En tout cas, quand ce sera terminé, je te réclame une partie de chasse. Nous verrons combien de cerfs blésois réussiront à échapper à nos coups conjugués !
- Pour qui me prends-tu ? Je te connais mon frère, j’avais déjà ordonné la partie de chasse sachant que c’est ce que tu voudrais faire ! Mais ce ne sera pas facile : nous sachant dans les bois prochainement, les cerfs se cachent et nous redoutent,
ajouta-t-il avec humour !

Henri laissa échapper un rire ce qui acheva de tranquilliser Thibaud. Parfait, il serait sûr de lui au moment de faire face à ses responsabilités de châtelain.

- As-tu eu des contestations dans ton comté lors de ta prise effective du pouvoir ? demanda Henri. Ce n'a pas été mon cas, on avait déjà l'habitude de me voir en Champagne mais je ne sais si tu le sais, Étienne m'a demandé de lui envoyer quelques hommes à Sancerre. Une abbaye d'obédience clunisienne s'était emparée de ses droits de péage sur plusieurs des voies qui menaient à son donjon, il voulait les récupérer.
- Je n’ignorai pas les problèmes d’Etienne, il m’a écrit également disant qu’il allait faire appel à toi afin d’envoyer des hommes pour rétablir l’ordre.
- Je ne me fais pas de souci, il saura reprendre ce qui lui revient.
- Tu connais Etienne, à l’heure où nous parlons, la chose est probablement déjà réglée, dit-il en éclatant de rire. Et ne t’inquiète pas pour moi non plus, les choses ont été sans l’ombre d’un problème mais il est vrai que les conseillers de notre père me connaissaient déjà également !


En réalité, pour la première fois de sa vie, Thibaud bénissait le fait de paraître dix ans plus âgé qu’il ne l’était en réalité : les conseillers et vassaux qui ne le connaissaient pas ne s’étaient donc pas formaliser par sa jeunesse et lui avait laissé faire ses preuves avant d’apprendre la vérité sur son âge. Quant à ceux qui le connaissaient et redoutaient sa tendance à tout prendre de façon excessive, sa plus belle victoire avait été d’effacer en un seul Conseil leur air sceptique et avoir gagné leur respect. Après cela, Thibaud avait pris de l’assurance et s’était conforté dans sa charge de comte de l’une des plus belles villes du royaume.

- Et nos autres frères, as-tu des nouvelles ?
- Je suis allé rendre visite à Guillaume à Provins, il m'a tout l'air de se plaire dans les ordres. Pour le moment, en tant que chanoine, il n'a que peu d'obligations, contrairement à Hugues qui mène une vie bien austère à Cîteaux sous la conduite du père Bernard, je le soupçonne même de vouloir venir à la cour du roi lors de la visite du fils Plantagenêt...
- Cela ne m’étonnerait pas d’Hugues, il a toujours aimé la vie de Cour. Lui qui voulait se discipliner un peu, je crois qu’il n’en demandait pas tant au père Bernard !
- Tu es au courant qu'il se dit que les Angevins vont venir à Paris ?
- Je l’ai entendu dire, oui !
- Les festivités seront, paraît-il, grandioses. J'ai hâte de voir notre cousin pour moi-même, il se dit tellement de chose sur lui ! D'ailleurs, j'aimerais que ce soit toi qui conduises nos chevaliers sous le même étendard des Blois-Champagne. Ils doivent continuer à combattre ensemble et non les uns contre les autres.


Thibaud faillit céder sous le coup de l’émotion. C’était un grand honneur que lui faisait Henri et une preuve de plus de la grande confiance qu’il lui manifestait !

- Comme si tu pensais que je pouvais refuser une chose pareille ! Grand merci mon frère, rajouta-t-il avec un peu plus d’émotion, je tâcherai d’en être digne !

Une émotion qui manquait singulièrement de l’image qu’il se faisait de la virilité faillit prendre possession de lui. Heureusement, avec les années, il avait appris à se maitriser mais il aurait aimé que son frère change rapidement de sujet. Comme pour répondre à ses prières, Henri enchaîna :

- Marie sera en Bourgogne pour l'ouverture des festivités, elle ne pourra pas être présente à Paris mais je pensais amener Isabelle qui veillera sur ses sœurs, Mathilde, Agnès et peut-être même la petite Adèle même si elle n'a que onze ans. Je me disais qu'il serait bon que notre famille fasse bonne figure. J'ai reçu des propositions pour la main de Mathilde dernièrement. Le comte du Perche, je me suis dit qu'il faudrait étudier la demande soigneusement, ce n'est pas inintéressant.
- Ce bon Rotrou du Perche a des problèmes avec l’Angleterre, réfléchit-il, et il s’est fait humilié plusieurs fois. Il a donc besoin d’une alliance avec une maison comme la nôtre pour redorer son blason. Puisqu’il a besoin de nous, nous pourrons peut-être en obtenir quelques avantages ! Et puis, on le dit galant avec les femmes, au moins traitera-t-il notre sœur comme il se doit !
- Les assises peuvent commencer messire,
annonça Aliaume le Long.

Thibaud le congédia d’un signe de tête et pris place au centre de la salle, Henri à ses côtés, dominant toute l’assemblée tandis qu’Aliaume rassemblait tout le monde et annonçait le début des hostilités. Son chambellan était d’une insolence rare mais c’était une véritable perle aussi Thibaud était-il parfois d’une indulgence coupable avec lui.

Les assises débutèrent par deux vassaux qui se disputaient la propriété d’une ferme. Celle-ci, plutôt riche et prospère, avait la particularité d’être localisée à la fois sur les terres des deux seigneurs. Thibaud annonça que son intendant se rendrait sur place afin de délimiter le terrain comme il convient et que celui qui avait les terres les plus vastes devrait céder la ferme à l’autre. En cas de litige sur la taille des terres, la ferme reviendrait au comte lui-même donc à eux de se mettre d’accord. Les deux hommes partirent en grommelant mais sans songer à revoir le jugement. Ensuite, un honnête mire arriva pour annoncer que sa femme l’avait trompé au vu et au su de tout le voisinage avec un tonnelier. En voyant le visage de la femme, Thibaud comprit tout de suite que non seulement elle était belle à damner un saint mais qu’elle l’avait l’air de celle qui encourage ce genre de damnation. Réprimant l’envie d’y répondre qui montait en lui, il ordonna que le tonnelier verse une grosse somme d’argent ainsi que plusieurs poulets en dédommagement au mire et que la femme de celui-ci ait une matrone pour lui servir de chaperon pendant au moins un an. Si elle se conduisait honorablement durant cette période, l’affaire serait close. Dans le cas contraire, il sévirait pour de bon cette fois. Thibaud dut encore répondre à quelques affaires d’adultère où il chercha à répartir au mieux les sentences. Il sentait le regard d’Henri peser sur lui et se sentit fier malgré lui : il parvenait à contrôler ses émotions afin d’être le plus équitable possible. C’est alors qu’arrivèrent deux hommes. Il les connaissait, il s’agissait de deux vignerons : Gervais et Mathieu, riches propriétaires terriens et qui avaient la réputation de se disputer pour mieux se réconcilier autour d’une choppe. Que pouvaient-ils encore avoir inventé ?

