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| Ira furor brevis est (Sybille/Henri) | |
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Henri de Champagne
PREUX CHEVALIER ☩ L'honneur en armure, La bravoure en bouclier, La gloire en étendard
Messages : 605 Date d'inscription : 10/12/2012 Localisation : Entre mes terres de Champagne, celles de mon frère à Blois, la cour de Louis VII et Châteauroux
| Sujet: Ira furor brevis est (Sybille/Henri) Mer 16 Oct - 22:19 | | Henri de Champagne a dit: | Assis sur son siège en bois finement sculpté de monstres perdus dans une forêt d'entrelacs, la joue posée sur son poing, Henri de Champagne regardait pensivement les deux moines de Saint-Thibaud-de-Voigny déballer avec précaution les précieux objets qu'ils avaient rapportés de leur lointaine abbaye. Les yeux perdus dans le vague, il ne semblait pas voir la difficulté avec laquelle les jeunes hommes tonsurés manipulaient les immenses ouvrages (et avec lesquels ils faillirent assommer Geoffroy de Joinville qui se trouvait devant la porte et qui n'avait pas vu arriver le danger) et paraissait plongé dans des pensées plus réelles que la scène qui se déroulait autour de lui. Attitude bien étrange de la part du comte de Champagne qui avait pourtant l'habitude de s'enthousiasmer devant les merveilles de manuscrits que conservait la bibliothèque de l'abbaye mais depuis plusieurs semaines, depuis que le roi avait convoqué ses vassaux à sa cour en réalité, des soucis divers l'accablaient et le plongeaient régulièrement dans une forme de mélancolie que personne ne comprenait vraiment. Seul peut-être son précepteur Bernard de Clairvaux le connaissait assez pour savoir que ces tourments étaient en grande partie dus à la dernière bravade de son père, réfugié, depuis l'incendie de Chaumont, à Lagny et que cette lueur dans le regard brun du jeune homme était née suite à sa conversation avec le vieux comte lorsqu'il s'était rendu lui-même dans l'abbaye bénédictine qui avait été la protégée des comtes de Champagne, autant par ferveur religieuse que par défi envers la monarchie qui la trouvait sur son chemin s'il lui prenait l'envie de visiter les possessions de l'un de ses vassaux les plus envahissants à défaut d'être le plus fidèle. Il n'y avait pas trouvé un homme rongé par les regrets ou par les fautes qu'il avait commises mais encore fou d'une colère qui ne parvenait pas à le quitter et qui lui obscurcissait encore assez le jugement pour refuser la libération du jeune enfant de celui qui était mort entre ses mains. Sa seule préoccupation avait été de demander à son fils de ne pas obtempérer à la demande du roi de les faire tous venir à Paris mais Henri avait observé d'un œil glacial cet homme qui avait été son père et qui n'était plus que peine et tourments, se rappelant assez ce qu'il en avait coûté à la Champagne, et à lui-même, lorsque Thibaud IV avait affronté directement Louis VII. Depuis cette rencontre où l'incompréhension mutuelle avait dominé, le jeune comte s'en était retourné à la cour, en ignorant les chuchotements qu'il entendait sur son passage – car les crimes de son père étaient désormais connus de tous – et en évitant soigneusement les membres de la famille que l'on avait blessée. Mais il était parfois étrange de constater que plus on fuyait quelqu'un, plus l'image de cette personne s'imposait à soi. Par manque de chance, celle de Sybille de Déols était celle d'une femme bouleversée par la haine et les larmes qui semblait comme le poursuivre de sa malédiction.
Le rire clair de Gauthier de Brienne sembla faire revenir le jeune comte dans la réalité, lequel jeta un coup d’œil amusé à Joinville qui ne goûtait guère la plaisanterie de son compagnon d'armes qui avait suggéré qu'il devait avoir bien des choses à se reprocher s'il avait failli être tué par la Bible – combien même l'idée que son sénéchal en lequel il avait toute confiance puisse lui dissimuler des fautes était aussi risible que la tête outrée du sénéchal en question. Mais très vite, l'attention d'Henri fut détournée de ces deux imbéciles pour se poser sur l'immense manuscrit relié que les moines lui apportaient et qu'ils déposèrent sur un pupitre afin qu'il puisse le feuilleter sans se relever. - Voici l'exemplaire de l'Ancien Testament que vous nous avez commandé, expliqua le premier d'entre eux, nous avons enluminé la totalité des feuillets avec des scènes des Écritures et votre demande spéciale a été respectée en avant-garde. Un large sourire aux lèvres, ayant brusquement perdu son attitude pensive, Henri hocha la tête et avec précaution, il passa sa paume sur la couverture de cuir, rehaussée par des éclats de gemmes et de pierres semi-précieuses encastrées dans des cabochons d'or, admirant le travail si finement exécuté des orfèvres. Il avait à peine conscience d'être observé par son public – encore qu'il entendait Gauthier et Geoffroy discuter entre eux – tant il s'était plongé dans la beauté de l’œuvre qu'on venait lui montrer. La reliure était certes splendide mais le travail des moines copistes était encore plus exceptionnel lorsque l'on prenait le temps d'ouvrir les feuillets pour s'immerger dans un texte écrit de manière soignée, entouré et magnifié par des rinceaux qui couraient sur la page, comme si les mots étaient également des dessins en eux-mêmes. C'était un monde en soit, un univers en miniature, empli de perfection où tout était à sa place et n'en bougeait pas. Le jeune comte s'intéressa aux pleines pages enluminées avec des épisodes de la Bible mis en exergue par des couleurs éclatantes de vie. Il passa l'index sur la peau bleue de la baleine qui avalait le prophète Jonas, eut un sourire devant Job sur son tas de fumier, moqué par son épouse et qui lui rappelait invariablement les sermons du père Bernard quand il lui disait qu'il ne fallait rien abandonner puis s'arrêta plusieurs secondes sur les Hébreux dans leur fournaise, saisis dans un instant de recueillement, bras levés vers la divinité. Non pas qu'Elle les avait abandonné, mais parce qu'ils brûlaient dans Son amour et qu'ils brûlaient de L'avoir trop adorée. Henri demeura saisi devant la puissance de la scène, comme s'il les entendait réellement hurler puis il referma le manuscrit jusqu'au feuillet qui en marquait l'ouverture : assis sur son dais fleurdelisé, un roi ceint d'une couronne approchait la main d'un jeune homme en armure, agenouillé devant le trône, qui lui tendait un énorme livre richement relié. Cette représentation, toute droit tirée des très précieux manuscrits carolingiens, n'était autre qu'une préfiguration de ce qui allait se produire, comme si le livre se mettait en scène lui-même. Henri avait bien l'intention d'offrir cette Bible à Louis VII, la magnificence de l'ouvrage le réservait à des mains princières et déclarait toute l'estime – et peut-être la soumission pour ceux qui ne voyaient pas plus loin que le bout de leur nez – qu'il portait au roi. Louis VII n'était pas du genre à être démonstratif devant de tels présents mais le jeune homme estimait que toute âme humaine ne pouvait que s'émerveiller devant le talent que l'on déployait pour servir Dieu. Les plus cyniques ne verraient là qu'une manière pour le comte de Champagne de mettre en avant sa richesse et sa propre puissance puisque ses ateliers étaient capables de produire des objets qui rivalisaient avec les œuvres byzantines et surpassaient largement les ateliers parisiens. Qu'en était-il réellement des intentions du jeune comte ? Le sourire affable du jeune comte que l'on pouvait interpréter de diverses façons ne permettait pas de trancher.
Henri sentit son enthousiasme grandir lorsque les deux moines ôtèrent le présent royal pour placer le second manuscrit sur le pupitre et il s'anima sur son siège, le visage clairement illuminé par un large sourire. C'était là sa propre commande, un livre qu'il destinait à son usage personnel et dont il avait bien l'intention de savourer chacun des feuillets. - Nous l'avons terminé à temps pour vous l'apporter, monseigneur, expliquait l'un des deux moines tandis que son compagnon avait des velléités de replacer seul la Bible dans son emballage mais parvenait à peine à le soulever, sa gracieuse éminence l'abbé vous avait promis que vous seriez le premier à en profiter. Henri ne fit nulle remarque sur le manque de grâce du vieil abbé qu'il avait toujours connu souffreteux et claudiquant même dans son enfance quand son père l'emmenait à Voigny (au grand déplaisir du père Bernard de Clairvaux qui considérait qu'aller admirer des enluminures au lieu de lire des textes – ou ses lettres, c'était bien là du temps perdu) ni même sur le visage de Joinville qui avait voulu apporter son aide au moine mais qui trouvait visiblement le manuscrit plus lourd que prévu au vu de sa grimace, et il ouvrit sans attendre l'exemplaire qu'on lui avait apporté. Il y avait moins d'illustrations, elles étaient moins dorées peut-être mais Henri considérait que les vers d'Ovide se suffisaient à eux-mêmes. Seuls des cerfs arrêtés dans les marges rappelaient que dans les Métamorphoses, la déesse Vénus contait des histoires extraordinaires d'hommes changés en animaux à son jeune amant Adonis avant que celui-ci ne soit tué par un sanglier et notamment celle du mortel qui avait surpris une Diane furieuse au bain et en avait été puni par la mort. Henri ne pouvait nier qu'il était un amateur de textes antiques car il lui semblait qu'il pouvait toucher ce passé glorieux de l'empire romain par la perfection de cette langue latine qu'il maîtrisait parfois mieux que les hommes d’Église, il avait l'impression que ces ancêtres fabuleux s'adressaient directement à lui et que derrière chaque histoire se dissimulait une morale qu'ils voulaient lui apporter à lui, directement. Il avait ouvert un feuillet au hasard et parcourait rapidement du regard l'histoire d'Atalante dont s'était épris le jeune Hippomène combien même il devait en mourir tandis que la jeune femme à l'hymen funeste se demandait quelle était la raison pour laquelle elle hésitait entre perdre ou gagner la course qu'elle devait livrer contre lui, la fierté vaincue par l'amour qu'elle ressentait. « Elle avait parlé et, naïve, atteinte une première fois par le désir, ignorant ce qu'elle fait, elle aime sans comprendre qu'elle aime », lut-il en admirant sur les côtés des phénix qui s'enflammaient comme un symbole de l'amour naissant entre les jeunes gens. Malgré lui, cette image lui fit penser au bestiaire qu'il avait offert quelques temps auparavant à Sybille de Déols et il se demanda si elle trouvait encore le courage de l'ouvrir après tout ce dont il s'était rendu coupable. Il aurait désiré découvrir ce manuscrit en sa compagnie car il ne connaissait pas d'autre personne qui savait autant apprécier la beauté d'un tel objet et un éclat passa dans ses yeux bruns lorsqu'il se remémora le plaisir qu'elle avait eu en découvrant le bestiaire, un plaisir tel que son masque en était tombé. Il se voyait presque à ses côtés pour déchiffrer chacun de ces vers et lui entendre lire les paroles de Vénus mais son sourire se crispa car tout cela n'était plus possible, elle lui avait clairement signifié qu'elle ne voulait plus rien avoir à faire avec lui. Même un aussi beau manuscrit ne pourrait lui faire oublier la haine qu'elle lui vouait désormais.
