Le vent soufflait, renforçant la puissance des vagues qui se fracasser sur le rocher. L’océan était d’une beauté rare, sauvage. Morgan appréciait plus que tout autre chose la mer. Cet élément indomptable, qui trouve toujours un moyen de s’échapper, de se faufiler. Le jeune comte se tenait au bord de la falaise, son écuyer était un peu en retrait, tenant les deux chevaux. Dans ses mains, une liasse de papier tremblait au vent. Des dizaines et des dizaines pages avaient été noircies au fil des correspondances et des années. Le regard vide, les yeux posés sur ses lignes sombres. Le Breton resta un moment debout sans bouger, dans un silence solennel que seul le fracas des vagues contre la falaise se permettrait de le rompre. Après quelques minutes, l’écuyer osa alors parler à son maitre. Il était à peine âgé d’une vingtaine d’année, le jeune serviteur suivait sans cesse le comte depuis son retour. Même si son rang ne lui permettait pas d’être ami ou même proche de son maitre, l’écuyer savait qu’il pouvait parler aisément avec son maitre, même si à chaque fois qu’il lui adressait la parole, sa voix défaillait, inquiet que Morgan le trouvait trop familier.

« Maitre, veuillez excuser ma curiosité mais… Qu’est ce que tout ceci ? »

Il fallut quelques instants de silence pour que le comte de Vannes ne dégaine répondre à son serviteur.

« Les souvenirs d’une vie… »



Morgan ferma doucement les yeux, laissant le vent lui caressait le visage et les souvenirs envahit sa mémoire. Aussi loin qu’il se souvenait, le Breton avait toujours vécu dans cette grande demeure, légèrement en retrait de la ville de Vannes, la ville de son enfance et celle qui lui sert de nom de famille. Deuxième fils du comte de Vannes, Morgan ne connut pas grand chose de la Bretagne lorsqu’il était enfant. Tout comme son frère aîné, Kelenn, et tout sa famille avant lui, le jeune comte devait rester dans l’enceinte de cette immense maison. La maison du comte de Vannes était un véritable manoir avec les terres autour et les serviteurs qui allaient avec. Avant la maison de la famille se trouvait au sein même de la ville mais les temps changent et préserver la noblesse était important. C’est pourquoi la construction de cette immense demeure, avec les terres qui vont avec, sembla vitale. Toutefois à rester enfermé comme un lion en cage, Morgan était loin d’être heureux. S’asseyant sur les branches basses d’un chêne, le jeune garçon regardait le ciel et les nombreux oiseaux qui passaient, rêvant d’être l’un d’eux et de pouvoir partir aussi loin qu’il le souhaiterait.Mais seulement si Dieu avait voulu lui donner des ailes, il l’aurait fait naitre oiseau et non homme. Et le problème, c’était que son frère Kelenn semblait bien se plaire dans cette situation. Il avait toujours été plus enjoué, attentif au besoin de la famille, du rôle d’aîné qu’il avait à jouer. Leur père n’avait d’ailleurs jamais hésité à montrer ouvertement sa préférence pour l’aîné plutôt pour le cadet. Les deux garçons étaient, sans aucun doute, le jour et la nuit. Ils étaient différents mais en même temps complémentaires, l’un ne pouvait être sans l’autre. Une rivalité fraternelle, et sans grande méchanceté, s’installa au fil des années. Que ce soit à l’épée, à cheval ou à la joute, il fallait toujours battre l’autre coute que coute. A l’épée Kelenn battait largement son jeune frère qui était maladroit et plus chétif que lui alors qu’à cheval, Morgan le surpassait sans aucune peine. Mais aux yeux de leur père, l’épée et les faits d’armes étaient bien plus importants que d’être agile sur le dos d’un animal ou de passer des heures à lire.

A force qu’on lui rabâche qu’il n’était que le deuxième et qu’il était moins important, Morgan finit par se lasser de ce discours et de ne plus autant y prêter attention. Au fil des années, le jeune comte s’était forgé une carapace, devenant froid et distant avec sa famille, notamment son père et son frère, qu’il jalouse quand même, aimant pouvoir avoir un jour l’attention de son paternel. Mais cette attention, Morgan finit par s’asseoir dessus, oubliant tout espoir de changement. Mais dans cette vie qui lui semblait si vide, il y a eu tout de même une lumière qui lui redonnait le sourire. Une jeune servante nommée Azilys. Elle avait à peu prêt le même âge que Morgan. Elle était la fille d’un boulanger dont le commerce avait du fermé et qui s’était retrouvé aux cuisines du comte. Enfant quand Morgan n’était pas avec Kelenn, les servantes savaient qu’elles pourraient trouver leur petit seigneur avec Azilys. Ils passaient une grande partie de leur journée ensemble, même quand elle devait travailler, Morgan trouvait toujours une raison pour qu’elle l’accompagne. Au fil des années, les deux jeunes Bretons devinrent très proches, peu être même un peu trop. Morgan finit d’ailleurs par avoir quelques sentiments pour cette servante, sachant très bien qu’ils ne pourraient jamais être ensemble et pourtant il espérait…