- Nous venons pour une affaire qui nous touche particulièrement messire le comte, commença le vieux Gervais. Eh bien voilà, comme vous le savez sûrement, ma femme n’a pu avoir qu’un seul enfant et Dieu voulut que ce soit une fille, Tiennette. Comme je ne voulais pas que mon affaire disparaisse à ma mort, j’ai voulu la marier au fils du Mathieu, pour qu’ils puissent faire des petits-enfants qui dirigeraient les deux affaires.
- C’est un excellent raisonnement,
répondit patiemment Thibaud qui se demandait où voulait en venir le vigneron.
- Sauf que ma fille, elle ne veut pas l’épouser, elle dit qu’elle aime un sergent de la forêt et qu’elle ne désire épouser que lui !
- Quant à mon corniaud de Roland,
reprit le Mathieu, il ne veut pas l’épouser non plus, il dit qu’il ne l’aime pas et veut une dame dont il sera épris, ajouta-t-il en levant les yeux au ciel.
- Messire, pouvez-vous les obliger à se marier ?

Thibaud savait qu’il n’avait pas droit à l’erreur sur cette question, Henri le regardait. Il lui avait déjà fait part de son envie de le voir épouser la veuve de l’un de ses amis de croisade. Or si Thibaud n’était pas très enthousiaste à cette idée, il avait appris qu’il en était de même pour la dame. Ils avaient avancé certes d’autres arguments que les deux enfants de vignerons mais la situation était exactement la même. S’il les obligeait à se marier, ce serait comme dire à Henri qu’il finirait par accepter le mariage avec la dame de Châteauroux.

- Dites-moi, Gervais, votre frère a bien une fille il me semble !
- Oui, sa petite Adelise,
qui est sa fierté, dit Gervais non sans une certaine pointe de jalousie étant donné que sa Tiennette était loin de remporter tous les suffrages à l’instar de sa cousine.
- Et tout le monde, votre Roland y compris, consent à dire qu’elle est belle comme le jour si mes renseignements sont bons !
- Oui messire,
confirma Mathieu.
- Eh bien Gervais, proposez donc à vos enfants cette alternative : l’union du fils de Mathieu non pas avec votre fille mais avec votre nièce ainsi que la promesse d’hériter de votre affaire s’il l’épouse. Comme ça, votre vigne restera dans la famille quoiqu’il arrive et votre fille pourra épouser son sergent. Après tout, c’est plutôt une bonne situation ! Je comprends que votre fils, Mathieu, rêve d’un mariage d’amour mais il faut à tout prix y allier un peu de raison. Néanmoins, il a désormais le choix entre deux épouses, je pense qu’aucun de vous n’y perdra pour le coup ! Si jamais il se montre trop rebelle, amenez-le-moi et je lui ferai entendre raison ! J’ai dit !
- Merci messire le comte,
répondirent les vignerons en se retirant.

Thibaud fut un peu plus distrait pendant le reste de la séance car il savait qu’Henri aurait sûrement un avis sur la question et qu’il ne manquerait pas de le lui faire entendre !
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Henri de Champagne

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MessageSujet: Re: "La justice, tu chercheras ardemment" [Deutéronome]   "La justice, tu chercheras ardemment" [Deutéronome] EmptyJeu 28 Fév - 18:43

Henri de Champagne  a  dit:
Si Henri était présent à Blois ce jour-là, cela n'avait rien à voir avec un manque de confiance en son frère ou une volonté de garder l’œil sur lui, ce n'était même pas dans le but de partager un banquet aussi délicieux et chaleureux que celui que le comte de Blois avait organisé en son honneur et en celui de ses hommes qui avaient passé des semaines sur les routes poussiéreuses mais désormais sûres de Troyes jusqu'à Blois. Non, au contraire il savait bien que Thibaud ne trahirait jamais la confiance placée en lui par son frère aîné et son père, quand ce dernier lui avait accordé la ville qui les avait vu grandir, du moins en partie, la ville qui avait été le berceau de leur famille issue de l'union d'un petit-fils de l'empereur Charles le Chauve et d'une fille du principal concurrent des Capétiens, origines dont les fils de Blois ne se vantaient pas mais qui se lisaient dans la noblesse avec laquelle ils dégainaient leurs épées, brandissaient leurs étendards, dans le sang qui coulait dans leurs veines. Aujourd'hui encore, Blois était un centre rayonnant du royaume de France où marchands et trouvères continuaient de se presser, où la cour brillait de milles feux à travers l'Europe entière pour concurrencer le palais de la Cité de Paris ou les splendeurs héritées de Charlemagne de l'empereur germanique. Mais même quand il se trouvait là, au centre de la salle du conseil du château de Blois, sous ces arcades de pierre blanche où il avait vu son père, Thibaud IV, trôner en son temps et diriger ses fiefs d'une main de fer, Henri ne regrettait pas le choix qu'il avait fait au moment où il avait parlé du partage avec son père. C'était un sujet qu'il avait peu abordé avec le comte tant celui-ci ne paraissait pas à avoir pensé qu'un jour sa condition de mortel finirait par le rattraper, c'était un sujet dont on ne parlait pas avec la comtesse. Mais au fur et à mesure où Thibaud IV déclinait, où il s'amaigrissait de plus en plus, où son énergie faiblissait, un consensus s'était installé entre lui et son aîné qu'il avait élevé comme son héritier, celui qui serait digne de lui. Un partage serait nécessaire pour satisfaire tous les fils de la fratrie, il n'était pas question de réitérer les erreurs des siècles passés et dont les Anjou s'étaient fait les spécialistes quitte à en déchirer la famille. Henri ne voulait pas de Blois et de Chartres, les villes au passé prestigieux. L'enjeu était désormais ailleurs, loin de ces terres pourtant fort bien placées entre le domaine royal et les terres d'Henri Plantagenêt. Non l'avenir se trouvait dans cette immense Champagne, au cœur des routes commerciales, là où tout restait encore à faire. Le jeune comte avait déjà commencé de nouvelles constructions sur lesquelles travaillaient des dizaines d'architectes et d'ouvriers et rien ne l'intéressait davantage que ce défi qu'il s'était fixé à lui-même. Certains avaient posé des questions en voyant cet étrange partage qui paraissait désavantager l'aîné mais Henri avait fait taire tout le monde par son éternel sourire mi-bienveillant mi-amusé parfois moqueur qui couvrait ses lèvres.