Un coup frappé à la porte fut lever le nez à Henri et le détourna de ses sombres pensées. Ce fut Brienne qui ouvrit à l'importun et lui parla avant de se retourner vers son maître et lui signaler que le conseil royal allait bientôt débuter et qu'il était attendu par Louis. Avec un soupir qu'il dissimula habilement derrière son sourire, le jeune comte referma le manuscrit et fit appeler son écuyer pour qu'on le préparât tandis que les moines se retiraient et que ses compagnons d'armes, enfin libérés de leur obligation de rester calmes, babillaient joyeusement – enfin dans le cadre de Brienne, Joinville semblait toujours bouder. Henri les écoutait d'une oreille distraite, soudain plongé dans ce qui l'attendait. Ce n'était évidemment pas la première fois qu'il participait à un conseil autour du roi mais comme tout grand vassal qui se respectait, il ne s'y rendait pas régulièrement malgré les devoirs contenus dans le serment qu'il avait fait à Louis. Seules les affaires les plus importantes le concernaient et étaient dignes de son attention, Louis ne jugeait de toute façon pas bon de l'ennuyer avec les problèmes de son propre domaine. Néanmoins, contrairement à son père, le jeune homme mettait un point d'honneur à faire acte de présence lorsqu'il le pouvait : la stratégie qu'il avait adoptée était parfaitement claire, il ne s'agissait plus de gagner son indépendance en bafouant le roi mais de se rapprocher de lui pour être au plus proche de ses décisions et de peser sur ses actes. Un certain respect s'était instauré entre Louis VII et le comte de Champagne depuis qu'ils avaient vécu la croisade ensemble et Henri pouvait se targuer d'être écouté comme d'avoir saisi le masque qu'arborait le roi. Ce dernier laissait beaucoup les autres parler et cultivait son apparence de faiblesse pour laisser ses vassaux s'entre-déchirer mais son regard profond et serein ne cachait rien. Si Louis les avait tous réuni à Paris, c'était parce qu'il devait avoir ses propres raisons mais personne ne pourrait jamais comprendre vraiment ses intentions, comme si l'âme du souverain était si profonde qu'ils étaient tous incapables de le saisir dans son entière complexité. C'était à cela qu'Henri réfléchissait au moment où il pénétrait dans la grande salle d'assises de l'aile privée du palais de la Cité dans laquelle se trouvaient déjà rassemblées un petit nombre de têtes connues. Visiblement, la composition du conseil n'avait pas été fondamentalement bouleversée comme le constatait Henri en saluant pêle-mêle son cousin par alliance, le comte de Nevers, le chancelier Hugues de Champfleury ou encore le chapelain Cadurc dans les petits yeux porcins se plissèrent à l'arrivée d'Henri qu'il détestait ouvertement. Il manquait peut-être uniquement l'abbé Suger mort en début d'année et qui avait assez de charisme pour attirer toute l'attention sur lui. Henri était installé auprès du bouteiller Guy de Senlis qui avait pour habitude de ne pas beaucoup parler mais de fixer chacun des membres de l'assemblée comme s'il pouvait lire en eux ainsi que de son frère, Étienne de Sancerre (dont on ignorait la raison de la présence car lui non plus n'avait pour habitude de beaucoup exprimer son opinion) et en face du très vieil ami de Bernard, l'évêque de Bourges, Pierre de La Châtre, retourné en grâce lors de la croisade. C'était terminé, il avait définitivement quitté le monde parfait des arts et de la beauté pour entrer dans un nid de vipères. A chaque instant, on risquait de s'y faire dévorer par plus vil ou plus retors que soi mais heureusement, Henri savait parfaitement louvoyer entre les avis contraires et désarmer ses adversaires par son affabilité et son amabilité. Les conversations à droite et à gauche cessèrent quand Louis VII fit son apparition, s'installa sur la chaise d'honneur qui avait tout lieu d'un trône et déclara la séance ouverte. Le tournoi de ces chevaliers armés de belles paroles ou caparaçonnés par leurs intérêts propres pouvait débuter.
Le conseil débuta par des questions d'ordre général pour lesquels l'avis d'Henri était peu nécessaire puis une farandole incessante de demandeurs et de témoins commença à passer la porte, lettres au poing pour faire leurs réclamations au roi source de toute justice. Des échauffourées avaient eu lieu entre un seigneur et une église en Auvergne dont Louis VII était le duc, et tous les vassaux furent unanimes à demander que l'on convoque le seigneur en question sous peine de lever un ost pour le punir s'il ne s'exécutait pas – malgré les voix discordantes des prélats qui auraient préféré une intervention plus rapide devant le désarroi de l'officiant qui avait, selon ses dires, vu l'Apocalypse s'abattre sur lui, mais le comte de Champagne, soucieux de ménager les droits des chevaliers, avait insisté lourdement pour ménager le seigneur. On passa ensuite à une lettre de l'archevêque de Reims adressée au roi. Samson de Mauvoisin priait le souverain de protéger ses terres de passages de bandes armées qui, venues du Saint-Empire, se payaient sur les richesses des églises. - Je peux intervenir, sire, l'interrompit Henri en s'adressant directement à Louis VII qui fronçait les sourcils, ces mercenaires menacent également mes possessions, je peux mettre mon bras au service de sa Seigneurie que j'ai déjà rencontré à plusieurs reprises avec le père Bernard. Le roi quémanda quelques autres avis puis, après avoir échangé un regard entendu avec le jeune homme, finit par acquiescer à la grande satisfaction d'Henri qui avait de l'estime pour Samson et voyait là un moyen de rétablir une aire d'influence dans l'immense diocèse au plein cœur de ses territoires mais qui échappait à son contrôle. On poursuivit avec des actes accordées aux villes sur lesquels le souverain apposa son sceau et que le comte de Champagne contresigna pour s'en porter garant, de son nom et de son titre de comte palatin de Troyes puis on en vint à une toute autre affaire qui piqua son intérêt. Ce fut Pierre de La Châtre qui exposa la querelle : - Des seigneurs sont venus ravager cette pauvre abbaye située dans le diocèse de Bourges – et donc sur vos terres, sire, et ont fait appel à moi qui suis leur protecteur spirituel pour obtenir réparation. Les dommages causés ont été particulièrement épouvantables mais lisez-donc la lettre que le père abbé vous a adressée. - Ces seigneurs sont tous des chevaliers issus des terres de Déols, constata le roi le nez sur la lettre, faisant brusquement lever la tête à Henri alors que son cœur manquait un battement. Il s'efforça néanmoins de rester calme, sentant quelques regards posés sur lui, car nul n'ignorait les objectifs qu'il poursuivait à Châteauroux alors que le roi poursuivait : que l'on fasse donc venir la dame de Déols, elle pourra certainement s'expliquer sur les raisons de cette prise d'armes. Et de fait, comme dans une mécanique bien huilée trahissant que tout cela avait été prévu de longue date, Sybille de Déols fit son apparition à la porte du conseil et s'avança vers eux, la tête haute, apparemment pas perturbée le moins du monde de se retrouver devant ceux qui prenaient les décisions pour le royaume même si Henri tenta de trouver un signe de tension dans la courbe de sa nuque qu'il trouva un peu crispée. Fièrement, elle leur fit face et son regard se promena sur l'assistance, tant et si bien qu'Henri détourna les yeux, comme s'il trouvait passionnant ce qui lui disait Étienne à l'oreille pour éviter d'avoir à le soutenir. Il se sentait fort mal à l'aise dans cette situation. Cela faisait maintenant des années qu'en tant que parrain du jeune seigneur de Déols, il aimait à se voir comme le protecteur naturel de cette famille d'autant que l'affection qu'il portait à l'enfant – et aussi à la jeune femme, il ne pouvait se le cacher, le poussait à prendre fait et cause pour leurs intérêts. Néanmoins, il ne pouvait oublier que Sybille l'avait brusquement chassé de son existence et qu'elle ne voulait plus rien avoir à faire avec lui puisqu'elle le détestait comme l'image de celui qui avait tué son propre père. Puisque tel était son chemin de croix pour obtenir le pardon des fautes de son père, il s'y résignait et malgré son sourire, malgré son expression sereine, ce fut le cœur serré par une sourde angoisse qu'il releva la tête sur la jeune femme pour l'écouter se défendre. |
| | | Sybille de Déols Per aspera AD ASTRA ✫
Messages : 559 Date d'inscription : 11/12/2012 Age : 31 Localisation : Sur mes terres de Châteauroux, sur celles de ma famille ou à la cour.
| Sujet: Re: Ira furor brevis est (Sybille/Henri) Jeu 24 Oct - 17:41 | | Sybille de Déols a dit: | Un calme pensant s’était abattu sur les terres de Châteauroux, d’autant plus pesant que l’orage menaçait au dehors et plongeait le domaine dans l’atmosphère à la fois lourde et feutrée si propre à ces journées grises où l’on ne pouvait qu’attendre que le ciel se décide à éclater, perçant enfin de sa fureur les nuages noirs qui s’amoncelaient. Ce calme trompeur, il se traduisait à merveille dans la salle du conseil de la vieille forteresse où le silence s’était abattu, car il en était du ciel comme de la dame de Déols dont les traits à la fois froids et sombres semblaient dissimuler une sourde colère dont on ignorait si et quand elle allait commencer à gronder. Plongée dans la lecture d’une lettre qui portait le sceau de l’archevêque de Bourges dont les terres étaient voisines des siennes, Sybille n’avait pas accordé le moindre regard aux quatre hommes qui se tenaient devant elle depuis qu’on les avait fait entrer, et lorsqu’elle leva enfin la tête, ce ne fut que pour leur jeter un œil aux éclats de glace qui laissait assez bien deviner quels étaient ses sentiments à leur égard en cet instant. Missive à la main, elle se leva et non sans les avoir sévèrement dévisagés, elle leur fit face, faisant taire d’un geste impérieux Amaury d’Issoudun qui s’apprêtait visiblement à parler. L’air sombre de sa suzeraine l’arrêta, et ni lui ni ses compagnons, les chevaliers de Civray, Charost et Reuilly ne s’avisèrent de prendre la parole avant d’y avoir invités, de sorte que le silence perdura un court moment encore, le temps pour la dame de Déols de prendre la mesure de ce qu’elle venait de lire. La lettre de l’archevêque Pierre de la Châtre était arrivée quelques minutes avant les seigneurs qui se trouvaient désormais face à elle et le contenu de celle-ci n’avait rien qui puisse améliorer l’humeur de la jeune femme déjà bien sombre depuis la veille, lorsqu’elle avait appris à quelles exactions s’étaient livrés quelques uns de ses hommes sur les terres de la petite abbaye de Saint-Hubert-sur-Cher. Ce monastère à la frontière entre ses possessions et celles de Bourges avait subi, lui avait-on rapporté, les attaques d’un groupe de chevaliers relevant tous du seigneur d’Issoudun, lequel n’avait pas jugé bon de la prévenir de ce qu’il préparait et arborait désormais l’air buté de celui qui se sait coupable de ce qu’on à lui reprocher sans toutefois vouloir s’en repentir. De fait, Sybille connaissait la querelle qui avait motivé une telle sortie, et savait que son vassal s’estimait dans son bon droit puisqu’il prétendait que l’abbaye dépendait des terres que lui avait confiées Abo. L’abbé, quant à lui, n’était pas de cet avis et Amaury, n’ayant pas perçu les droits qu’il jugeait devoir recevoir, avait décidé d’aller se payer sur les terres de Saint-Hubert qui – et c’était là, hélas, une certitude – relevaient du diocèse de l’archevêque de Bourges dont le maître s’était empressé de réagir et de faire savoir à la dame de Déols à quel point il était outré d’une telle expédition en une missive qu’elle tenait toujours à la main et dans laquelle il ajoutait que le père abbé, qu’il soutenait fermement, réclamait réparation. S’en suivait une liste de d’exigences dont on pouvait se demander si elles venaient bien de l’abbaye ou s’il s’était chargé de les formuler pour cette dernière, exigences devant lesquelles il lui fallait plier si elle ne voulait pas que l’on porte l’affaire devant le roi. Un ultimatum, ni plus ni moins, auquel elle n’avait pas l’intention de céder, d’abord parce qu’elle détestait qu’on lui force la main, ensuite parce qu’il n’était pas question d’accéder à toutes les demandes qui lui avaient été faites. La chose était claire pour Sybille lorsqu’elle se planta face à ses vassaux, le conflit serait porté devant la cour – Pierre de la Châtre n’avait plus besoin de prouver à quel point il pouvait se montrer opiniâtre – ce qui était loin de l’enchanter en ces temps que certains pouvaient qualifier de troublés et qui n’étaient quoi qu’il en soit certainement pas propices à se faire remarquer. Seulement, les hommes qu’elle avait sous les yeux ne semblaient pas en avoir conscience, ce dont elle ne pouvait blâmer les trois chevaliers mais était, en revanche, bien moins pardonnable de la part d’Amaury qui savait assez pertinemment dans quelle situation elle se trouvait.