« Alors comment suis-je ? »

Quelques serviteurs étaient là et se mirent à sourire. A l’unanimité, c’était parfait. Le soir du solstice d’été à Vannes, une fête de la Saint Jean était organisée dans la ville. La musique se faisait déjà entendre et les feux étaient visibles depuis le château. Cela faisait des années, depuis sa naissance même, que Morgan observait cette fête paysanne depuis sa chambre, sans jamais pouvoir s’y rendre. Cette année, Azilys lui avait proposé de venir avec elle et quelques serviteurs. Il ne fallut pas longtemps pour que Morgan accepte de se joindre à eux. Il avait alors emprunté des vêtements à l’un de ses sujets et il était entrains d’admirer le résultat. Un vrai homme du peuple. Le jeune comte suivit les serviteurs dans les rues sinueuses de la ville, pour la première de sa vie, Morgan était dans Vannes. C’était plutôt paradoxale vu que son nom de famille était celui de sa ville d’origine. En tout cas c’est avec plaisir que pour la première fois, le jeune comte se mélangeait avec les gens du peuple, leurs fêtes semblaient bien plus amusantes. La musique, le cidre, les danses. On peut dire que Morgan en profita grandement. Peut être même un peu trop… Son retour au manoir fut quelque peu difficile. Mais ce fût surtout le lendemain, le pire jour de sa vie. Un serviteur entra brusquement dans la chambre de Morgan et ouvrit les rideaux, laissant entrer la lumière vive du jour. Le jeune homme se réveilla de suite, une horrible barre lui vrillait le cerveau. Il avait beaucoup trop abusé de la boisson, son manque de souvenirs et son mal de crâne en étaient bien la preuve. Alors que le fils du comte espérait pouvoir dormir encore un peu, le serviteur en question lui dit que son père voulait le voir immédiatement et quelque ce soit ce que dirait Morgan, il n’avait pas le choix. Ce dernier finit alors par se lever et s’habilla tant bien que mal. Il retrouva son père dans la salle à manger, lui demandant pourquoi il voulait le voir de si bon matin.

« Tu es la honte de la famille Morgan ! », sans que le principal concerné n’ait le temps de dire quelque chose, le maitre des lieux reprit en criant de plus en plus fort, « tu es allé assister à cette fête paysanne et on t’y a reconnu ! Nous les Vannes, avec des gens du bas peuple ! Tu as bafoué notre honneur de la pire manière qui puisse être ! »

Morgan essaya de s’expliquer, lui disant qu’il était désolé et qu’il voulait bien faire n’importe quoi pour se racheter mais son père avait déjà une idée pour son fils. Les croisades étaient à leur apogée, l’Eglise demandait toujours beaucoup plus de soldats près à se sacrifier pour Dieu, pour libérer la Terre Sainte de ces barbares. Le comte de Vannes avait décidé que la guerre serait le meilleur moyen de laver son honneur. Envoyer son fils à une mort certaine était l’idée qui avait préféré. Morgan était outré par ce choix, de devoir s’engager dans un combat dont il savait qu’il ne reviendrait certainement jamais. Mais rien ne fit changer son père, un bateau aux couleurs des croisés partait le lendemain de Lorient, il devait se préparer à partir et il lui fut interdit de revoir Azilys. Le lendemain matin arriva bien plus vite qu’il n’ait espéré. Un peu avant le levé du soleil, Morgan était aux écuries du manoir, sur le dos de son cheval. Très peu de personnes ne s’étaient levés pour lui dire adieu, il y avait sa mère et quelques serviteurs. Tout le reste travaillait déjà ou n’était pas encore levé. C’est le regard tourné vers l’arrière que Morgan se mit en route pour le port de Lorient. Le peuple de la ville s’était réuni sur le port, assistant au départ de ceux qui allaient libérer la terre la plus sacrée de ce monde. C’est avec l’acclamation du peuple que le jeune comte monta à bord du bateau, seul noble de tout l’équipage.