Aucune forme d'envie, de déception ou de méfiance n'occupait l'esprit d'Henri lorsqu'il s'assit aux côtés de son frère pour assister aux Assises du comté. Il lui avait laissé la place d'honneur, évidemment, lui ne faisait ici que figure de conseiller au même titre que les principaux vassaux de Blois dont la plupart était assez âgés pour avoir connu l'intransigeance de leur père et qui arboraient une mine qu'Henri trouva parfois un peu circonspecte. Heureusement pour Thibaud, son aspect physique le servait au contraire d'un Étienne qui avait à peine l'air d'avoir passé l'adolescence mais qui savait s'imposer par d'autres moyens, Henri n'en avait guère de doute. Et si quelques regards convergeaient vers le comte de Champagne, ce fut Thibaud qui prit la parole pour expliquer la façon dont il avait l'intention que les Assises se déroulent et qui fit entrer les premiers demandeurs tandis qu'Henri gardait un silence respectueux. Non ce n'était pas là volonté de le surveiller dans ses états, il avait beau avoir grandi un peu à l'écart à cause de la volonté de leurs parents, d'avoir passé plusieurs années loin du royaume, il portait une grande affection à son cadet, peut-être même plus qu'au reste de sa fratrie, à l'exception de Marie et Isabelle, parce qu'ils avaient partagé des jeux ensemble et se comprenaient. S'il avait conservé des hommes fidèles, des amis, à Blois qui le tenaient au courant ce qui se passait, comme il avait son réseau d'informateurs plus ou moins officieux selon les circonstances à Paris, Aix-la-Chapelle, Londres et même, de manière plus modeste, Châteauroux, ce n'était que parce qu'il avait conscience que la connaissance favorisait le pouvoir et non par unique volonté de contrôle. Ce jour-là, il n'était présent que pour apporter son soutien si celui-ci apparaissait nécessaire et que pour montrer aux yeux du monde l'unité que continuait à préserver l'immense territoire des Blois. Si les chevaliers n'avaient pas les mêmes seigneurs, si certains obéissaient à Henri, Thibaud ou Étienne, tous combattaient sous le même étendard bleu et blanc. Si certains de ces vassaux, qui n'étaient pas tous dévoués comme cet Aliaume le Long qu'on ne supportait que parce qu'il était compétent, vassaux dont Henri connaissait l'arrogance et avait tendance à se méfier même s'il ne le montrait pas, s'attendaient à des disputes familiales qui leur permettraient de jouer leurs propres cartes, ils en seraient pour leurs frais.

Loin de ces considérations politiques élevées, la première affaire concernait la propriété d'une ferme. Les querelles de frontière dans un monde où les limites étaient floues et ne pouvaient se lire sur le territoire étaient fréquentes, combien de guerres avaient été déclenchées pour la possession d'un malheureux donjon et de ses terres agricoles ? Thibaud le Tricheur en son temps s'en était fait la spécialité et il avait été le premier à étendre son domaine en dehors de Tours, car à cette époque la ville leur appartenait, et à voir la Loire. Pendant tout le temps où son frère rendait la justice après avoir pris le temps de la réflexion et en s'efforçant de trouver des compromis pour contenter tout le monde, Henri s'était adossé contre son siège et observait, toujours son mince sourire aux lèvres, les personnes qui entouraient le comte de Blois. Qui parlait, qui échangeait des regards avec qui, qui ne semblait pas d'accord. Voyant que son avis n'était pas nécessaire car Thibaud se débrouillait parfaitement tout seul, le comte de Champagne demeurait silencieux même s'il ne peut s'empêcher de lancer une boutade au terme de la querelle, d'une voix assez basse pour que seul Thibaud puisse l'entendre :
- Quel dommage, tu ferais une bonne affaire avec cette ferme !
Il connaissait assez son petit frère pour savoir que cette première grande séance d'Assises devait lui mettre une certaine pression et il espérait parvenir à le détendre de cette manière mais comme à son habitude, le jeune homme ne réagit pas. Henri ne s'en formalisa pas et après échangé quelques mots avec son autre voisin, un vieil ami de leur père qui lui semblait connaître depuis toujours, il rétablit son attention sur l'affaire suivante et ne put s'empêcher de sourire intérieurement en voyant les hommes d’Église auxquels leurs honneurs ecclésiastiques élevés donnaient le droit de siéger là se signer devant les diverses histoires d'adultère qu'on leur présentait mais auxquels ils s'intéressaient fort malgré leurs mines dégoûtées. Une fois encore, Thibaud prit des décisions qui pouvaient contenter les deux parties avec un grand sens du consensus. Contrairement à leur père, il semblait réellement impliqué dans ces histoires qui ne le concernaient que lointainement et Henri admira sa capacité à s'investir au maximum dans ce qu'il faisait. D'une certaine manière, le comte de Champagne eut honte de penser qu'il aurait pu en être autrement. Thibaud IV n'avait jamais eu une haute opinion de ses fils cadets mais lui savait juger avec plus d'objectivité et de raison, c'était du moins ce qu'il pensait. Son frère ferait un excellent comte de Blois et serait aussi bon chef que dévoué serviteur pour ses sujets. L'important était qu'il arrive à se contrôler lui-même et rien ne lui résisterait alors.