Sybille contenait donc visiblement une lourde colère lorsque sous le regard circonspect de Jehan d’Ambrault qui se tenait non loin, elle se décida enfin à prendre la parole en leur désignant sans autre forme de préambule la lettre qu’elle avait toujours à la main. - Ceci m’a été envoyé par l’archevêque de Bourges, qui a jugé bon de me prévenir des « exactions inadmissibles perpétrées contre l’abbaye de Saint-Hubert » et exige réparation, asséna-t-elle durement. Je vous épargne la liste de ses demandes, elle est si longue qu’elle en devient grotesque, en revanche, sachez que je serais presque disposée à lui livrer vos quatre tête sur un plateau si cela pouvait le satisfaire, et me débarrasser de votre inconséquence. Attaquer une abbaye… à quoi songiez-vous ? - Ils refusaient depuis plusieurs semaines de payer… tenta Reuilly. - Cette affaire va être soumise au jugement du roi, j’espère que vous avez une excuse plus solide que cela, l’interrompit sèchement Sybille. Devant l’agacement sensible de la dame de Déols, les quatre seigneurs gardèrent un instant le silence. - S’il faut aller se justifier à la cour, j’irai, j’en assumerai les conséquences, lança enfin Amaury d’une voix presque trop solennelle. - Vous n’irez nulle-part, c’est là mon rôle, Issoudun. En revanche, vous pouvez être certains que des sanctions vont être prises, et que je ne supporterai pas la moindre protestation de votre part à ce sujet. Le ton de la dame de Déols était sans appel, si bien qu’un nouveau silence lui répondit, suivi d’une promesse qu’elle n’hésiterait pas à leur rappeler en temps voulu car il était évident que cette histoire allait lui coûter des concessions. - Le roi a convoqué ses vassaux à la cour, je pars demain, vous aurez rapidement de mes nouvelles. Jusque là, tâchez de vous faire petits, vous nous avez déjà bien assez fait remarquer. Là-dessus, Sybille renvoya les quatre hommes sans leur laisser l’occasion de répliquer, et dès qu’ils eurent fermé la porte derrière eux, un air sombre remplaça le masque froid et sévère qu’elle arborait jusque là. - Saint Hubert, le patron des chasseurs, n’est décidément pas très bien disposé à notre égard, ces derniers temps, lança avec ironie le seigneur d’Ambrault, ce qui lui valu un regard las de la jeune dame qui n’avait aucune envie de se rappeler ce à quoi il faisait référence. N’aurait-il pas été plus prudent de négocier avec l’archevêque ? poursuivit Jehan en retrouvant tout son sérieux. Elle demeura un instant songeuse. Aller à la cour risquait en effet de donner à cette affaire un écho qu’elle aurait préféré éviter et dont certains n’hésiteraient pas à se servir pour renouveler leurs arguments concernant le mariage qu’elle refusait toujours de faire. Mais négocier avec Pierre de la Châtre, c’était céder à un ultimatum et surtout passer outre la justice de Louis VII alors qu’elle cherchait à se rapprocher du monarque qui, en tant que duc d’Aquitaine, était également son seigneur et se devait d’être saisi en cas de conflit. Sybille ignorait si cette décision aurait un quelconque impact sur ses propres vues, mais l’on sauverait au moins les apparences, et de plus, elle ne redoutait pas d’aller se défendre devant le conseil. - Ce n’est pas le moment de lancer une bravade au roi, répondit enfin la jeune dame qui savait qu’elle n’avait pas besoin d’exprimer toutes ses pensées à son plus vieux conseiller, nous gagnerons à nous montrer irréprochables… s’il y a quoi que ce soit à gagner dans cette affaire, conclut-elle en marmonnant. Amaury et ses hommes la plaçaient en effet dans une position précaire, où il lui faudrait trouver un moyen de défendre ses vassaux sans prétendre qu’elle avait pris une quelconque part à leur expédition.
Elle allait demander à Jehan son avis sur la question mais l’entrée en fanfare de deux petites silhouettes blondes et d’une boule de poils rousse coupa court à la conversation. Surprise, Sybille se retourna pour trouver face à ses deux fils qui, poursuivant le petit Phénix, s’étaient arrêtés auprès d’elle puisque le chaton avait trouvé refuge dans les plis de sa robe. - Maman, il faut que vous nous rendiez Phénix ! C’est notre prisonnier ! s’exclama Aymeric tandis que Guillaume, brandissant une épée de bois, attendait visiblement que le prisonnier en question daignât sortir de sa cachette. - Votre prisonnier ? s’étonna la jeune mère. - Oui, il s’est échappé de notre donjon. - C’est un vil Angevin ! renchérit Guillaume dont la petite voix enfantine seyait mal à ce genre de déclaration. Sybille, passant outre l’ironie qu’il y avait à voir son plus jeune fils parler ainsi, lui qui avait pour père le premier de ces vils Angevins, resta un instant attendrie devant le tableau belliqueux qu’offraient ses deux enfants. Tous deux avaient levé vers elle leur visage à la ressemblance frappante, et il semblait que les quatre même yeux bleus, entourés des mêmes boucles blondes la fixaient. Il fallait bien l’avoir connu pour discerner les traits d’Abo dans ceux d’Aymeric ; quant à Guillaume, il était le portrait craché de sa mère et il arborait en cet instant un air décidé fort semblable à celui qu’elle offrait bien souvent à son entourage. Phénix, de son côté, ne goûtait visiblement pas la plaisanterie que lui faisaient ses deux petits maîtres et loin de partager l’amusement de la dame de Déols, poussa un miaulement plaintif depuis sa cachette qui poussa les enfants à lui accorder de nouveau leur pleine attention. Ils tentèrent bien de s’en saisir alors qu’il faisait mine de s’échapper, mais Guillaume s’empêtra dans l’épée presque aussi grande que lui et entraîna en s’y accrochant son frère aîné dans sa chute, si bien que le chaton put en profiter pour filer, au plus grand déplaisir d’Aymeric qui sermonna sévèrement son cadet et voulu récupérer son arme de bois puisqu’il était visiblement le seul à savoir s’en servir tandis que Guillaume, vexé, se plaignait de ne pas en posséder une semblable. - Tu en demanderas une à mon parrain lorsqu’il reviendra, lui répondit son aîné. N’est-ce pas, maman ? Sybille, qui s’était à nouveau tournée vers le seigneur d’Ambrault, se raidit à cette question. Ce n’était pas la première fois qu’Aymeric évoquait son parrain, ignorant que sa mère, dans l’accès de fureur qui avait suivi l’annonce de la mort de Sulpice l’avait chassé de Châteauroux, ne souhaitant plus rien avoir à faire avec cette famille qui lui avait ôté son père de la plus misérable des façons. Cette fois-ci comme les précédentes, elle éluda la question et après avoir passé sa main dans les boucles blondes de son fils, une moue songeuse aux lèvres, renvoya les deux enfants auprès de leur gouvernante en promettant à Guillaume qu’elle lui ferait faire une nouvelle épée de bois. Si les deux garçons s’éloignèrent sans protester – après tout, ils avaient un prisonnier à rattraper – Jehan, quant à lui, ne se priva pas de couler en direction de la jeune mère l’un de ces regards profonds qui signifiaient clairement que s’il ne disant encore rien, il n’en pensait pas moins, et surtout qu’il devinait qu’elle n’était pas aussi à l’aise qu’elle voulait bien le laisser paraître. S’évitant une conversation qu’elle ne souhaita pas avoir, elle décréta que les derniers préparatifs pour son départ à réclamaient son attention et sortit, laissant sur la table la lettre de l’archevêque de Bourges dont elle n’avait pas terminé d’entendre parler.
C’est une dame songeuse qui, dès le lendemain matin, prit la route de Paris. Sybille n’avait pas remis les pieds à la cour depuis qu’elle y avait appris la mort de son père quelques longues semaines auparavant, et à cette pensée, son cœur se serra. Si elle avait fini, non sans difficulté, par faire le deuil de Sulpice et par raisonner son inquiétude pour Hugues pour lequel elle ne pouvait rien faire, les remords avaient vite succédés au chagrin et à la rage au souvenir de la façon dont elle s’était emportée contre le comte de Champagne. Les semaines qui s’étaient écoulées depuis leur dernière entrevue ne lui avaient laissé que trop de temps pour regretter ce qu’elle lui avait dit et sentir à quel point elle avait été injuste envers lui en le repoussant sans ménagement, comme s’il avait lui-même assassiné son père. Sa rancœur à l’égard de Thibaud IV restait entière, mais elle ne pouvait s’empêcher de s’en vouloir d’avoir été si dure avec Henri, au point de lui interdire de revenir à Châteauroux. Sa douleur face à la perte de ce père auquel elle tenait temps l’avait aveuglé, mais elle n’avait pu que réaliser depuis que le jeune homme ne lui avait jamais rien promis concernant sa libération et surtout, qu’il avait cherché à l’épargner, à lui éviter d’avoir à apprendre publiquement une nouvelle qui se murmurait pourtant déjà à la cour lorsqu’il l’avait entraînée dans ses appartements. En un mot, Sybille regrettait. Elle regrettait son attitude tout comme l’ordre qu’elle lui avait donné de ne plus approcher ses terres, et ce d’autant plus qu’il lui arrivait parfois de laisser son regard errer sur un manuscrit qu’elle n’avait pas eu le cœur à ôter de sa vue, ce bestiaire qu’il lui avait offert ce qui lui semblait des siècles plus tôt désormais et qu’elle avait laissé ouvert sur le dessin d’un superbe phénix qui déployait ses ailes embrasées. Si elle avait cessé de feuilleter le magnifique ouvrage, la dame de Déols n’avait pu se résoudre à l’éloigner et elle avait bien dû finir par admettre que ce qu’elle regrettait également, c’était la présence d’Henri, le souvenir de court moment de complicité partagé lorsqu’elle avait découvert le bestiaire et qui laissait presque croire qu’ils auraient pu être amis. Elle avait bien songé à écrire au comte, mais un reste de fierté l’avait toujours retenu. Un reste de fierté et la sensation que les excuses qu’elle lui devait valaient plus qu’une simple lettre. L’espace d’un instant, alors qu’après plusieurs jours de voyage, elle faisait son entrée dans la cour du palais de la Cité, Sybille songea qu’elle aurait peut-être bientôt l’occasion de revoir le comte de Champagne, mais la perspective de véritables excuses n’était pas chose facile pour la fière dame de Déols aussi écarta-t-elle le jeune homme de ses pensées pour se concentrer sur ce qui l’attendait. En effet, elle avait croisé sur sa route le messager qui portait à Déols la convocation royale à laquelle elle s’attendait – lequel message s’était dit soulagé de la rencontrer car elle vivait selon lui dans une région fort troublée où il était impossible de toujours savoir avec précision à qui appartenaient les terres sur lesquelles on se trouvait – et elle se devait de se présenter au conseil dès le lendemain de son arrivée afin que l’affaire soit examinée, charmante invitation qui ne souffrait ni délais ni qu’elle se laissât perturber par des pensées plus troublées. Elle aurait le temps de songer au comte bien assez tôt, et à vrai dire, bien plus tôt qu’elle ne l’imaginait.
