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 Cour d'amour ou cours de politique?

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Aliénor d'Aquitaine

Aliénor d'Aquitaine

Aujourd'hui, je suis reine autrefois j'étais libre

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MessageSujet: Cour d'amour ou cours de politique?   Cour d'amour ou cours de politique? EmptyVen 27 Déc - 20:22

Aliénor d'Aquitaine  a  dit:



-Allons, messire, le moment de votre épreuve la plus importante est arrivé... lança Aliénor.

La tension amusée fut soudain palpable dans le salon d'apparat de la souveraine où nombre de jeunes dames et de chevaliers récemment adoubés formaient la plus grosse partie de l'assemblée. Un troubadour jouait en sourdine dans un coin de la pièce. L'ordre du jour, à la cour d'amour de la reine, était d'une importance cruciale. Jehan de Thiers, arrivé à Paris dans le sillage de son oncle deux ans plus tôt, avait bien changé. Il n'était plus le petit écuyer campagnard de son arrivée, et heureusement d'ailleurs, sinon Aliénor ne l'aurait jamais admit dans son cercle. Adoubé quelques semaines plus tôt, il n'avait pas tout à fait vingt et un ans, et se pâmait d'amour pour l'une des suivantes de la reine, Etiennette de Marmande, dix-sept ans, un peu sotte, mais pas méchante, aussi la reine voyait cela d'un œil si non bienveillant, du moins peu neutre, et cela donnait toujours bien des raisons de s'amuser. Surtout pour elle. Elle avait donc réuni ses dames et ses fidèles, plus tous ceux qui avaient envie d'y assister, au test dont le jeune homme serait la bienheureuse victime, du moins s'il réussissait. Cela pouvait sembler très simple, mais la moindre erreur était fatale, et Thiers perdrait à jamais le cœur d'Etiennette. Un jeu cruel, celui de l'amour et du hasard. Un jeu qui pourtant aidait le temps à passer, et avec tous ces nouveaux arrivants à Paris permettait d'apprendre à connaître tout à chacun, ami comme ennemi, en paraissant une hôtesse charmante et distinguée. Mais Aliénor était assez intelligente pour savoir que tout le monde ne serait pas dupe.

Le jeune Thiers, à qui on avait bandé les yeux, s'agenouilla au milieu de la pièce. Etait-ce l'éclairage, ou paraissait-il pâle ? Aliénor n'aurait sut le dire. On le disait vaillant à la joute et à l'épée, mais ce n'était pas le même genre de courage qui lui était demandé à l'instant, sans doute l'avait-il comprit. Les jeunes dames s'étaient rangées en deux rangs, un de chaque côté de la salle. Aliénor siégeait dans son fauteuil en face du « supplicié », les autres chevaliers sur les côtés se manquant gentiment des malheurs attendant leur camarade. Le troubadour jouait toujours. Sur un signe de la souveraine, le petit manège commença. Une à une, chacune des jeunes femmes devait passer devant le chevalier aux yeux bandés, et celui-ci se devait de reconnaître sa dame parmi elles à son parfum. Tâche bien peu aisée, quand on savait de combien d'huiles, souvent similaires, ces dames s'enduisaient. Il fallait dire que la duchesse d'Aquitaine était l'initiatrice de cette mode ramenée tout d'abord de sa province natale, puis de ce qu'elle avait apprit pendant la Croisade. La tâche du jeune homme en était donc complexifiée, ce qui rendait le jeu un peu plus piquant. De temps à autre, Aliénor jetait un coup d'oeil à Etiennette qui rosissait à vue d'oeil au fur et à mesure que son tour arrivait.

-Maman, pensez-vous qu'il la reconnaîtra ?

Aliénor baissa les yeux vers sa fille aînée, Marie, assise sur un coussin beaucoup trop grand pour elle, à ses pieds, qui avait obtenue d'assister à l'épreuve du jour après moult supplications et regards larmoyants. Aliénor lui sourit en lui caressant les cheveux :

-Peut être, peut être pas... S'il n'y arrive pas, cela voudra dire...

-Voudra dire que son amour n'étais pas assez fort ! S'exclama la fillette, récitant sa leçon apprise par cœur.