L'affaire qui suivit intéressa beaucoup plus Henri qui décolla son dos de son fauteuil pour croiser les mains sous son menton et mieux écouter le discours des deux hommes qui se présentèrent comme vignerons. Le sujet abordé par ce vieux Gervais était tout à fait le sujet dont les deux frères évitaient de parler ces derniers temps, celui du mariage. Avec une mine amusée non feinte, le comte de Champagne prit connaissance des revendications tout en surveillant son frère du coin de l’œil. Comment Thibaud allait-il régler cette histoire qui concernaient deux jeunes gens qui ne voulaient pas se marier ? Des vassaux s'agitaient déjà dans les rangs tandis qu'un vieil abbé paraissait avoir la larme à l’œil devant ces amours contrariées. Mais Henri, pour une fois, n'avait que faire de l'avis du conseil et de ceux qui oseraient éventuellement désavouer leur comte. C'était Thibaud qu'il attendait sur la question, lui qui semblait si réticent à épouser Sybille de Châteauroux et même à la rencontrer. Celui-ci prit son temps pour répondre mais à ce qu'il lui semblait être une habitude, il n'affirma pas clairement son autorité ce qui déçut Henri mais celui-ci s'y attendait, au contraire, il rechercha de nouveau un compromis qui puisse permettre aux deux jeunes de ne pas se marier contre leur volonté. Le comte de Champagne fronça légèrement les sourcils mais ne se départit pas de son apparente bonne humeur et au moment où Aliaume le Long déclara un moment de pause, il lança en direction de son voisin mais dans le but d'être entendu de tous :
- Voilà une affaire promptement réglée, grâce à nous des jeunes gens ont pu se marier selon leur affection et Blois aura le plus puissant producteur de vin du royaume grâce à tous ces territoires, il faudra l'imposer à la table du roi !
- Commencez par les tables de Champagne, s'écria un vassal avec enthousiasme.
Il y eut quelques rires puis les conversations allèrent bon train entre les vassaux à qui l'on servait quelques verres pour se rafraîchir après cette longue séance d'assises. Si quelques uns se demandèrent pourquoi le nouveau comte ne leur demandait pas plus leur avis, Henri les ignora et se tourna vers son frère qui paraissait encore crispé et légèrement sombre. Il se doutait bien que son frère avait un avis sur ce qui venait de se passer et ne tarderait pas à lui faire savoir. De fait, le comte de Champagne avait bien l'intention de ne pas laisser pas cela. En l’état, il venait de perdre une bataille dans la guerre qui l'opposait à son frère concernant le mariage qu'il cherchait à lui faire accepter et il ne pouvait pas l'accepter. Avisant un verre, il le tendit à Thibaud et lui dit avec légèreté :
- Je suis ravi de voir que tu t'en sors à la perfection, personne n'est ressorti insatisfait de cette salle et là est à mon sens la bonne justice. La bonne justice est celle qui réconcilie.
Et c'était déjà le cas au temps des sages qui vivaient dans leurs cités de marbre à ce qu'il pouvait en lire dans ses vieux manuscrits. Il poursuivit d'une voix légèrement plus sèche et la mine plus grave, allusion à peine voilée à ce qu'il pensait de la question du mariage que Thibaud s'acharnait à refuser :
- Hélas, avec ce que nous venons de voir, j'ai bien peur que certaines valeurs en viennent à se perdre comme l'obéissance à ses aînés. Où va notre monde si les enfants se mettent à discuter les décisions des parents alors qu'ils savent, eux, ce qui est bon pour eux ? Le mariage n'est pas affaire d'amour ou d'affection car un homme ne doit pas laisser guider ses actions par ses passions, un homme n'est homme que parce qu'il est réfléchi et sait voir où est l'intérêt de sa famille ou de son honneur. L'amour peut trembler, les passions s'éteindre aussi rapidement que le vent souffle la bougie mais quand tout cela a disparu, il ne te reste que l'honneur. Tout ce qu'on peut espérer dans le mariage, c'est trouver un soutien et une amie. Et ce n'est pas en refusant obstinément les propositions que cela pourra se faire.

Le comte de Champagne pour avoir pu observer de nombreux couples au cours de son existence savait bien que le mariage ne pouvait reposer sur des chimères. Il aurait voulu apporter d'autres réponses à son frère mais il vit bien que cette insistance qui ressemblait fort à une réprimande troublait Thibaud et de toute façon, Aliaume venait à nouveau de s'avancer pour annoncer la reprise de la séance. Et sa mine grave quand il fit introduire l'affaire suivante indiquait assez que l'on avait quitté les affaires d'adultère. De fait, deux jeunes chevaliers s'avancèrent au centre de la salle du concert et furent reconnus par de nombreux membres de l'assemblée qui poussèrent quelques hoquets. Le premier d'entre eux, un brun aux cheveux ébouriffés mais au regard dur et féroce s'avança le premier devant Thibaud et déclara d'une voix forte :
- Monseigneur, je viens réclamer justice ! J'accuse messire Hugues d'avoir porté la main sur mon jeune frère lequel est mort de ses blessures qui avait été faites par l'épée alors que nous n'avons pas le droit de lever l'épée contre des hommes désarmés. Je viens donc demander à ce qu'il soit puni en conséquence.
- Qu'avez-vous à répondre, messire Hugues ? Demanda Aliaume d'un ton qu'Henri trouva obséquieux.
Le second jeune homme aussi brun que le premier mais aux yeux francs et clairs fixa lui aussi son comte et seigneur pour affirmer :
- Je déclare être innocent, messeigneurs, je n'ai jamais frappé le frère de sire Godefroi qui n'a nul témoin pour vérifier ses dires.
Un petit brouhaha parcourut la salle, faisant apparaître que cette dernière parole était exacte et que l'accusation du premier ne reposait que sur son intime conviction, laquelle semblait inébranlable pour une histoire de haine qui aurait lié les deux familles depuis longtemps. Alors que les deux jeunes chevaliers se jaugeait du regard, les membres du conseil se demandaient comment agir. L'un d'eux, un vieil homme de l'âge du père des deux comtes, proposa d'un ton puissant tout en fixant Henri :
- Nous n'avons qu'une solution : laissons-les se départager dans une ordalie, Dieu jugera.
Il n'était un secret pour personne que le comte de Champagne détestait les ordalies et qu'il venait de les interdire dans son propre conseil car il pensait que les résultats de ses épreuves étaient plus dues au hasard qu'à une intervention divine et que la violence n'avait rien à faire dans une décision de justice. Attaqué aussi directement, il ne put que répliquer envers le vieil homme :
- Est-là la justice humaine que de s'en remettre aux armes pour déterminer qui est le vainqueur et qui est le vaincu ? Dieu ne nous a-t-Il pas appris à condamner le sang et la vengeance ? Croyez-vous que verser le sang de l'un de ces deux jeunes gens est juste alors que leurs bras ne devraient que frapper pour défendre leur seigneur et non se porter l'un contre l'autre ?
Le vieux vassal rougit violemment et commença :
- Je vous ai connu tout petits et...
- Mon frère est votre comte désormais, la justice qu'il rend aujourd'hui est la justice appuyée sur la Bible, la main qui tient son épée est une main guidée par Dieu !
Un autre chevalier qui siégeait aux côtés du premier se tourna directement vers Thibaud, s'attirant la désapprobation de l'évêque Gosselin de Chartres, connu pour son amour de la paix civile et des problèmes réglés à l'amiable :
- L'ordalie est la solution la plus raisonnable, monseigneur, surtout en l'absence de preuve. Les chevaliers ont toujours départagé leurs différents de cette manière, c'est l'un de leurs droits les plus précieux. Vouloir nous l'ôter, c'est nous déchoir !
Le comte de Champagne réprima un soupir devant tant de mauvaise foi et se tourna vers son frère aux lèvres duquel tout le monde était pendu. C'était désormais à lui de trancher et de désavouer l'un des deux parties, ses vassaux ou son frère.
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Thibaud de Blois

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MessageSujet: Re: "La justice, tu chercheras ardemment" [Deutéronome]   "La justice, tu chercheras ardemment" [Deutéronome] EmptyMar 26 Mar - 0:53

Thibaud de Blois  a  dit:
Thibaud était enfin détendu et plutôt content de la façon dont il avait départagé cette histoire de mariage. Bien sûr, dans les affaires de mariage, il n’était pas courant de faire primer le cœur sur la raison et lorsque les parents imposaient une union aux enfants, ceux-ci devaient s’y soustraire. Mais en entendant la doléance des enfants de Gervais et Mathieu, il s’était sentit plein d’empathie pour ces deux jeunes gens et avaient voulu leur rendre hommage. Il espérait aussi avoir convaincu Henri qu’il pourrait toujours trouver une solution afin de donner le change si jamais, par bonheur, il se lassait de proposer cet hymen aux deux jeunes gens récalcitrants. Thibaud ne rêvait pas d’amour mais il avait décidément un très mauvais pressentiment concernant ce mariage et tenait à tout prix à l’éviter.