Le soir était tombé lorsqu’elle prit possession de ses appartements au palais avec sa petite suite dans laquelle ne figuraient ni Jehan d’Ambrault, ni Amaury d’Issoudun car elle ne voulait pas donner l’impression d’avoir besoin d’un chaperon. Cyrielle, qui l’accompagnait partout, fut chargée de faire ce qu’elle était censée faire de mieux, c’est-à-dire d’aller discrètement aux nouvelles, de prendre la température de la cour, et de lui rapporter les principaux évènements qu’elle avait pu manquer, rapport auquel se livra la jeune servante tard dans la soirée avant de se retirer, laissant sa maîtresse passer ne nouvelle nuit sous le sceau de l’insomnie. Elle n’avait en effet pas fermé l’œil lorsque le jour se leva, mais rompue à ces longues heures sans sommeil, elle ne s’en formalisa pas et se prépara à aller faire face au conseil tout en songeant qu’Amaury et ses chevaliers ne perdaient décidément rien pour attendre. L’heure venue, elle se présenta devant la grande salle d’assise armée de son éternel masque froid et d’une inébranlable résolution, bien décidée à ne pas se laisser ni impressionner, ni marcher sur les pieds. Elle sentit bien son cœur battre un peu plus fort dans sa poitrine lorsqu’on la fit entrer, mais cette vague appréhension ne la poussa qu’à relever fièrement le menton, sans sembler se préoccuper des regards de toutes sortes qui se posèrent sur elle. Bien au contraire, elle ne se gêna pas pour dévisager chacun à leur tour les membres du conseil. Il y avait là le chancelier Hugues de Champfleury et le roi qu’elle salua respectueusement, entouré de ses familiers. Elle nota également la présence du chapelain Cadurc qui détestait publiquement Pierre de la Châtre auquel elle adressa un regard froid, et sentit peser sur elle l’œil perçant du bouteiller Guy de Senlis. C’est lorsque ses yeux se posèrent sur la silhouette à ses côtés qu’elle se raidit légèrement car elle reconnut aussitôt le comte de Champagne qui s’était tourné vers son frère et dont elle ne croisa pas le regard. Elle aurait sans doute dû s’attendre à le trouver là, mais cette possibilité ne lui avait pas un instant effleuré l’esprit et lorsqu’elle se détourna pour faire face au roi, elle songea le cœur lourd qu’elle était définitivement sur un terrain bien glissant. - Vous avez été convoquée à ce conseil à la demande de l’archevêque de Bourges, je suppose que vous savez pourquoi, ma dame, lança enfin le roi en la dévisageant d’un air que Sybille ne sut déchiffrer. - Oui, sire, répondit-elle d’un ton égal. - Les membres de ce conseil ayant été mis au courant des faits, nous allons écouter les griefs formulé par l’abbé de Saint-Hubert, qui nous a adressé une lettre. La dame de Déols, qui semblait de marbre, vit émerger des hommes qui se massaient devant elle la silhouette tonsurée d’un moine qui tenait à la main ce qui devait être la fameuse lettre du père abbé. A l’invitation du roi, il en commença la lecture et fit entendre à l’ensemble du conseil une série de reproches affolés, de descriptions catastrophiques qui évoquaient des dégâts tels que l’on aurait dit que ce n’étaient pas quatre seigneurs avec leurs hommes qui avaient fondu sur l’abbaye, mais les chevaliers de l’Apocalypse eux-mêmes, si bien que Sybille se demanda en jetant un regard autour d’elle si l’on pouvait réellement prendre au sérieux cette missive. Elle fut moins tentée de faire de l’ironie lorsque le moine se mit à donner des noms, qui étaient effectivement ceux de ses vassaux, à l’exception d’un seul, sur lequel le pli de l’abbé s’achevait. - Ces hommes sont bien mes vassaux, et ils ont reconnu avoir lancé une attaque sur l’abbaye, mais je n’ai jamais entendu parler du dernier, assura-t-elle en fronçant les sourcils. - Ah non… bredouilla le moine, il s’agit d’un seigneur relevant du comte de Sancerre. L’ensemble des regards se tournèrent vers le comte en question, qui se trouvait auprès de son frère et se ratatina sur son siège jusqu’à ce que Pierre de la Châtre ne reprenne la parole. - Vous reconnaissez donc bien que vous hommes ont participé à cette expédition, et causé de lourds dommages à l’abbaye ? - En l’occurrence, ils n’étaient pas sous mes ordres, et ont agi sans m’en informer. Mais j’ai convoqué le seigneur d’Issoudun et ceux qui l’accompagnaient, ils ne s’en sont pas défendus. L’abbaye de Saint-Hubert aurait omis de payer les droits qui revenaient au seigneur d’Issoudun… - Mais nous ne lui devons aucun droit, nous possédons une charte qui le prouve ! l’interrompit le moine.
La jeune femme haussa un sourcil. Elle connaissait bien ses terres et leurs frontières, ainsi que les monastères qui s’y trouvaient, or jamais elle n’avait entendu parler de cette charte, ni de la bouche d’Abo, ni de celle de Jehan. - Charte ou non, reprit l’archevêque de Bourges qui n’avait pas l’air particulièrement au courant non plus, cette abbaye est sous ma protection. Et au nom de l’abbé, je demande réparation, sire, déclara-t-il en se tournant vers le roi. Il y eut un murmure d’approbation du côté des évêques et autres ecclésiastiques qui faisaient partie du conseil, tandis que Sybille se raidissait à nouveau, prête à livrer la bataille qui serait sans doute âpre, car elle n’était pas disposée à céder à n’importe quoi. Louis VII, quant à lui, hocha la tête. La dame de Déols, avant d’être mise ne défaut, décida qu’il était temps d’essayer de prendre la main et sans laisser le temps à l’archevêque de poursuivre, elle prit la parole : - Je connais vos exigences, monseigneur, elles étaient clairement consignées dans la lettre que vous m’avez fait parvenir avant de vous réclamer de cette assemblée, lança-t-elle, non sans une froide ironie. Elle eut le plaisir de le voir pincer les lèvres avant d’étudier les traits du roi qui, quant à lui, ne laissa rien paraître. Cadurc, lui, semblait brusquement ravi et ses yeux porcins s’étaient plissés, presque avec perfidie, et quoi qu’elle l’aurait voulu, Sybille se garda bien de lever les yeux vers Henri. - J’ai bien conscience que cette attaque n’aurait jamais dû avoir eu lieu, et de l’ampleur des dégâts qu’elle a pu causer, sire, poursuivit-elle en s’adressant au monarque, et je suis prête à faire les gestes nécessaires… dans la limite du raisonnable. Ces paroles déclenchèrent un nouveau murmure que la jeune dame ne sut interpréter. Elle savait qu’elle prenait le risque de s’aliéner beaucoup des éminents membres de ce conseil en ne se donnant pas l’air docile d’une dame apeurée, mais c’était là une attitude qui allait au-dessus de ses forces. Elle avait après tout le droit, comme n’importe quel seigneur, de défendre sa position et forte de cette assurance, elle se redressa fièrement lorsque Louis VII demanda à entendre les revendications de l’abbé de Saint-Hubert, dont l’archevêque se fit l’interprète. Celles-ci n’étaient guère différentes de celles qu’elle avait déjà pu lire dans sa missives, à quelques exceptions près puisque certaines avaient étrangement disparues, ce qui manqua de peu de lui tirer un sourire ironique. Elle pensait ne rien entendre de nouveau, mais alors qu’il semblait avoir terminé, Pierre de la Châtre poursuivit : - L’abbé a également suggéré que vous fassiez publiquement contrition. Sybille, à l’écoute de cette dernière exigence, se crispa vivement. De tout ce qui venait de lui être demander – dons de terres, d’argent, excuses et autres – c’était bien là ce qui lui coûterait le plus. Et il n’en était pas question. - Vous en demandez beaucoup, monseigneur, constata-t-elle, et je peux accéder à toutes vos exigences. J’ai dit que j’étais prête à faire… - Est-ce bien là une décision qui vous revient ? interrogea soudain une voix inconnue, qui s’avéra être celle d’un moine qui portait la bure blanche des cisterciens. Les terres de Châteauroux appartiennent à votre fils, si je ne m’abuse… Ce dernier a-t-il un tuteur qui puisse s’exprimer pour lui ? Comte Henri, vous qui êtes son parrain, qu’avez-vous à dire sur la question… ? C’était un camouflet, et Sybille n’avait pu s’empêcher de blêmir, outrée qu’on lui déniât le droit de s’exprimer alors qu’elle régentait ses terres depuis maintenant près de cinq ans, furieuse que l’on s’adressât à quelqu’un d’autre – d’autant que ce quelqu’un n’était autre que le comte qu’elle avait chassé sans ménagement de Châteauroux. Le cœur battant, elle imita l’ensemble de l’assemblée en se tournant vers Henri de Champagne, sur lequel elle vrilla un regard perçant. Si elle avait bien songé à lui pardonner ce qu’elle lui avait injustement reproché, les excuses qu’elle aurait pu se résoudre à lui faire dépendaient désormais des mots qu’il allait prononcer et qui pourraient sceller bien des choses. |
| | | Henri de Champagne
PREUX CHEVALIER ☩ L'honneur en armure, La bravoure en bouclier, La gloire en étendard
Messages : 605 Date d'inscription : 10/12/2012 Localisation : Entre mes terres de Champagne, celles de mon frère à Blois, la cour de Louis VII et Châteauroux
| Sujet: Re: Ira furor brevis est (Sybille/Henri) Mar 26 Nov - 23:38 | | Henri de Champagne a dit: | Henri de Champagne, contrairement à ce que son manque d'enthousiasme en cette journée-là ou son idéal de chevalier parfait qu'il tentait de respecter laissaient penser, avait toujours été dans son élément au sein des conseils, que ce soit pour y participer ou pour les présider. Certes, on était parfois loin des champs de bataille ou des lices de tournoi, et ainsi de toutes les valeurs de courage et de vertu qu'on y défendait par la pointe de l'épée et jusqu'à la mort et bien nombreux étaient ces chevaliers errants qui rechignaient à se présenter à la table de leur seigneur, considérant que ce n'était qu'abaissement que de devoir donner son avis pour des questions temporelles ou trouver des compromis avec ses ennemis. Bien nombreux étaient ceux qui, du loin de leur poésie courtoise ou de leurs exploits d'armes, méprisaient ces longues discussions acharnées, ces intrigues et ces paroles acérées, aussi nombreux, peut-être, que ceux qui rêvaient d'y être admis, de siéger à la droite du roi pour lui mieux lui souffler des conseils ou pour mieux se battre pour leurs intérêts. Ces derniers avaient souvent tendance à idéaliser les temps de conseils, songeant sans doute que c'était là la meilleure manière de prouver son importance à la cour, que c'était là le siège de grandes décisions et de débats importants. C'était les mêmes qui pensaient que l'on pouvait aisément manipuler le roi, que seules les voix les plus portantes se faisaient entendre du souverain et que gouvernaient à sa place conseillers influents et personnalités dans l'ombre, plus habiles à diriger son esprit que les autres. Mais ils n'étaient que les dupes d'un masque que portait Louis VII et dont seuls ses deux yeux bruns brillants et profonds qui scrutaient tour à tour chacun de ceux qui prétendaient porter la couronne à sa place laissaient apercevoir l'illusion. Le comte de Champagne, quant à lui, ne s'interrogeait guère sur la validité des décisions prises lors des conseils ou sur sa chance de pouvoir en faire partie, depuis son plus jeune âge, puisque son père avait l'intention de faire de lui son parfait héritier, il avait assisté à ces assemblées composées des plus puissants vassaux et de ces évêques aux noms les plus prestigieux, il avait vu Thibaud IV s'installer sur sa chaise qui ressemblait davantage à un trône pour insuffler le chaud et le froid devant ses favoris et ses officiers, demandant les avis de chacun pour ne finalement que décider seul. Avec une fascination croissante, son fils l'observait manipuler ses fidèles pour parvenir jusqu'à obtenir ce qu'il avait lui-même décidé. Deux pratiques fort différentes si on la comparait avec les hésitations et la faiblesse de Louis VII mais tout aussi efficaces. Et si Thibaud n'avait pas souvent fréquenté le palais de la Cité, Henri s'y restreignait. Assister au conseil n'était là qu'une face du serment qu'il avait prêté lors de son hommage, il se devait d'apporter ses conseils à son seigneur et de se montrer garant de ses prises de position. Ce n'était pas l'un de ces devoirs que l'on efface d'un geste de la main ou que l'on méprise ouvertement comme le faisaient des comtes importants comme celui d'Anjou, c'était pour Henri le fondement même du pouvoir et des relations entre le vassal et son seigneur, c'était la seule façon d'être entendu et de peser, même s'il connaissait très bien les apparences que se donnait le roi, pour avoir vécu dans sa proximité pendant les longs mois de la croisade. Louis VII, lui, n'ignorait pas la volonté de puissance de son comte de Champagne, aussi aucun n'était le dupe de l'autre et malgré les formules alambiquées, malgré les intérêts dissimulés, ils se comprenaient peut-être davantage que n'importe quel autre vassal avec son suzerain. Pourtant, s'il aimait ces joutes verbales, s'il avait au final toute sa place dans ce nid de vipères, serpent lui-même, s'il considérait qu'il était là de son bon droit grâce à ses mérites, à sa naissance et à son serment de fidélité, Henri sentit un léger malaise l'envahir, malaise qu'il cacha habilement derrière l'insouciance avec laquelle il se pencha vers son jeune frère pour échanger quelques mots avec lui. Malaise que nul ne pouvait soupçonner, pas même ce roi si observateur ni même le fourbe bouteiller de Senlis, et combien même auraient-ils pu comprendre, leurs regards étaient tournés vers la nouvelle arrivée au sein du conseil, et en laquelle résidait la raison du malaise du jeune homme. C'était Sybille de Déols qui venait de pénétrer dans la pièce et tous les visages se penchaient vers elle, dans une curiosité mêlée de méfiance.