Aliénor sourit, Marie apprenait vite. La jeune femme allait ajouter quelque chose quand le cri de Thiers lui fit relever la tête. Il venait de saisir sa belle par le bras et retirait son bandeau, triomphant. Il avait réussit son épreuve. Parfait. Aliénor sourit, il était donc digne de la jeune femme qui gardait les yeux sagement baissés, sinon, on aurait pu y lire toute la satisfaction et l'orgueil qu'elle ressentait à l'instant même. Aliénor applaudit, et toute l'assemblée fit de même. Toute, même une personne qui n'était pourtant pas habituée à la fréquentation des cours d'amours de la reine. En effet, au moment où tous s'étaient rassemblés dans la salle, une tête bien connue de la souveraine s'était jointe à la foule. Henri de Champagne... Cela avait tout d'abord surprit Aliénor, avant de l'intriguer. Le comte n'aimait pourtant pas ce genre de divertissement qu'il jugeait sans doute bien trop futile pour lui. Il n'était donc pas ici de manière purement désintéressée, c'était évident. Aliénor, avec son tempérament tout feu tout flamme, avait donc décidé d'essayer de savoir ce qu'il était venu faire là. Il aurait été dévaluer le chevalier que de penser qu'il n'était ici que pour attirer l'attention de quelque péronnelle stupide. Aliénor se leva.

-Bravo, Sir Jehan, vous avez gagné le cœur de votre dame et le droit de porter ses couleurs au prochain tournoi que le roi décidera d'organiser. Attention à ne pas entacher son nom qui désormais est lié au votre.

Des applaudissements fusèrent.

-Mes amis, dirigeons-nous vers les jardins, nous y serons mieux pour passer cette fin d'après-midi, et je compte bien entendu sur les plus créatifs d'entre vous pour nous préparer quelques jeux qui nous occuperons jusqu'au souper.

La proposition fut accueillie avec enthousiasme par le groupe qui ne se le fit pas dire deux fois. Par deux ou trois, ils quittèrent peu à peu la salle, se rendant vers les jardins. Marie allait les suivre mais sa mère la retint :

-Jeune damoiselle, il est temps pour vous de retourner avec votre nourrice. Je viendrais vous embrasser ce soir.

Marie tenta un regard suppliant, mais le ton de sa mère était trop ferme. L'enfant baissa les yeux, elle n'avait pas le choix. C'était une promesse faite sur le sable qu'Aliénor venait de faire à sa fille, aussi vite faite que vite effacée. Il y avait bien peu de chance qu'elle puisse se déroger à ses obligations pour aller la voir. Marie rejoint sa bonne et Aliénor se détourna d'elle, se concentrant sur Henri de Champagne. Il n'y avait plus que quelques personnes dans la salle et personne ne ferait attention à eux.

-Comte, offrez moi donc votre bras, voulez-vous ? Lui demanda-t-elle avec son plus beau sourire.

La question n'en était pas une, mais il était bien trop intelligent pour s'y soustraire. Aliénor prit son bras, et, tranquillement, ils prirent la direction des jardins.

-Il est bien rare de vous voir à mes petites réunions, messire ! Quel intérêt soudain vous a amené parmi nous ? Non pas que cela me déplaise, cela me rappel d'autres temps et d'autres terres bien loin de France.

Aliénor faisait bien entendu allusion aux Croisades. Mais le ton de conversation ne trompait certainement pas Henri.
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Henri de Champagne

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MessageSujet: Re: Cour d'amour ou cours de politique?   Cour d'amour ou cours de politique? EmptyDim 29 Déc - 23:04