- Voilà une affaire promptement réglée, grâce à nous des jeunes gens ont pu se marier selon leur affection et Blois aura le plus puissant producteur de vin du royaume grâce à tous ces territoires, il faudra l'imposer à la table du roi !

Thibaud se remit à respirer en entendant cette plaisanterie qui venait d’Henri. Pendant un temps, il avait eu peur qu’Henri ne prenne la mouche concernant sa décision. Après tout, le message était plutôt clair et pendant un instant, il avait eu le souffle court à l’idée d’avoir vexer son frère. Mais l’entendre se gausser gentiment de la situation des vignerons le rassura quelque peu jusqu’à ce qu’il entende des voix dans son dos :

- Que croit-il ? Il a peut-être l’air d’un homme fait mais il est tout jeunot et sort à peine de l’œuf. Pense-t-il réellement pouvoir se passer de nos conseils ?
- Il est vrai que la jeunesse pense pouvoir se passer de l’expérience.


Le jeune comte devait reconnaître qu’il n’avait que peu demander l’avis de ses vassaux. C’était parfaitement voulu : si en conseil, il était normal de consulter ceux qui le formaient car ils étaient peu et cela se faisait dans l’ordre et le calme. Mais ici, tous voulaient montrer au voisin qu’il raisonnait mieux que lui et, le bon vin aidant, cela pourrait facilement dégénérer. Thibaud avait donc décidé qu’il ne leur demanderait que peu de conseils, affirmant ainsi son autorité tout en garantissant l’ordre. Aliaume était parfaitement d’accord avec cela et malgré son arrogance, l’intendant avait toujours été de bon conseil. Seulement Thibaud n’aimait pas que l’on désapprouve son comportement. Il n’était pas idiot et savait qu’il ne pouvait contenter tout le monde, à son grand dam. Il aurait aimé que tout le monde trouve son comportement sage, ou alors simplement ignorer leur déplaisir. Et si Henri les avait entendu et – situation parfaitement intolérable – qu’il leur donnait raison ? Le comte de Blois se renfrogna passant comme à l’accoutumée de la satisfaction complète à la contrariété la plus totale lorsqu’il sentit que l’on s’approchait de lui. Il tourna la tête et vit Henri lui tendre un verre. Thibaud l’accepta en le remerciant du regard et espéra que son frère était fier de lui et n’avait rien entendu des critiques de leurs vassaux.

- Je suis ravi de voir que tu t'en sors à la perfection, personne n'est ressorti insatisfait de cette salle et là est à mon sens la bonne justice. La bonne justice est celle qui réconcilie.
- C’est bien mon avis aussi : je désire que la paix règne à l’intérieur de nos terres. La guerre est bonne pour nos ennemis.


La contrariété du jeune comte se mua en une fierté totale, sa peau blanche en rosit presque de plaisir. Rien ne pouvait lui apporter plus de bonheur que de savoir que son frère aîné était heureux de sa façon de gérer ses terres.

- Hélas, avec ce que nous venons de voir, j'ai bien peur que certaines valeurs en viennent à se perdre comme l'obéissance à ses aînés. Où va notre monde si les enfants se mettent à discuter les décisions des parents alors qu'ils savent, eux, ce qui est bon pour eux ? Le mariage n'est pas affaire d'amour ou d'affection car un homme ne doit pas laisser guider ses actions par ses passions, un homme n'est homme que parce qu'il est réfléchi et sait voir où est l'intérêt de sa famille ou de son honneur. L'amour peut trembler, les passions s'éteindre aussi rapidement que le vent souffle la bougie mais quand tout cela a disparu, il ne te reste que l'honneur. Tout ce qu'on peut espérer dans le mariage, c'est trouver un soutien et une amie. Et ce n'est pas en refusant obstinément les propositions que cela pourra se faire.

Si Henri avait voulu gifler son cadet, il ne s’y serait pas pris autrement. Le sourire de Thibaud mourut instantanément, le laissant comme vidé de toute énergie en proie au désespoir le plus complet. Il enfonça ses ongles dans son siège en bois comme pour se donner du courage. Si le message de Thibaud avait été clair, celui d’Henri ne l’était pas moins. Le jeune homme avait du mal à accepter les critiques de ses conseillers ou vassaux mais celles de son frère lui faisaient l’effet de coups de poignards. Et, outre son désespoir, il se sentit presque insulté par le ton impérieux d’Henri. Thibaud lui avait toujours obéit en tout et pour tout, sans jamais rechigner. Et dire qu’il croyait qu’en le voyant officier aujourd’hui Henri se dirait que si pour une fois il était réticent à lui donner raison, c’est qu’il avait d’excellentes motivations pour cela. Quand aurait-il la confiance entière de son aîné ? Le souffle coupé par l’émotion, il s’apprêta à répondre que les gueux pouvaient se contenter d’un mariage d’amour, que ceux de raison étaient plus utiles aux gens de leur rang, pourquoi ne pas contenter deux jeunes personnes venues du peuple si l’occasion s’en présentait, mais Aliaume annonça la reprise de la séance. Thibaud tenta de reprendre contenance en repoussant son verre, parfaitement écœuré par le goût du vin – et Dieu sait qu’il était pourtant bon. Il se fit violence pour être tout à sa charge lorsqu’il reconnut les plaignants suivants : deux chevaliers, excellents combattants mais le premier au tempérament querelleur tandis que le second était simplement disputeur. Et, par-dessus le marché, leurs deux familles se cherchaient des noises depuis l’aube des temps, semblait-il. Le comte allait avoir besoin de toute sa concentration, à lui d’oublier la réprimande de son frère, il ne pouvait se le permettre. Le premier s’appelait Godefroi, ce fut lui qui commença :

- Monseigneur, je viens réclamer justice ! J'accuse messire Hugues d'avoir porté la main sur mon jeune frère lequel est mort de ses blessures qui avait été faites par l'épée alors que nous n'avons pas le droit de lever l'épée contre des hommes désarmés. Je viens donc demander à ce qu'il soit puni en conséquence.

Thibaud prit une mine de circonstance en apprenant la mort du jeune Gaucher, c’était un bon chevalier mais un peu idiot. Il avait tendance à s’attirer la hargne de tout le monde par de vaines provocations. Aliaume invita le deuxième, un bon compagnon de Thibaud, à venir s’expliquer devant celui-ci.