Il ne l'avait pas revue depuis le jour où il l'avait quittée alors qu'elle pleurait et se désespérait de la mort de son père et si on aurait pu penser que les jours qui passaient pouvaient atténuer la haine, Henri savait que Sybille de Déols n'était pas faite de ce bois-là, elle avait la rancune tenace et à dire vrai, sa famille méritait la colère de Sybille pour avoir tué l'un de ses siens. N'ayant pas été mis au courant des exactions perpétrés par les chevaliers d'Issoudun et Issoudun lui-même, l'un de ces vassaux de la dame dont le comte se méfiait car il le savait hostile aux Blois et qu'il se rendait bien compte du vif intérêt qu'il éprouvait à être dans l'entourage de la jeune femme, Henri ne se doutait pas un seul instant qu'il serait amené à faire face de nouveau à celle qu'il avait profondément blessée, et en de telles circonstances. Comment pourrait-il donner son conseil sur une telle affaire qui la touchait de si près sans être partial ou peut-être s'attirer ses foudres, qu'il la défende ou l'attaque, d'ailleurs ? Comment pourrait-il soutenir le regard perçant de la jeune dame et lire en lui un reste de colère et de rancœur qui le blesserait à coup sûr ? Dans un premier temps, il laissa ses yeux suivre les courbes de la silhouette de Sybille, notant quelques détails qui prouvaient un certaine crispation, dans sa nuque ou dans ses poings, avant de s'arrêter sur sa fort belle mise, qui ne dénotait pas avec la somptuosité de certains habits de cour portés par les princesses qui hantaient ces lieux. Puis il s'arrêta sur son visage impassible, eut un léger sourire en constatant qu'elle gardait ce masque et cette moue qu'il lui avait bien des fois connus et qui lui donnait l'air indifférente à ce qui pouvait l'entourer, manière sans doute pour elle de se protéger et qui lui accordait un flegme bien pratique en ces circonstances. Elle ne se troubla pas un instant en sentant tous les regards se poser sur elle et leva même fièrement le menton en réponse aux mines courroucées ou impatientes qui lui faisaient face. Étrangement, cela rassura Henri et suffit à le contenter car malgré tout ce qui s'était passé, elle n'avait pas changé, elle avait retrouvé sa force, son courage et sa fierté, son abattement n'avait été que passager. Il voyait de nouveau en elle la Sybille avec laquelle il avait eu le droit d'être ami et qu'il était presque parvenu à apprivoiser avant qu'elle ne se cabre à nouveau et ne s'éloigne définitivement de lui, celle qui ne fléchissait pas face à l'adversité et soutenait les accusations et les griefs qu'on lui imputait sans reculer ou sans chercher refuge derrière des mauvaises excuses qui auraient dévoilé sa faiblesse et auraient permis à ces serpents de la cour du roi – car tous ecclésiastiques qu'ils étaient, Pierre de La Châtre ou Cadurc ne faisaient pas exception – de fondre sur elle pour s'emparer de ses dépouilles et lui arracher des privilèges. - Qui est-ce ? Il me semble avoir déjà vu cette veuve de Déols mais je suis incapable de me souvenir où, murmura Étienne de Sancerre en se penchant vers son frère aîné qui sursauta malgré lui, s'attirant par là un coup d’œil circonspect de Guy de Senlis. Ce ne fut qu'à ce moment-là qu'Henri s'aperçut qu'il avait dévoré Sybille du regard et qu'il avait à peine écouté les premières paroles qui venaient d'être échangées mais qui prenaient déjà l'allure d'une joute verbale avec pour arbitre ce même roi impassible et voûté qui dardait des yeux bruns fatigués sur une lettre qu'il finit par tendre à Hugues de Champfleury. - Elle est tout de même plutôt jolie, poursuivait Étienne, décidément bien prompt à bavarder puisqu'il ne se sentait pas concerné par tous ces problèmes d'abbaye – Henri avait d'ailleurs entendu dire qu'il se contentait de s'imposer à elles par la force –, il ne me déplairait pas de la connaître davantage, j'ai toujours à cœur les intérêts des veuves... - Étienne..., souffla Henri en détournant encore une fois son attention de la scène qui se passait devant eux pour mieux lever les yeux au ciel, je suis le parrain du fils de la dame de Déols et je tente de la convaincre d'épouser Thibaud. Il allait ajouter qu'elle était également fille de Sulpice d'Amboise mais ses explications suffirent à faire retourner Étienne dans le fond son siège en déclarant d'un ton contrit qu'il ne voulait pas marcher sur les plates-bandes de leur frère. De toute façon, la liste des déprédations que l'abbaye de Saint-Hubert avait subies – et qui poussait à se demander comment elle pouvait encore être debout et comment les moines étaient encore là pour en témoigner – s'achevait par les noms des chevaliers incriminés. Henri reconnut sans peine les vassaux de la dame de Châteauroux pour les avoir côtoyés à plusieurs reprises lors de ses visites dans le Berry et pour lesquels il n'avait aucune estime personnelle car c'était là surtout des partisans d'Issoudun et donc d'une ligne de conduite plus proche de celle de l'Aquitaine que de celle de la maison de Blois. Mais le jeune moine envoyé par l'abbé des lieux n'avait pas besoin de lui pour les décrire complaisamment comme des seigneurs pilleurs, avides de richesse et qui s'en prenaient à la faible et désarmée Église qu'ils avaient pourtant juré de protéger. Henri nota non sans ironie que cet Amaury d'Issoudun n'avait même pas eu le courage de paraître et laissait sa dame plaider seule en sa faveur. Sans doute, n'assumait-il même pas ses actes. Le couperet finit toutefois par retomber sur Étienne de Sancerre, toujours occupé, semblait-il, à ses rêveries, à la lecture du dernier nom de la lettre. - Ces hommes sont bien mes vassaux, et ils ont reconnu avoir lancé une attaque sur l'abbaye, mais je n'ai jamais entendu parler du dernier, assurait Sybille. - Ah non..., bredouilla le moine en réponse, il s'agit d'un seigneur relevant du comte de Sancerre. Dans un bel ensemble, tout le monde se retourna vers le jeune Étienne qui se trouvait être le comte en question, lequel se mit brusquement à rougir avant de devenir pâle comme la mort, se demandant visiblement comment il s'était débrouillé pour se retrouver dans ce traquenard. Henri, pas foncièrement étonné, leva un sourcil mais Pierre de la Châtre, qui ne perdait pas de vue ses objectifs et ne devait guère avoir envie de blâmer le fils cadet de son grand soutien Thibaud IV, dont il devait espérer le secours dans sa demande, n'insista pas et choisit d'ignorer cette information secondaire pour retourner sur le cas qui l'intéressait, à savoir continuer à souligner la responsabilité et donc les manquements de Sybille de Déols, combien même celle-ci ne relevait pas davantage des chevaliers de l'Apocalypse qu’Étienne de Sancerre, qui se ressemblaient presque dans leur petit gabarit et leur blondeur angélique.