Henri de Champagne  a  dit:
- Allons, messire, le moment de votre épreuve la plus importante est arrivé...
Henri de Champagne releva la tête vers le jeune chevalier qui s'avançait au milieu de l'assemblée en rougissant de se retrouver au centre de l'attention générale et si le comte garda son sourire imperturbable, il ne put s'empêcher de lever les yeux au ciel lorsqu'il constata que l'on rendait la pauvre victime du jour aveugle afin qu'il passe une nouvelle étape pour lui permettre de gagner le cœur de sa dame. Le regard d'Henri se détourna un instant de Jehan de Thiers pour se poser sur sa voisine et compagne qui avait saisi son bras pour se serrer légèrement contre lui, faisant mine d'être émue et concernée par l'histoire d'amour entre le chevalier qui venait d'être adoubé et la demoiselle de la suite d'Aliénor qu'Henri avait à peine remarquée. C'était cette Philippa de Surgères qui avait suggéré à Henri de l'accompagner dans cette grande salle d'apparat du palais de la Cité où la reine donnait ses cours d'amours tout droit venues de sa principauté d'Aquitaine et qui étaient réputées donner naissance à la poésie la plus raffinée comme aux amours les plus vraies et sincères. Mais le comte de Champagne, s'il n'était pas totalement insensible à la courtoisie et s'il aimait à défier ses concurrents en tournoi pour les beaux yeux de sa dame, ne comprenait pas ce qu'il y avait de vrai ou de sincère dans ce qui ressemblait beaucoup à un jeu de masques tel qu'on en trouvait dans les romans et où les chevaliers se prenaient pour des poètes dévoués au dieu Amour. Qu'y avait-il de réel dans ces épreuves qui semblaient plus dictées par les apparences et qui se succédaient de manière de plus en plus ridicule ? Fallait-il donc forcément exprimer ses sentiments ainsi lorsque l'on aimait ? Mais s'il doutait, Henri gardait un air amusé et son large sourire semblait prouver qu'il était autant à sa place dans cette assemblée surtout composée de jeunes gens et de trouvères que dans un conseil du roi, assemblée parmi laquelle se détachait nettement la figure de la reine, car c'était là qu'elle régnait à défaut de pouvoir le faire ailleurs. Et alors que les jeunes femmes défilaient devant Thiers et que les souffles se coupaient car tous se demandaient s'il allait réussir à reconnaître la sotte dont il s'était épris, le regard du comte de Champagne se posa sur Aliénor d'Aquitaine dont il ne voyait que le profil, à la fois juge implacable en ce jeu cruel de hasard pour brider les cœurs enchaînés, et à la fois muse bienveillante dans ces amusements. En rassemblant là des jeunes gens de toutes les origines mais liés par le goût de l'exploit et des beaux gestes, peut-être pensait-elle faire mine de servir les intérêts de son époux qui venait de convoquer ses vassaux. Mais si cette petite cour s'amusait sans arrières-pensées, Henri n'était pas dupe. Et derrière les sourires et les moues de la reine, il savait bien qu'elle n'avait jamais eu rien à faire des objectifs de Louis VII et que c'était son égoïsme avant tout qu'elle avait servi fidèlement.

Philippa de Surgères dut se détacher du jeune comte pour aller elle aussi proposer sa main à Jehan de Thiers qui n'avait toujours pas vu passer la demoiselle de son cœur, et elle accapara assez l'attention d'Henri pour qu'il admirât sa fine silhouette dansante se diriger vers le centre de la salle où se trouvait la victime, son visage rond en forme de cœur, ses joues rondes et sa longue chevelure dorée qui retombait en cascade sur ses épaules. Il n'avait pas fallu longtemps à la jeune fille de la suite de la reine pour attirer l’œil du chevalier dans le palais de la Cité, aussi, après quelques moments passés ensemble, l'avait-elle invité dans cette cour d'amour que présidait Aliénor, montrant en même temps qu'elle était assez stupide pour ne pas imaginer le passif qui existait entre la reine qui avait sa part de responsabilité dans une guerre qui avait ravagé les terres du père du comte de Champagne. Néanmoins Henri avait accepté, non pas pour chercher à la séduire car elle n'avait que peu d'importance et bien peu de conversation, encore moins pour découvrir ces divertissements que la reine avait mis à la mode (et qu'il appréciait encore moins après les avoir vus de ses yeux) mais bien plus dans l'espoir de pouvoir parler à Aliénor sans être écouté par des oreilles indiscrètes, et il savait bien que Louis VII aimait à savoir tout ce qui se racontait sous son toit, Guy de Senlis ne faisait pas qu'office de bouteiller. Et pour ce faire, il fallait entrer dans l'univers de la reine, faire mine d'être une part de son monde, jouer son jeu dans la partie dans laquelle elle aurait instauré les règles. Heureusement pour le comte de Champagne, s'il avait été élevé par le père Bernard et le comte Thibaud, deux hommes qui n'étaient pas réputés pour leur souplesse ou leur capacité d'adaptation, il était plutôt un excellent joueur dans ces petites intrigues de cours, et il était capable d'adopter les règles de son adversaire pour les utiliser à son avantage. Et s'il fallait participer à une cour d'amour, s'il fallait s'agenouiller devant des dames, encourager de jeunes gens qui se croyaient amoureux et bien prompts à se jurer des serments éternels – ce que le comte de Champagne regardait avec hauteur, lui qui avait toujours considéré l'amour comme secondaire derrière l'honneur ou le devoir –, passer du temps d'ailleurs pas si désagréable que cela avec une jouvencelle comme la demoiselle Philippa, il était prêt à le faire avec le sourire et une facilité déconcertante, sans en penser moins pour autant. C'était avec la même facilité et le même naturel arrangeant qu'il avait quitté la dame Sybille de Déols avec laquelle il jouait aux échecs juste auparavant en lui présentant ses excuses pour suivre Philippa qui était venue réclamer son bras pour se rendre jusqu'à la grande salle occupée par Aliénor et ses chevaliers. Comme s'il n'était qu'un jeune homme prêt à tout pour s'amuser, oubliant ses intérêts et ses soucis politiques. Comme s'il retrouvait ses vingt-trois ans et que seuls l'amour et les exploits lui paraissaient revêtir une apparence. Mais derrière cette façade, Henri ne perdait jamais de vue ses objectifs, toujours se lovait en son cœur le serpent de la cour, écoutant les médisances, manipulant les faibles, livrant de belles paroles aux puissants, se faufilant dans les intrigues, muant lorsque les circonstances l'exigeaient. Ainsi, Sybille qu'il avait pourtant quittée sans paraître en éprouver le moindre chagrin, comme s'il l'avait oubliée aussi vite qu'il avait tourné les talons, Sybille de Châteauroux continuait à occuper ses pensées et elle était l'une des raisons pour lesquelles il avait besoin de s'adresser à Aliénor. Et tandis que devant lui, Jehan, après avoir rejeté Philippa de Fougères, reconnaissait enfin celle à laquelle il se destinait, Henri leva les yeux, croisa le regard de la reine et comprit qu'elle n'était pas dupe. Il n'y avait pas besoin de faux-semblants entre eux, ils se connaissaient assez pour savoir ce qui animait l'autre.