- Je déclare être innocent, messeigneurs, je n'ai jamais frappé le frère de sire Godefroi qui n'a nul témoin pour vérifier ses dires.

Messire Hugues était un homme plutôt impulsif mais il n’était pas idiot. Il se battait souvent mais plus avec ses poings qu’avec l’épée. D’instinct, Thibaud le croyait mais il devait se montrer parfaitement impartial, surtout qu’après avoir déçu Henri, il n’avait plus droit à l’erreur. Afin de lui montrer qu’il comprenait parfaitement les leçons et en tenait compte ainsi que devait le faire tout sage, il se tourna vers ses conseillers afin d’avoir leur avis faisant fi de l’air désapprobateur d’Aliaume.

- Messire Thomas, votre conseil ?
- Nous n'avons qu'une solution : laissons-les se départager dans une ordalie, Dieu jugera.


*Dieu du Ciel, il me fera mourir avec des idées pareilles ! Voilà donc pourquoi je ne souhaitais pas faire appel à ces fats !* songea Thibaud.

Pour le jeune homme, il n’y avait rien de plus navrant que de régler la justice en utilisant l’ordalie. Cette pratique aussi idiote qu’inutile avait vu mourir trop de jeunes gens innocents. Alors qu’il s’apprêtait à remercier poliment le sieur Thomas pour demander un véritable conseil, Henri intervint.

- Est-là la justice humaine que de s'en remettre aux armes pour déterminer qui est le vainqueur et qui est le vaincu ? Dieu ne nous a-t-Il pas appris à condamner le sang et la vengeance ? Croyez-vous que verser le sang de l'un de ces deux jeunes gens est juste alors que leurs bras ne devraient que frapper pour défendre leur seigneur et non se porter l'un contre l'autre ?

Certes, c’était là de sages paroles mais Thibaud se sentit profondément mortifié. Ainsi Henri ne le croyait plus capable de gérer convenablement les affaires de Blois, à tel point qu’il prenait les choses en main devant les conseillers et vassaux ainsi qu’une bonne partie des notables de Blois. Le rouge lui monta à nouveau aux joues et il dut lutter contre l’envie de se lever et de quitter la salle hurlant à son frère qu’il n’avait qu’à prendre les commandes puisqu’il le jugeait désormais incapable de le faire. Heureusement, il parvint à se reprendre à temps pour entendre Henri déclarer :

- Mon frère est votre comte désormais, la justice qu'il rend aujourd'hui est la justice appuyée sur la Bible, la main qui tient son épée est une main guidée par Dieu !
- L'ordalie est la solution la plus raisonnable, monseigneur, surtout en l'absence de preuve. Les chevaliers ont toujours départagé leurs différents de cette manière, c'est l'un de leurs droits les plus précieux. Vouloir nous l'ôter, c'est nous déchoir !
intervint brusquement un autre vassal.

Thibaud avait beau être en harmonie totale avec son frère, il sentit une nette contrariété : depuis le début de la séance, il était le seul maître à bord, personne ne parlait sans y avoir été invité au préalable par le comte. Hors voici que l’on exprimait son opinion à qui mieux-mieux. Sans compter que, Henri comme le vassal, avaient lancé leur dernière phrase droit dans les yeux du comte, comme un défi, ce qu’il ne pouvait accepter en aucun cas. Thibaud se sentit furieux car désormais, sa réponse servirait à faire savoir qui avait droit à son allégeance, qui à son autorité. Il n’était plus question de justice mais d’honneur. Ce fut donc les dents serrées et l’humiliation au bord des lèvres que Thibaud se leva pour réclamer le silence et rendre son verdict sur cette fâcheuse affaire :

- Eh bien messeigneurs, il ne s’agit pas de faire valoir un droit à une tradition ancestrale mais bien de punir un criminel. En acceptant l’ordalie, je cours le risque de voir mourir un frère éploré que la douleur égare lorsqu’il lance des accusations sans fondement apparent. Car c’est ce qui arrivera si jamais messire Hugues est innocent et que messire Godefroi l’a accusé à tort. Point d’ordalie à ma cour !

La fierté que Thibaud ressentait à voir les vassaux contraints d’accepter de mauvaise grâce que l’on les prive du spectacle d’un beau combat, était teintée d’amertume. En effet, beaucoup se diraient qu’il rejoignait simplement le parti de son frère, persuadés qu’il n’y avait pas l’ombre d’une réflexion là-dessous. Les dominant de sa haute taille, Thibaud leur fit comprendre qu’il était inutile de discuter.

- Messire Godefroi, je partage votre douleur et vous donne donc sept jours pour me trouver des preuves de ce que vous affirmez. Messire Hugues, vous resterez enfermé en mon château durant ces sept jours.

Voyant que celui-ci s’apprêtait à protester, il lui lança un regard amical, lui assurant qu’il savait ce qu’il en était réellement. Reconnaissant son compagnon d’armes, le sieur Hugues se contenta d’approuver :

- Puisqu’il faut en passer par-là pour assurer mon innocence, je m’en remets à votre justice, monseigneur comte !

Sieur Godefroi hurla que sept jours, cela lui semblait fort court et accusa le comte de partialité. Ç’en était trop pour les nerfs du pauvre Thibaud :

- ASSEZ !

Il avait hurlé cela si fort que les murs en résonnèrent un moment. Tout le monde se tut. Le comte Thibaud était un homme bon mais ses quelques colères étaient mémorables et personne ne souhaitait le mettre dans un tel état. Quant à Thibaud, il venait de passer de la tension à la concentration extrême, de la concentration extrême à la fierté, de la fierté à la contrariété, de la contrariété au désespoir et du désespoir à l’humiliation. Il commença à arriver tout doucement à saturation et c’était là le pire moment pour le provoquer.

- Vous avez déjà bien de la chance que je ne décide pas de vous laisser régler cela ici-même, sur le champ, sans le moindre moyen pour vous défendre sire Godefroi. Vous avez sept jours, pas un de plus, pour me prouver vos allégations. Et si cela ne vous agrée pas, allez au Diable !

Tandis que le pauvre seigneur approuvait docilement et que messire Hugues se laissait emprisonné – mais dans une pièce confortable – Thibaud fit signe à Aliaume que c’était assez pour aujourd’hui. Il attrapa son verre et le vida d’une traite comme pour se calmer. Il se tourna ensuite vers Henri pour lui murmurer à l’oreille :

- J’espère que te voilà rassuré sur ma loyauté et sur le fait que jamais je ne te désobéirais mon cher frère ! Tu vois que je désavouerai une armée de vassaux pour toi !