- Ah oui, j'oubliais, dame Sybille possède de vastes terres jusqu'aux frontières de Bourges, elle est sur la frontière de Sancerre, ne put s'empêcher de glisser le comte de Champagne à son petit frère, d'un ton ironique, lequel petit frère paraissait s'être rendu compte que décidément cette dame-là apportait bien trop d'ennui car il ne fit nul commentaire par peur d'être pris en défaut. Pendant ce temps, la jeune femme tentait de se défendre d'une voix égale et sans vouloir se laisser impressionner par l'animosité manifeste de l'archevêque de Bourges, en expliquant qu'elle avait convoqué ses vassaux et que l'abbaye de Saint-Hubert aurait omis de payer les droits qui revenaient au seigneur d'Issoudun. - Mais nous ne lui devons aucun droit, nous possédons une charte qui le prouve, l'interrompit le jeune moine. Voilà qui pouvait rendre l'affaire plus compliquée si cela s'avérait vrai car les immunités pouvaient même exempter les tutelles épiscopales sur les abbayes mais comme le reste de l'assemblée, Henri n'intervint pas pour le souligner, comme si personne n'avait envie de se lancer sur des spéculations. Pour subir quotidiennement des revendications d'indépendance de monastères sur son territoire, le comte de Champagne n'y était pas particulièrement favorable même si c'était là parfois une manière de s'attacher directement des communautés qui lui devaient alors leur autonomie et passaient outre l'autorité des puissants évêques de sa principauté. Faisant comme si le moine n'avait pas ouvert la bouche, Pierre de La Châtre poursuivit en se tournant vers Louis VII qui avait gardé un silence obstiné : - Charte ou non, cette abbaye est sous ma protection. Et au nom de l'abbé, je demande réparation, sire. Les réactions furent contrastées au sein du conseil. Si le roi hocha la tête et les principaux ecclésiastiques – à l'exception de Cadurc qui arborait un air contrarié – approuvèrent, le comte de Nevers protesta qu'on devait écouter ce que Sybille de Déols avait à dire avant de prendre la moindre décision, ce à quoi le comte de Champagne acquiesça, désireux de défendre les intérêts des seigneurs laïcs qui avaient tout à perdre de cette histoire si elle venait à se répéter. Seul Guy de Senlis demeurait imperturbable – pendant qu’Étienne tentait visiblement de se faire oublier en se ratatinant sur son siège, comme s'il craignait de devoir rejoindre Sybille du côté des accusés. - Je connais vos exigences, monseigneur, elles étaient clairement consignées dans la lettre que vous m'avez fait parvenir avant de vous réclamer de cette assemblée, lança la dame de Déols, espérant de cette manière obtenir la sympathie du roi, en soulignant que l'archevêque de Bourges avait cherché un accord sans le consulter, ce qui n'était pas loin d'être perfide de sa part. Si le chapelain eut un brusque sourire, la plupart des seigneurs présents se gardèrent bien de faire le moindre commentaire. Quand on pouvait passer outre l'arbitrage du roi, on n'hésitait pas, c'était là une question de montrer que l'on cherchait à exercer sa propre justice sur ses terres. Néanmoins, Henri sentit son intérêt pour le débat s'accroître. S'il avait eu envie de pouvoir se porter auprès de la dame de Déols pour défendre les responsabilités de son fils et ses droits, il était désormais davantage curieux de savoir comment la jeune femme allait s'en sortir puisqu'elle semblait prête à rendre coup pour coup, telle la combattante qu'elle lui avait prouvé être lors de la chasse que l'on avait organisé à Châteauroux en la présence du seigneur de Loches et, bien qu'elle ne soit qu'une régente non habituée aux conseils royaux, à combattre avec les mêmes armes que ses adversaires. Elle aurait pu adopter la stratégie contraire, en ayant l'air d'une jeune femme effrayée qui aurait pu les manipuler par des paroles de velours mais ce n'était pas là dans le caractère de la fille de Sulpice d'Amboise. Contrairement à Pierre de La Châtre, elle ne cherchait nul soutien dans l'assemblée, elle n'avait visiblement acheté nulle parole favorable avant de se rendre à cette cour, et si elle s'adressait de temps en temps au roi ou à ses interlocuteurs immédiats, elle ne releva pas une fois le regard sur le jeune comte de Champagne qui pouvait l'observer à loisir, même si cela était loin d'atténuer le malaise qu'il avait ressenti à son entrée dans la salle car cette attitude lui paraissait être une preuve de la rancœur qu'elle conservait à son égard. - J'ai bien conscience que cette attaque n'aurait jamais dû avoir lieu et de l'ampleur des dégâts qu'elle a pu causer, sire, continua Sybille sans qu'on le lui en donnât l'ordre, et je suis prête à faire les gestes nécessaires... Dans la limite du raisonnable. Cela donna le signal pour l'archevêque de Bourges pour lire les revendications exprimées par l'abbé de Saint-Hubert, lesquelles étaient évidemment beaucoup trop importantes pour être acceptées en l’état mais c'était le jeu des compromis. Toutefois, Pierre termina sur un point sur lequel les discussions ne pourraient manquer d'achopper : - L'abbé a également suggéré que vous fassiez publiquement contrition. - Vous en demandez beaucoup, monseigneur, réagit vivement Sybille sans laisser le murmure s'éterniser autour d'elle, et je ne peux accéder à toutes vos exigences. J'ai dit que j'étais prête à faire... - Est-ce bien là une décision qui vous revient ? L'interrompit soudaine une voix qui s'était tue jusque-là et qui appartenait à un petit homme portant la bure blanche des cisterciens, attirant vers lui tous les regards et apportant par la même occasion le silence, les terres de Châteauroux appartiennent à votre fils, si je ne m'abuse... Ce dernier a-t-il un tuteur qui puisse s'exprimer pour lui ? Comte Henri, vous qui êtes son parrain, qu'avez-vous à dire sur la question... ?
Et un instant, ce que le jeune homme avait soigneusement tenté d'éviter depuis l'entrée de Sybille dans la salle eut lieu, à son grand désespoir : ce fut tout à coup lui qui fut au centre de l'intérêt général et tout le monde guettait son opinion sur la question que le cistercien venait de poser, faisant par la même occasion un véritable camouflet à la dame de Déols que l'on soupçonnait de ne pas pouvoir parler pour défendre son fils du fait de sa condition de femme. En soit, le comte de Champagne, l'élève de Bernard de Clairvaux était le protecteur naturel de l'ordre issu de Cîteaux et il n'était guère étonnant d'entendre l'un d'entre eux en réclamer à son interférence, car malgré leur indépendance assez affirmée, ils savaient rendre ce qu'on leur donnait – et Thibaud IV pour se faire pardonner de ses crimes avait beaucoup (trop) donné. En d'autres circonstances, si dénier ses droits à une femme ne le contrariait pas dans ses valeurs de grand seigneur, et si surtout il ne s'était pas s'agit de Sybille de Déols, peut-être aurait-il d'ailleurs été ravi qu'on le distinguât de cette manière. Mais en cette journée-là, ces paroles ne le plaçaient que dans une situation particulièrement délicate et si cela le frappa dès que le Cistercien eut refermé la bouche, il vit nettement la jeune femme, très pâle se retourner vers lui pour le fixer d'un regard perçant et bien peu aimable, le premier qu'elle lui adressait depuis qu'elle était présente mais qui glaça Henri bien qu'il n'en laissât rien paraître. Que pouvait-il répondre sans vexer la jeune femme mais sans faire mine de l'abandonner dans la bataille qu'elle menait seule pour le moment, ce qui paraîtrait lâche aux yeux de tous et surtout peu compréhensible pour celui qui s'était longtemps réclamé de son amitié et qui voulait la faire entrer dans sa famille ? Pour autant, il ne pouvait accepter de grignoter ses privilèges de mère, combien même cela faisait le jeu du comte qui avait tout fait pour peser dans cette région qu'il voyait bien être rattachée au Blésois. Il marchait donc sur un pente raide mais pour autant, après s'être adossé à son siège et s'être détourné de Sybille à laquelle il lança un regard indéfinissable, il arbora son éternel sourire chaleureux, en direction du reste de l'assemblée qui attendait, curieuse, surtout du côté de Guy de Senlis qui semblait le dévisager, avant de commencer d'un ton assuré : - Je suis en effet le parrain du jeune seigneur Aymeric de Déols mais la gestion de ses terres a été entièrement confiée aux soins de sa mère jusqu'à ce qu'il soit assez âgé pour remplir ses obligations. C'est Abo de Châteauroux, lui-même, cet illustre seigneur qui nous a quitté lors de la croisade, qui investi son épouse de ses fonctions avant son départ et rien ne nous permet de discuter ce choix, conclut-il en se retournant de nouveau vers la jeune femme en tentant d'analyser sa réaction devant des paroles qui allaient en sa faveur, dame Sybille est donc entièrement compétente pour vous répondre et je n'interviendrais pour l'appuyer que si elle le juge nécessaire comme je l'ai promis à son mari décédé. La coutume veut que nos mères nous gouvernent quand nous sommes trop jeunes pour le faire nous-mêmes, la tradition ne peut être remise quand elle est bonne. - Confier des terres à des femmes..., marmonna un ecclésiastique non loin mais le murmure d'approbation général couvrit ces paroles. - Vous n'avez donc pas de conseil à nous donner sur cette affaire, comte ? Intervint le roi qui semblait pensif sur son trône. Henri eut un large sourire et promena ses yeux sur les hommes qui lui faisaient face, attendant visiblement qu'il apporte son soutien à l'un ou à l'autre : - Je pense qu'il faudrait que nous sachions exactement à qui appartient le temporel de cette église abbatiale, s'il est aux seigneurs de Déols, cela ne diminue en rien la faute de ces chevaliers mais l'abbaye leur devait bien ces droits. S'il y a bien charte d'immunité... sans vouloir vous donner d'ordre, monseigneur l'archevêque, une partie des revendications que vous nous avez apportées est sans valeur. - C'est le cas de ce droit de péage sur la route de Bourges, renchérit Hugues de Champfleury qui avait le nez collé au parchemin. Ravi de son effet, le comte de Champagne recula sur son siège et observa les effets qu'avaient eu ses paroles avant de reporter son attention sur Sybille qui le regardait toujours. Avait-elle compris qu'il avait cherché à diviser les hommes présents et à détourner l'attention des exactions en elles-mêmes ? Pendant que chacun donnait son opinion sur le sujet, en effet, la position de l'archevêque de Bourges, rouge de colère, n'était plus aussi assurée tandis que le moine envoyé par l'abbé de Saint-Hubert bredouillait au centre, sans parvenir à se faire entendre. - Il suffit, tonna le roi, vous avez un diplôme immuniste ? Apportez-le moi pour que nous puissions l'examiner. Le moine s'exécuta en tremblant un peu alors que le chancelier s'en emparait pour lire que la charte avait été signée du sceau du roi Robert Ier, ce qui déclencha un large mouvement de perplexité. - Robert II, voulez-vous dire, le fils d'Hugues ? Demanda le Cistercien. - Non, répliqua Hugues de Champfleury, Robert Ier, en 944. - Robert Ier ne régnait pas en 944, affirma Guy de Senlis d'un ton sans appel. - Comment pouvez-vous en être aussi sûr ? Riposta Cadurc, qui se souvient de ce Robert Ier ? On dut convenir que personne n'était dans ce cas, aussi le chancelier fut envoyé par le roi pour aller vérifier la chose dans les archives royales – et vérifier qu'un double du diplôme avait bel et bien été conservé, au désespoir de Pierre de La Châtre et au profond agacement du bouteiller qui répétait que cela ne servait à rien puisque la charte était fausse.
Le comte de Champagne s'était de nouveau détourné de la dame de Déols pour échanger quelques mots avec son frère cadet et même s'il avait envie de l'observer pour examiner ses réactions, il se força à ne pas poser les yeux sur elle, gardant toute la froideur et espérait-elle la distance qu'elle lui avait demandé quelques semaines auparavant. Était-elle vexée de l'avoir vu prendre aussi vite position, sans lui laisser le temps de parler ? Sa simple présence l'agaçait-elle ? Continuait-elle à le haïr avec la même violence alors qu'il tentait de la défendre ? Des considérations plus terre à terre eurent tôt fait de le ramener dans le présent. - Je crois tout de même que cette abbaye est une fille de Déols, disait un Clunisien non loin du roi, s'attirant par là des regards mauvais de l'archevêque comme du Cistercien, elle a été réformée par notre très saint père Ragnulf en... - Je ne crois pas..., tenta le moine de Saint-Hubert. - Certainement pas ! S'écria le frère en bure blanche, mais nous pouvons en appeler à notre grand père Bernard qui aura sans doute un avis sur la question et qui vous montrera... Henri n'en doutait pas mais le chapelain Cadurc, s'il eut le mérite de mettre fin aux vaines querelles, s'écria au même instant, en pointant du doigts les frères Blois et rétablissant du même coup le silence dans la salle du conseil : - Je crois que l'on oublie un peu vite que dame Sybille n'est pas la seule impliquée dans cette affaire. N'est-ce pas, monseigneur archevêque ? - Heureusement que vous êtes là, ironisa Henri alors qu’Étienne se penchait sur son épaule pour lui demander de qui il parlait exactement avant d'acquiescer comme un enfant pris en faute à la suite de ses paroles, je suis sûr que mon frère s'engage à réparer les dégâts que son chevalier a pu causer, mais faudrait-il encore que l'on sache avec exactitude quels sont les dommages, la lettre du père abbé était fort peu claire à ce sujet. - Je m'y engage, approuva le jeune comte de Sancerre avec un sourire, notre famille voue une grande dévotion à saint Hubert, je m'en voudrais de savoir que nos chasses ne sont plus protégées par sa très sainte volonté ! La plaisanterie pourrait paraître de mauvais goût – elle accueillit en tout cas un regard blasé d'Henri qui n'avait guère envie de parler de sa relation avec le saint patron des chasseurs sous les yeux de la dame de Châteauroux – mais elle détendit légèrement l'atmosphère en attendant le retour du chancelier qui mettait bien tant de temps à trouver les malheureuses dates de règne d'un roi inconnu. Ecclésiastiques comme laïcs se mirent à évoquer avec enthousiasme leurs dernières prises, grâce à l'intervention miraculeuse d'Hubert à n'en pas douter tandis que Pierre de La Châtre renfrogné avait croisé les bras et que le moine de l'abbaye qui n'avait guère goûté le mot d'esprit paraissait désespéré et ne plus savoir comment réagir. - J'ai appris que vous aviez chassé en compagnie de dame Sybille il y a peu, commença Guy de Senlis en se tournant vers son voisin qui se crispa légèrement, appréciez-vous les terres de Châteauroux ? Bien conscient que la dame de Déols n'était pas loin et qu'elle devait les écouter, Henri hésita un instant sur la réponse à apporter mais ne pouvait se résoudre à entacher ce souvenir de la mort de Loches : - Dame Sybille est sans conteste une protégée de saint Hubert, plaisanta-t-il, elle est une excellente chasseresse et a fait une prise sous nos yeux mêmes, elle a de la chance de posséder une telle forêt. Visiblement Senlis ne voulait pas s'arrêter là mais Hugues de Champfleury était enfin de retour, mais l'attention d'Henri, même s'il attendait enfin le verdict, était détournée sur la jeune femme, toujours debout, face à lui. Son cœur battait un peu trop fort dans sa poitrine alors qu'il lui adressait un sourire timide, espérant bien plus qu'il ne l'aurait dû, qu'elle allait lui répondre de la même manière. |
| | | Sybille de Déols Per aspera AD ASTRA ✫
Messages : 559 Date d'inscription : 11/12/2012 Age : 31 Localisation : Sur mes terres de Châteauroux, sur celles de ma famille ou à la cour.
