Fiiiiiiiiiirst
La canicule frappait durement la capitale française et incommodait la plupart des habitants de l’île de la cité. Pourtant les nobles invités à la soumission d’Henri Plantagenêt faisaient mine de ne pas se rendre compte de la chaleur alors qu’ils se préparaient pour le banquet donné en l’honneur de l’amitié entre le roi et l’un de ses ducs les plus puissants.
Alphonse s’empara d’un verre de vin et avala précautionneusement le liquide bordeaux tandis que deux servantes s’agitaient autour de lui pour l’aider à s’habiller. D’excellente humeur le jeune homme joua avec les boucles blondes de la plus jeune tandis qu’elle lui attachait son pourpoint bleu nuit. Cette dernière rougit de façon plaisante et ce fut avec amusement que le comte de Rouergue lui donna son congé. Une fois seul le jeune homme recracha son vin en faisant attention à ne pas se tâcher. Il était important que tout le monde le crois alcoolique et inconséquent, pourtant il ne pouvait pas se permettre de le devenir pour l’instant. Soucieux le jeune homme vérifia sa tenue avant de se diriger vers la salle de banquet.
Machinalement il fit tourner sa chevalière autour de son doigt, alors qu’il avançait dans les couloirs du palais du roi. La situation se révélait des plus intéressantes et le jeune homme ne pouvait pas s’empêcher de songer à tous les courants politiques qui avaient mené à la soumission du duc de Normandie. Mais ce qui comptait le plus était ce qui allait suivre.
Alphonse dût interrompre ses réflexions lorsqu’une femme l’aborda, de façon relativement hardie d’ailleurs, pour lui parler et le séduire. Rapidement un petit groupe se forma autour du jeune homme. En deux ans, le comte de Rouergue était devenu l’un des pivots de la cours du roi de France, même s’il s’absentait régulièrement pour retourner sur ses terres ou sur celles de son frère. Jeune, célibataire, solaire il séduisait les chevaliers autant que leurs épouses. Aussi une jeune et jolie femme au bras, il pénétra d’un pas assuré dans la salle de banquet. Son rire résonnait plus fort que ceux des autres convives alors qu’il se moquait amicalement d’un chevalier ayant fait une piètre performance lors du tournois.
Le jeune homme finit par s’éloigner du petit groupe bruyant qui l’entourait et rejoignit le chancelier d’un pas allègre. Chemin faisant, il s’empara d’un verre de vin qu’il sirota en connaisseur.
« Monsieur Suger ! Comment vous portez vous ? »
« Comte, c’est un plaisir de vous revoir. Je ne crois pas avoir vu votre frère ? » Demanda d’un air affable Simon.
« Raymond est malade. Il m’a demandé de le représenter auprès du roi. »
Son frère avait assortit sa demande d’un tas de recommandation allant du « assure-toi de l’amitié du roi » à « prends garde à ne pas prendre froids ». Bien entendu son suzerain avait longuement insisté sur deux points
« Ne fais pas empiré les choses avec l’Aquitaine » et « Ne fous pas la merde par plaisir. » Il avait présenté ce second point de façon plus polie et avait très longuement insisté dessus. A ce souvenir, le jeune homme tiqua légèrement. Il adorait son frère, si raisonnable, mais son manque de confiance le vexait parfois. Alphonse avait conscience de ne pas être parfait, il reconnaissait volontiers sa tendance à l’alcoolisme et la luxure, mais il n’était pas stupide ou insolent au point de vomir sur Henri Plantagenêt au milieu du repas. Quoique la situation ne manquerait pas d’être cocasse. Le comte de Rouergue se demanda distraitement quels auraient été les conséquences d’une telle régurgitation sur l’acteur principal de la fête.
Amusé, Alphonse répondit machinalement au chancelier qui le remerciait de s’être rendu aux funérailles de son oncle. Pour faire bonne mesure, il ajouta quelques compliments sur l’intellectuel brillant qu’était Suger de St Denis et déclara qu’il était fort dommage que le vieil homme ne soit pas là pour constater l’accomplissement d’une vie de travail.
« Pour le dîner, je vous aie mit à côté de Geoffroy de Nantes. » expliqua Simon avec le ton paternaliste qu’il employait volontiers avec Alphonse. « Le jeune frère d’Henri Plantagenet. » ajouta-t-il en désignant le jeune homme du menton.
Alphonse se tourna pour regarder le concerné. Il fut surpris par ce qu’il vit. Geoffroy était aussi mince et brun que son frère était blond et massif.
« C’est un jeune homme intelligent quoique légèrement aigri. »
Le comte de Rouergue finit son vin avant de sourire d’un air entendu et de saluer le chambellan, qui s’avérait aussi être l’un de ses meilleurs alliés à la cours. Nul doute que s’il l’avait placé à côté du petit Plantagenêt il y avait une bonne raison. A lui de découvrir laquelle.
Tout en se resservant en alcool, Raymond avait oublié de placer la consommation excessive de vin dans la longue liste de ses interdictions, il se dirigea vers son futur voisin qui avait déjà pris place. Il était tout de même étrange que le frère du duc de Normandie ne soit pas à la table d’honneur avec ce dernier. Traverser la salle ne fut pas facile, des nobles en quête de faveur ou d’amusements l’interceptèrent, tandis que ses futurs et anciennes maitresses tentaient d’obtenir un regard ou un sourire. Souriant avec légèreté, le jeune homme enchaina les futilités et les bons mots sans montrer qu’il trouvait ses interlocuteurs fatiguant.
Il finit par rejoindre son voisin et prit place avec nonchalance à ses côtés.
« Geoffroy de Nantes ! »
Sa voix claire et chaleureuse attira l’attention de son interlocuteur tandis qu’Alphonse enchainait
« C’est un plaisir d’enfant vous rencontrer. Je suis Alphonse De Toulouse, comte de Rouergue. »
Il prit une inspiration, finit sa coupe et fit signe à une servante de le resservir.
« Quel dommage de ne pas vous voir plus souvent à la Cours. Certes Paris est une ville puante mais votre présence suffira à la rendre supportable. Ce fut une superbe cérémonie et une magnifique occasion de boire, séduire, discuter et tant d’autre chose. La boisson et la séduction étant les plus beaux enjeux de ce genre d’évènements »
Une femme qui se trouvait à proximité fit mine de désapprouver le comte qui lui adressa un clin d’œil lubrique.
« Avez-vous fait bon voyage ? »