Il se releva, tremblant doucement sur ses jambes. Il fallait à tout prix qu’il reprenne rapidement ses esprits, surtout qu’Henri ne resterait pas sans répliquer.
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Henri de Champagne

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PREUX CHEVALIER
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MessageSujet: Re: "La justice, tu chercheras ardemment" [Deutéronome]   "La justice, tu chercheras ardemment" [Deutéronome] EmptyMar 4 Juin - 17:45

Henri de Champagne  a  dit:
Henri de Champagne s'était fourvoyé et il s'en rendit compte au moment même où il prononça ses dernières paroles pour en appeler au jugement définitif de son frère. Ce n'était pas tant l'idée de s'être arrogé le droit de donner son opinion en pleine séance d'assises comtale sans l'autorisation formelle de Thibaud qui le troublait (car à quoi bon tenir séance si c'était pour garder le silence ?), ce fut le fait de s'être laissé prendre à la provocation peu subtile qui avait été lancée par ce vieux fidèle de leur père. Il n'avait pourtant jamais pour habitude de perdre son calme, au contraire, il était réputé pour ne pas hausser le ton et pour ne pas se départir de ce petit sourire parfois sincère et joyeux parfois moqueur et ironique qui étirait ses lèvres. Si en ces circonstances, il s'était laissé emporté par sa force de conviction, on ne pouvait pas réellement dire qu'il s'était énervé, il avait été cassant et définitif, pas violent ni rageur. Et pourtant, il avait cruellement conscience d'être tombé dans le piège mais cela avait été plus fort que lui. Toute sa retenue, sa capacité de réflexion, sa faculté de mettre à distance les événements pour mieux les analyser, tout ce qui lui avait permis de se montrer bon meneur d'hommes et bon stratège militaire lors de la croisade, tout cela s'était soudainement envolé et sa colère avait pris le dessus. Que cela avait été fait exprès par le vieux vassal, Henri n'en doutait pas un seul instant. Il n'était un secret pour personne que le comte de Champagne avait interdit les ordalies pour régler les différents dans son conseil, à la grande satisfaction du cistercien Bernard de Clairvaux et le vieil homme s'était directement adressé à lui quand il avait fait sa suggestion, sans doute pour essayer de le prendre en faute, voire de créer un conflit d'autorité entre les deux frères de Blois. Et Henri ne supportait pas que l'on remette en cause une décision qu'il avait prise lui-même, surtout quand cela concernait la justice comtale, domaine dans lequel les vassaux aimaient à faire appel à leurs privilèges et à remettre en cause l'autorité. S'il paraissait prompt au compromis et aux discussions, toujours ouvert aux suggestions, le comte de Champagne avait pris en réalité l'habitude de régner sur ses fiefs avec une main de fer qui passait inaperçue derrière des paroles de miel et une apparente décontraction, certains petits seigneurs de ses domaines en seraient d'ailleurs pour leurs frais. Mais il était dit que tout cela devait éclater en ce jour d'assises à Blois, même s'ils étaient bien peu, ceux qui s'étaient vraiment aperçu de ce que les paroles qui avaient été échangées signifiaient réellement. Car tous les regards étaient désormais fixés sur le jeune frère d'Henri et tous attendaient, non sans la redouter, la réaction de Thibaud de Blois.

Car le fait qu'il eût perdu son calme n'était pas l'unique erreur à imputer à Henri de Champagne. Quand il vit le rouge qui était monté aux joues de son cadet, il sut qu'il allait payer très cher d'avoir négligé l'avis de Thibaud dans le propre conseil de celui-ci. Évidemment, c'était les droits du jeune comte qu'il avait défendu bec et ongles mais ce dernier, si attaché à ses prérogatives, ne verrait probablement pas les choses ainsi. Contrairement à Étienne qui menait son train de vie comme il l'entendait, sans se soucier des rumeurs et de l'avis de sa famille, tout en restant leur allié, Thibaud avait toujours eu à cœur d'être à la hauteur de ses fonctions et de rendre fier ce père qui l'avait négligé. Henri n'avait pas à proprement parler grandi avec lui, il n'avait pas partagé ses premières expériences de batailles ou ses blessures avec son frère mais il l'aimait et le connaissait assez pour savoir qu'il allait mal prendre ces interventions dans la salle même où ils avaient vu la fine et sèche silhouette de leur père siéger en son temps. Il l'avait même placé dans une situation particulièrement délicate, au pied du mur, contraint de donner raison à son aîné dont on craignait les ingérences ou à ses vassaux dont il devait conserver le dévouement. Ce fut avec un agacement certain que le président de l'assemblée, dont Henri lui-même ressentait la crispation, réclama le silence. Le sourire brusquement disparu des lèvres, la mine sombre et les prunelles noires, le comte de Champagne, contrarié, se cala de nouveau dans son siège en attendant le verdict et en croisant les bras. Les conseillers durent sentir que l'atmosphère avait changé, et pas en leur faveur car ils se turent sans discuter davantage.
- Eh bien messeigneurs, il ne s’agit pas de faire valoir un droit à une tradition ancestrale mais bien de punir un criminel. En acceptant l’ordalie, je cours le risque de voir mourir un frère éploré que la douleur égare lorsqu’il lance des accusations sans fondement apparent. Car c’est ce qui arrivera si jamais messire Hugues est innocent et que messire Godefroi l’a accusé à tort. Point d’ordalie à ma cour !
Le soulagement d'Henri et la fierté qu'il ressentait vis-à-vis de son petit frère étaient plein d'amertume car cette décision n'avait pas été prise comme elle l'aurait dû. En effet, loin d'être une affirmation pleine et entière des droits comtaux, des vassaux s'inclinaient de mauvaise grâce et auraient sans doute pu insister si les yeux de Thibaud ne brûlaient pas de colère. Henri aurait voulu transformer cela en affirmation claire et nette de l'unité de la famille mais il jugea plus prudent de laisser son frère reprendre la main et de se taire. Le comte de Blois, le visage fermé, rendit son verdict concernant l'affaire de ces jeunes chevaliers qu'Henri avait presque déjà oublié. Ce fut avec un certain désintérêt que le comte de Champagne les regarda protester puis accepter avec plus ou moins de mauvaise grâce le châtiment prévu même s'il n'était pas dupe de la certaine indulgence avec laquelle Thibaud traitait l'accusé.