| Sujet: Re: Ira furor brevis est (Sybille/Henri) Dim 23 Fév - 19:57 | | Sybille de Déols a dit: | Sybille de Déols n’était pas de celles que l’on pouvait impressionner par une démonstration de force, quand bien même celle-ci consistait à réunir ni plus ni moins qu’un conseil royal composé des grands noms du royaume, laïcs comme ecclésiastiques. Si l’archevêque de Bourges pensait lui faire peur en brandissant la menace d’une comparution devant le roi, s’il pensait la voir trembler face à l’éminente assemblée qui lui faisait face, il se trompait lourdement. C’était bien mal connaître celle qui régentait seule des terres convoitées depuis bientôt cinq ans, celle qui avait fièrement tenu tête au comte d’Anjou, celle qui repoussait sans faiblir les offres de protection du comte de Champagne et qui, au moment d’entrer dans cette grande salle d’assise où tous la fixaient, eut une pensée pour son père qui jamais ne se serait laissé dicter ses actes par un quelconque conseil, aussi royal soit-il. Sybille savait pertinemment - comme tous ici - où son inflexibilité avait mené Sulpice d’Amboise, mais elle n’en restait pas moins sa digne fille, et Pierre de la Châtre se berçait de vains espoirs s’il pensait la voir simplement s’incliner. Elle n’en avait jamais eu l’attention, et elle y était d’autant plus déterminée que quelque part dans la salle se trouvait Henri de Champagne, devant lequel elle ne ferait pas une seconde fois preuve de faiblesse. Car non contente de s’être montrée odieuse envers lui alors que seul Thibaud IV était responsable de la mort de son père, elle s’était proprement effondrée face à lui, elle qui avait toujours mis un point d’honneur à lui rester indéchiffrable, et en plus de la détester pour ce qu’elle lui avait dit, sans doute avait-il désormais une bien piètre opinion d’elle. En d’autres circonstances, si elle n’avait pas senti peser sur elle les regards de toute l’assemblée, si elle n’avait pas dû défendre une position précaire face au conseil, Sybille aurait certainement réalisé qu’elle n’était pas censée accorder la moindre importance à ce que pouvait penser d’elle le comte de Champagne, ni même se préoccuper de lui présenter des excuses, car après tout, il était le fils de Thibaud IV, mais elle se garda bien d’y songer. Ce n’était ni le moment, ni le lieu, et si elle ne pouvait nier qu’il avait un peu trop tendance à hanter ses pensées, la jeune dame se voulait encore capable l’oublier lorsque la situation l’exigeait - du moins de l’oublier jusqu’à un certain point, car il avait lui aussi son conseil à donner sur l’affaire qui l’amenait devant le roi, et elle ne pouvait que redouter qu’il ne se rangeât du côté de l’archevêque de Bourges, à moins qu’il ne préférât profiter de la situation à son avantage. Il avait toutes les raisons de le faire, même si une infime part de la jeune femme voulait croire qu’elle se trompait. Cette même part d’elle-même qu’il lui fallait étouffer pour ne pas lever les yeux vers Henri alors qu’elle ne pouvait s’empêcher de se demander, pendant que l’on débattait des dégâts causés à l’abbaye de Saint-Hubert et des réparations qu’il lui faudrait concéder, s’il elle aurait pu deviner une réaction sur ses traits. Cette même part d’elle-même qui la poussait à redouter qu’il n’accepte pas ses excuses, alors qu’obstinément, son regard restait fixé sur le roi et ceux qui l’entourait et dont les différentes voix l’appelaient tour à tour brusquement à se concentrer sur ce qui l’amenait. L’archevêque de Bourges eut même pour rappeler ses pensées à l’ordre un argument percutant, celui de la contrition publique à laquelle il était hors de question qu’elle se livre, mais alors qu’elle s’apprêtait à le lui faire savoir, l’ironie du sort, en la personne d’un cistercien qui n’avait pas pris la parole jusque là, voulut qu’elle n’ait d’autre choix que de se tourner vers Henri.
Les paroles du frère en bure blanche constituaient un affront si direct qu’elle en resta muette. Sybille savait que sa condition de femme ne lui serait d’aucune aide, mais elle ne s’attendait pas à une telle attaque, qui faisait ni plus ni moins que lui dénier le droit de parler pour ses terres, et ce sans même s’adresser à elle mais en en appelant directement au parrain d’Aymeric. Le camouflet était d’autant plus sévère que tous savaient l’obstination de la dame de Déols à refuser les offres du comte de Champagne, et qu’ignorer son avis de régente et de mère revenait à donner à Henri un rôle qu’elle gardait jalousement pour elle. C’est donc pâle de colère qu’elle se tourna vers le jeune homme, et le premier regard qu’elle lui adressa depuis son entrée dans la salle fut terriblement froid. Pâle également parce que la veuve d’Abo, celle qui avait rencontré le fils de Thibaud IV deux ans auparavant, savait qu’elle avait tout à redouter de sa réponse, car c’était là une belle occasion d’arriver à ses fins qui lui était offerte - une occasion qu’un comte décidé à l’emporter et qu’elle avait presque insulté quelques semaines auparavant n’avait aucune raison de ne pas saisir. Il y eut un court silence. Croisant les yeux bruns d’Henri, Sybille se raidit légèrement sans parvenir à déchiffrer son expression qu’il camoufla de toute façon bien vite derrière un sourire chaleureux - de ceux qu’elle se surprenait parfois à chercher sur son visage - avant de prendre la parole. - Je suis en effet le parrain du jeune seigneur Aymeric de Déols mais la gestion de ses terres a été entièrement confiée aux soins de sa mère jusqu'à ce qu'il soit assez âgé pour remplir ses obligations. C'est Abo de Châteauroux, lui-même, cet illustre seigneur qui nous a quitté lors de la croisade, qui investi son épouse de ses fonctions avant son départ et rien ne nous permet de discuter ce choix. Si Sybille semblait rester de marbre, sa silhouette soudain moins crispée ne put que trahir son soulagement, et alors qu’elle croisait à nouveau le regard du comte, pendant une infime seconde, elle se sentit coupable de l’avoir soupçonné. Une infime seconde, car, la sermonna sa raison, il lui avait donné bien des motifs de méfiance auparavant. - Dame Sybille est donc entièrement compétente pour vous répondre et je n'interviendrais pour l'appuyer que si elle le juge nécessaire comme je l'ai promis à son mari décédé, poursuivit Henri. La coutume veut que nos mères nous gouvernent quand nous sommes trop jeunes pour le faire nous-mêmes, la tradition ne peut être remise quand elle est bonne. Un murmure d’approbation s’éleva dans la salle, malgré les récriminations d’un ecclésiastique qui s’attira un regard sombre de la jeune dame. Celle-ci aurait volontiers repris la parole, mais ce fut la voix du roi qui résonna. - Vous n'avez donc pas de conseil à nous donner sur cette affaire, comte ? demanda-t-il. - Je pense qu'il faudrait que nous sachions exactement à qui appartient le temporel de cette église abbatiale, s'il est aux seigneurs de Déols, cela ne diminue en rien la faute de ces chevaliers mais l'abbaye leur devait bien ces droits. S'il y a bien charte d'immunité... sans vouloir vous donner d'ordre, monseigneur l'archevêque, une partie des revendications que vous nous avez apportées est sans valeur. - C'est le cas de ce droit de péage sur la route de Bourges, ajouta le chancelier Hugues de Champfleury en pointant une ligne dans la lettre de Pierre de la Châtre.
La position de ce dernier s’était singulièrement dégradée, mais Sybille ne lui accorda pas un regard. Son attention était repassée du roi au comte de Champagne, et pendant un instant, elle dévisagea celui qui, contre toute attente, venait de parler en sa faveur. Si elle chercha d’abord sur ses traits un éclat, un tressaillement qui aurait pu lui indiquer ce qu’il pensait, elle se surprit au bout de quelques instants détailler ses yeux bruns, son visage, son sourire chaleureux qu’il ne lui semblait pas avoir vu depuis bien longtemps car de leur dernière rencontre, elle ne se souvenait que des paroles qu’elle avait entendues et prononcées, comme si la peine et la colère qu’elle avait ressenties alors avaient recouvert toute la scène d’un voile sombre, ne lui laissant parvenir que des éclats de voix, celle calme du jeune homme et la sienne, éraillée et pleine de haine. Mais cette entrevue était loin, et elle se prit à retrouver avec plaisir ce sourire, ne se rendant compte qu’elle avait laissé ses yeux s’attarder sur lui trop longtemps que lorsqu’il tourna la tête vers elle. Sybille, que son masque n’avait pas quittée, lui adressa un long regard, entre curiosité, méfiance et reconnaissance, avant de se détourner pour reporter son attention sur le conseil. De part et d’autres de la salle, chacun s’était mis à donner son avis sur les derniers points soulevés par Henri, si bien que la principale concernée ne semblait pas réellement avoir son mot à dire, sensation qui acheva de la sortir de ses pensées car il n’était pas question que l’assemblée décidât quoi que ce soit sans elle. Elle promena son regard sur la salle, de l’archevêque de Bourges qui affichait désormais une mine sombre au moine de Saint-Hubert qui balbutiait sans parvenir à se faire entendre, prenant conscience que les paroles du comte avaient fait merveille, chacun ayant un avis différent sur une question différente. Seul le moine parlait encore des exactions. Elle esquissa une moue indéchiffrable avant de lever les yeux vers le roi. Celui-ci, songeur, la dévisagea un instant avant de ramener le silence. - Il suffit. Vous avez un diplôme immuniste ? lança-t-il en direction du moine. Apportez-le moi pour que nous puissions l'examiner. Le chancelier prit la charte qu’on lui apporta, et y jeta un rapide regard, sous le regard acéré de Sybille. - Signée par Robert Ier, lut-il, perplexe. - Robert II, voulez-vous dire, le fils d'Hugues ? corrigea le frère cistercien. - Non, Robert Ier, en 944. L’affirmation plongea l’ensemble du conseil dans des abîmes de perplexité tels que, malgré les assurance du bouteiller Guy de Senlis, le roi dut envoyer le chancelier vérifier à la fois les dates de règne celui qui l’avait un jour - peut-être - précédé sur le trône et retrouver le double du diplôme, ordre qui parut faire pâlir le frère de Saint-Hubert. Il y eut un instant de flottement durant lequel la dame de Déols, songeuse, tentait d’envisager les possibilités qui s’offraient à elle. Si, malgré les doutes émis par le bouteiller, la charte était vraie, alors Issoudun s’était attaqué à une abbaye qui se trouvait sous la protection du roi, et la suite ne dépendrait plus ni d’elle ni de Pierre de la Châtre mais bien de Louis VII, dont le visage austère ne donnait pas le moindre indice sur ce qu’il pouvait bien penser. S’il n’y avait pas de charte, personne ne semblait être en mesure de prouver de qui dépendait Saint-Hubert, pas même elle qui n’avait retrouvé aucune trace écrite dans les actes conservés par Abo et n’avait pour seule assurance que la parole d’Amaury - parole qu’elle estimait à l’ordinaire mais qui lui semblait ce jour-là de peu de valeur. L’établissement étant clairement sur les terres de Châteauroux, elle songea qu’elle avait peut-être intérêt à prétendre qu’en l’absence de certitude, Saint-Hubert était sous sa propre protection, mais cela la plaçait malgré tout dans une position délicate, et c’était oublier que chacun dans cette salle avait son intérêt à revendiquer l’abbaye. - Je crois tout de même que cette abbaye est une fille de Déols, lança soudain un clunisien, tirant la dame de ses pensées et la poussant à lever les yeux au ciel, elle a été réformée par notre très saint père Ragnulf en... - Je ne crois pas..., bredouilla le moine de Saint-Hubert. - Certainement pas ! répliqua vivement le cistercien qui l’avait interrompue plus tôt, mais nous pouvons en appeler à notre grand père Bernard qui aura sans doute un avis sur la question et qui vous montrera... - Je crois que l'on oublie un peu vite que dame Sybille n'est pas la seule impliquée dans cette affaire. N'est-ce pas, monseigneur archevêque ?
Ce fut le chancelier Cadurc, qui ne perdait pas de vue ses propres inimitiés, qui mit fin aux conversations particulières, de sorte que l’attention générale se tourna de nouveau vers les deux frères Blois. Etienne de Sancerre, après un visible instant d’incompréhension, s’enfonça dans son siège, laissant son frère prendre à nouveau la parole. - Heureusement que vous êtes là, répliqua ce dernier. Je suis sûr que mon frère s'engage à réparer les dégâts que son chevalier a pu causer, mais faudrait-il encore que l'on sache avec exactitude quels sont les dommages, la lettre du père abbé était fort peu claire à ce sujet. - Je m'y engage, renchérit le comte de Sancerre, notre famille voue une grande dévotion à saint Hubert, je m'en voudrais de savoir que nos chasses ne sont plus protégées par sa très sainte volonté ! La dame de Déols, qui n’avait pas un seul instant quitté son masque froid, observatrice silencieuse d’un débat qui la concernait pourtant au premier chef, attendant le bon moment pour intervenir, celui où elle pourrait le mieux se faire entendre, ne put cette fois s’empêcher de hausser un sourcil. Au regard du court aperçu qu’elle avait eu de la relation des Blois - ou du moins d’Henri - avec le saint patron des chasseurs, celle-ci lui avait semblé plutôt sanglante, mais elle se garda bien de faire le moindre commentaire, et alors que chacun se mettait à évoquer sa dernière chasse en attendant le retour du chancelier, Sybille, debout au milieu de la salle, demanda à voir la lettre du père abbé. Elle se plongea dans la lecture de ce qui tenait plus d’un long réquisitoire affolé et quelque peu fantastique que d’un rapport sérieux, mais la missive ne parvint pas à capter son attention. - J'ai appris que vous aviez chassé en compagnie de dame Sybille il y a peu, disait Guy de Senlis en se tournant - elle le vit du coin de l’oeil - vers Henri, appréciez-vous les terres de Châteauroux ? Si ses yeux restèrent fixés sur la lettre de l’abbé, la jeune dame guetta la réponse du comte, chassant Loches de ses pensées. - Dame Sybille est sans conteste une protégée de saint Hubert, elle est une excellente chasseresse et a fait une prise sous nos yeux mêmes, elle a de la chance de posséder une telle forêt. Elle ne put s’empêcher de lever la tête vers les deux hommes, imperturbable, et son regard croisa à nouveau celui du comte de Champagne, et plus que son regard, le sourire qu’il lui adressa. Le coeur de Sybille battit sans doute un peu trop fort à cette vision, qui lui fit entrevoir l’espoir qu’il ne la détestait pas, mais le retour du chancelier la poussa à détourner les yeux. Lorsqu’elle se retourna, un léger sourire s’était toutefois dessiné sur ses lèvres, sans qu’elle ne parvienne à le réprimer. Hugues de Champfleury, qui avait ramené le silence et l’attention générale, glissa quelques mots au roi que la jeune dame ne put entendre et dans le nouvel instant de flottement que connut l’assemblée, elle surprit le clin d’oeil complice que lui adressa Etienne de Sancerre, assorti d’un rictus enjôleur.
- Il n’existe pas de double de votre diplôme, annonça soudain Louis VII sans laisser le temps à la dame d’avoir l’air perplexe face au frère d’Henri, et Robert Ier est mort en 923. Il y eut un murmure dans la salle. A l’évidence, la charte était fausse, et tous se tournèrent vers le moine de Saint-Hubert qui avait considérablement pâli. - Mais… Sire… balbutia-t-il. - C’est une honte ! s’exclama un seigneur qui n’avait pas encore pris la parole, déclenchant un brouhaha général auquel le roi mit immédiatement fin. - Il suffit. Je confirmerai cette charte, mais elle ne saurait être prise en compte pour l’affaire qui nous intéresse. Dame Sybille, pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ? Pour la première fois depuis quelques minutes, la dame de Déols se retrouva à nouveau au centre de l’attention, comme si l’on se souvenait enfin de sa présence. Le cistercien renifla, comme s’il désapprouvait qu’on lui donne ainsi la parole mais elle l’ignora et s’adressa directement au roi. - Il n’y a rien qui puisse prouver quoi que ce soit sur le sujet. Seul le seigneur d’Issoudun prétend que mon époux lui a remis les terres de l’abbaye en même temps que celles dont il lui a confié la charge, il m’en a donné sa parole. Mais en l’absence de diplôme immuniste jusque là, nous pouvons supposer que si ce n’est pas à Issoudun, c’est à Châteauroux que Saint-Hubert devait ses droits, or nous n’avons rien perçu de tel. - Ce n’est là que supposition, ma dame, lança l’archevêque de Bourges qui sortait à son tour de son mutisme. - Et nous avons tout de même été attaqués, renchérit le moine d’une voix plaintive qui voyait sans doute là une façon de faire oublier la fausse charte. Sybille les considéra un court instant, affichant toujours la même froideur dépourvue d’inquiétude, comme si elle méditait sa réponse - et sentait venir le moment où il lui faudrait tenter de ne pas devoir faire trop de concessions. - Vous avez raison, reprit-elle avant de lancer un regard en direction d’Henri, et comme l’a souligné le comte de Champagne, rien ne saurait diminué la faute du seigneur d’Issoudun et de ses hommes - qui en ont bien conscience. Je suis prête, je l’ai dit, à faire les gestes nécessaires en guise de réparation. Mais je crois ne pas être la seule à ne pas avoir compris quels sont exactement les dégâts qui ont été causés. Elle désigna la lettre qu’elle avait toujours en main. A moins de considérer que l’abbaye a entièrement été détruite, le père abbé n’est guère précis. Pouvez-vous nous en dire plus ? La fin de sa tirade n’était pas exempte d’une certaine ironie, mais tous avaient entendu la lecture des griefs que l’on reprochait aux chevaliers d’Issoudun, et personne ne pouvait prendre réellement au sérieux le tableau apocalyptique qui y était dressé. Elle fixa sans détourner le regard le moine de Saint-Hubert qui hésita un court moment avant de lui répondre en leur décrivant quelques terres dévastées autour de l’abbaye et d’autres déprédations qui, sans être négligeables, n’avaient rien d’aussi catastrophique que la missive de l’abbé ne le laissait croire. Sans être particulièrement satisfaite - à nouveau, elle eut pour Amaury une pensée peu charitable - Sybille laissa échapper une moue indéfinissable. - Cela ne change rien à l’offense, ma dame, s’anima Pierre de la Châtre, approuvé par le clunisien et le cistercien - ce qui méritait d’être noté, songea la jeune dame. C’est une abbaye que vos chevaliers ont pris d’assaut… - J’en suis consciente, monseigneur, et à ce titre, certaines de revendications que vous nous avez présentées sont légitimes. Nous prendront en charge le coût des réparations… - Le comte de Sancerre doit également y participer, assura Cadurc que l’on avait pas entendu depuis longtemps.
La dame de Déols leva les yeux vers le chapelain, avant de se tourner vers les frères Blois. Si c’est au jeune Etienne que l’on venait de s’adresser, elle n’en laissa pas moins errer son regard sur Henri, détournant les yeux avant de croiser les siens, curieuse bien malgré elle de savoir ce qu’il pouvait bien penser de tout cela, et une fois encore, s’il serait prêt à l’écouter, car alors que son frère assurait qu’il s’associerait à elle pour réparer les dégâts causés par son chevalier, Sybille se promettait d’aller présenter ses excuses au comte dès le conseil terminé. Pour une raison obscure, l’idée de cette entrevue semblait la rendre plus nerveuse que sa convocation devant le conseil du roi, mais comme la conversation revenait à elle, elle s’empêcha d’y songer plus avant. - J’ai en ma possession un présent qui, je l’espère, trouvera grâce aux yeux de Saint-Hubert, poursuivit-elle lorsqu’on lui fit remarquer qu’offenser un saint demandait plus que quelques pièces d’or, toutes sonnantes et trébuchantes fussent-elles. Un très vieux calice, qui m’a été offert il y a quelques années. Un murmure d’approbation résonna autour d’elle, Louis VII hocha la tête et Sybille crut, pendant un instant, qu’ils allaient enfin en terminer. Mais la voix de l’archevêque de Bourges s’éleva une fois de plus, et rappela à l’assemblée ce qu’elle avait espéré faire oublier. - Nous oublions l’une des revendications de l’abbé : la contrition. Un silence s’installa, et la jeune dame, dont les traits s’étaient légèrement adoucis, se ferma à nouveau. - N’est-ce pas disproportionné ? lança le comte de Nevers qui ne devait pas souhaiter que l’on donnât des idées aux abbayes qui se trouvaient sur ses terres. - Les dégâts ne sont pas négligeables, et il s’agit là d’une exigence explicitement formulée par l’abbé. - Monseigneur, reprit sèchement Sybille, je comprends cette demande, mais si ces hommes sont mes vassaux, je n’ai en aucun cas ni ordonné, ni approuvé personnellement cette attaque. On lui opposa qu’il fallait bien faire amende honorable et l’espace de quelques secondes, la dame crut qu’il lui faudrait céder sur ce point aussi - ce que sa fierté ne saurait supporter. Pensive, elle laissa son regard se perdre dans l’assemblée et sursauta presque lorsqu’elle se rendit compte qu’il s’était posé sur Henri. - Le seigneur d’Issoudun et ses chevaliers s’engageront à faire une pèlerinage sur les terres de l’abbaye , affirma-t-elle soudain. Ainsi, ils pourront essuyer leur faute. - N’êtes-vous pas responsable des actes de vos vassaux ? demanda le cistercien pour lequel elle n’avait définitivement aucune sympathie. - Jusqu’à un certain point , rétorqua-t-elle. La dispute aurait pu durer longtemps si le roi n’était pas soudain intervenu. Ayant entendu l’avis de l’archevêque, il se tourna vers le comte de Nevers et les deux frères Blois. Sybille, de son côté, avait retrouvée son attitude fière et butée. Il était certaines choses sur lesquelles on ne la ferait pas céder, et s’il y avait peu de chances pour que l’avis de comtes qui pouvaient parfaitement se retrouver sa sa situation lui soit défavorable, elle était bien décidée à ne pas céder, et prête à s’en défendre s’il le fallait. |
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