Il fallut pourtant encore que le chevalier Godefroi accusât le comte de partialité et si l'accusation était injuste, tous sursautèrent devant la réaction de Thibaud :
- ASSEZ ! Hurla-t-il dans un rugissement qui avait dû alerter tout le château.
Contrairement au reste de l'assemblée, Henri n'avait pas marqué de surprise car il lui semblait bien qu'un tel éclat couvait et au lieu de fixer son frère, il préféra promener son regard, en bon observateur qu'il était, sur le reste des conseillers qui baissaient la tête pour certains ou subissaient sans broncher la colère du comte qui s'emporta pendant quelques minutes, ne supportant visiblement pas les affronts qu'il avait subi jusqu'à présent. Au moment où il prononça le mot « diable », les ecclésiastiques du conseil, l'évêque Gosselin de Chartres en tête se signèrent. Il était grand temps que cette mascarade se termine, leurs nerfs ayant été mis à rude épreuve, aussi Henri fut-il soulagé de voir le chambellan Aliaume déclarer que la séance était terminée pour la journée. Thibaud, à ses côtés, attrapa son verre et le vida d'une traite avant de se tourner vers son frère qui n'avait toujours pas récupéré son sourire pour lui murmurer :
- J'espère que te voilà rassuré sur ma loyauté et sur le fait que jamais je ne te désobéirais mon cher frère ! Tu vois que je désavouerai une armée de vassaux pour toi !
Le comte de Champagne lui jeta un regard en biais et haussa un sourcil, mécontent de ce qu'il venait d'entendre. Il avait bien l'intention de ne pas en rester là mais il ne tenait guère à s'expliquer devant une foule de rapaces suspicieux. Il se détourna de Thibaud et se leva, retrouvant un sourire éclatant qu'il adressa en direction des rapaces en question :
- Messeigneurs, j'espère que nous nous retrouverons à la chasse prévue cet après-midi pour fêter mon passage à Blois ! Nous avons besoin de nous détendre après de telles séances.
Déjà des raclements de chaise se faisaient entendre et des bavardages insouciants remplaçaient la mauvaise humeur qui se dissipait peu à peu. Mais Thibaud après avoir craché ces quelques paroles à Henri et contrairement à ce dernier n'avait pas retrouvé son apparente insouciance et il s'éloignait après avoir salué l'assemblée. Le comte de Champagne discuta encore quelques instants avec son voisin puis quitta la salle à son tour, non pour retrouver ses appartements comme le pensaient sans doute les seigneurs mais pour se mettre sur les traces de son petit frère car les phrases qu'il lui avait dites continuaient de le hanter et il savait bien qu'il ne trouverait pas le repos tant qu'il n'aurait pas réglé ce différent avec Thibaud. Le comte de Blois était son allié, son plus précieux et il ne tenait pas à le perdre, c'était là ce qui occupait ses pensées. Mais avant tout, Thibaud était son petit frère et même s'il avait du mal à se l'avouer, il ne pouvait accepter l'idée qu'une dispute eût pu gâcher leur entente. Dans ce monde, Henri n'avait personne sinon sa famille et ses frères et sœurs étaient sans doute ce à quoi il tenait le plus. C'était honorable mais c'était aussi une vraie faiblesse.

Le jeune homme avait grandi là, il connaissait le château par cœur et il ne fut pas long à rattraper Thibaud qui avançait rapidement dans un couloir peu large et mal éclairé de la demeure. En quelques pas, il fut auprès de lui et lui saisit l'épaule avec une certaine violence pour le plaquer contre le mur et poser sa paume ouverte sur le torse de son petit frère. Pour la première fois depuis longtemps, Henri avait abandonné tout faux-semblant et son visage crispé indiquait assez à quel point il était en colère. Pendant un instant, ils se jaugèrent, le grand frère cherchant le regard de son cadet, pourtant plus grand et qui avait beaucoup plus âgé que lui. Puis Henri ne put dissimuler sa déception :
- Que crois-tu, mon frère ? Que je sois venu ici pour saper ton autorité, pour essayer de montrer à tous que tu es un comte faible qui ne sait faire qu'obéir à son aîné qui continue à gouverner à tous  ? Alors même que je défends tes prérogatives et ton droit de justice... ?
Il lâcha Thibaud pour s'écarter sans pour autant baisser les yeux et reprit d'une voix plus calme mais toujours aussi contrariée :
- Je ne cherche pas à tester ta loyauté car il me semblait que les liens qui nous unissaient étaient plus forts que la désapprobation de vassaux, plus forts que des histoires de justice ou de terre et que jamais rien ne pourrait nous séparer. Je pensais que nous nous faisions confiance ! Mais visiblement, j'ai été un idiot de le croire, tu ne parviens pas à me croire. J'aurais aimé l'apprendre d'une manière différente.
Henri baissa la tête et se prit le front de sa main droite en fermant les yeux :
- Je suis navré si j'ai pu te blesser mais tout ce que j'ai fait, tout ce que j'ai toujours fait et tout ce que je souhaite que tu fasses même si tu refuses de t'y résoudre parce que tu sembles persuadé que je veux m'imposer à toi et te commander, c'est en pensant à toi et parce que je tiens à toi. Tu sais comme moi que les ordalies sont la lie de notre société chevaleresque et j'ai cru bien faire en défendant mon point de vue comme tout conseiller l'aurait fait à l'assemblée de son seigneur. Je te prie de me pardonner.

Le comte de Champagne allait poursuivre quand des bruits de pas l'interrompirent pour faire apparaître Aliaume, le chambellan de son frère qui observa les deux chevaliers face à face, chacun appuyé contre un mur, sans marquer de surprise.
- Désolée de vous déranger en pleine conversation, commença-t-il d'un ton tout sauf désolé, mais j'avais besoin de savoir quand vous comptiez partir en chasse pour la préparation des chevaux.
Henri garda le silence, laissant répondre son frère et attendit qu'Aliaume fut hors de portée de voix pour poursuivre d'un ton plus joyeux :
- Cet Aliaume m'a toujours un peu effrayé. Il est un peu paradoxal qu'un homme aussi sérieux préside à nos plaisirs, ne crois-tu pas ?
Mais voyant que son hilarité n'était pas partagée, il se referma à nouveau, même si sa colère s'était éloignée et il plaida sa cause en espérant de tout cœur que son frère n'accéderait pas à ses demandes :
- Tu sais que j'ai toujours voulu montrer que nous étions unis, nous tous avec Étienne, Guillaume et nos sœurs mais si tu juges que je suis de trop ici, je me retirerais dès que tu le demandes. Si tu ne veux plus me voir, si tu veux que je ne vienne plus, je le ferais. Tu n'auras plus à supporter ma présence ou à avoir l'impression de « braver des armées de vassaux » pour moi. Dis-le si tu le souhaites vraiment.
Sans attendre vraiment la réponse, Henri se redressa et fit mine de s'en aller mais il parut se raviser pour aller déposer une main sur l'épaule de son frère, une étreinte cette fois-ci bienveillante et affectueuse :
- Sache toutefois que je suis fier de toi, pour tout ce que tu as accompli aujourd'hui. Même si la fin de la cour a été un peu tendue, tu as su t'imposer à tous et tu feras un grand comte de Blois.
Pour la première fois depuis plusieurs minutes, un sourire écarta enfin les lèvres d'Henri :
- Sans doute plus grand que ne l'a jamais été Père.
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