Les applaudissements crépitèrent autour d'eux et Aliénor fut la première à détourner les yeux pour les baisser sur sa fille aînée qui était assise à ses pieds, la petite Marie qui semblait fixer avec enthousiasme les chevaliers passer leurs épreuves. Henri se mêla un instant à la conversation autour de lui jusqu'à ce que la reine se redresse :
- Mes amis, dirigeons-nous vers les jardins, nous y serons mieux pour passer cette fin d'après-midi, et je compte bien entendu sur les plus créatifs d'entre vous pour nous préparer quelques jeux qui nous occuperont jusqu'au souper.
Du coin de l’œil, le comte de Champagne vit Philippa être entraînée par l'une de ses amies aussi fit-il mine de s'attarder, comprenant bien où Aliénor voulait en venir. Il était temps pour lui de dévoiler ses véritables intentions. La jeune femme fit s'éloigner sa fille qu'elle confia à une nourrice puis son attention fut de nouveau dirigée vers le comte :
- Comte, offrez-moi donc votre bras, voulez-vous ? Lui demanda-t-elle avec un large sourire qui aurait pu laisser croire qu'ils étaient les meilleurs amis du monde mais il fallait bien plus pour déstabiliser Henri que cette hypocrisie ou cet ordre voilé.[/color]
- C'est un honneur, ma reine, répliqua-t-il en s'exécutant non sans songer qu'il n'avait nul besoin de s'adresser à la reine en cet instant mais bel et bien à la duchesse d'Aquitaine, non pas celle qu'il aurait respecté pour être l'épouse de Louis VII mais bel et bien son égale, la femme à la tête d'une riche et grande principauté qu'elle apportait en dot à son époux et qui n'avait de cesse que de voir ses propres intérêts. Pour autant, il ne lâcha pas son bras et les deux jeunes gens prirent la direction des jardins qu'ils ne pourraient atteindre qu'après avoir bravé un dédale de couloirs. Aliénor ne laissa pas le silence s'installer :
- Il est bien rare de vous voir à mes petites réunions, messire ! Quel intérêt soudain vous a amené parmi nous ? Non pas que cela me déplaise, cela me rappelle d'autres temps et d'autres terres bien loin de France.
Henri comprit immédiatement l'allusion et son sourire se figea un instant lorsque les événements de la croisade revinrent en sa mémoire. Il fallait occuper les longues journées de marche, aussi parfois se laissait-il entraîner jusque dans la tente de la reine pour participer aux débats ou aux jeux que celle-ci organisait pour passer le temps. Mais paradoxalement, en même temps qu'il était parvenu à dépasser ses préjugés sur la duchesse d'Aquitaine qu'il ne connaissait jusqu'alors uniquement par les dires furieux et injurieux de son père, pour parvenir à en saluer la finesse et l'esprit, il avait trouvé d'autres raisons de la détester, et cela commençait par son comportement à Antioche ou tout simplement par le rapprochement entre Henri et Louis VII. Avait-elle cru qu'ils pouvaient passer outre leurs rancunes ? L'évoquer à présent était-elle une façon pour elle de leur remémorer des temps où Henri avait accepté d'oublier ce qu'il croyait savoir ? Si tel était le cas, elle se trompait, car il était loin le jeune chevalier tout juste adoubé qui voulait expier ses fautes et se couvrir de gloire. Il n'était pas là en soif de reconnaissance, il n'était même pas là pour prouver quoi que ce soit, surtout face à une reine dont la figure semblait comme appartenir déjà au passé. Toutefois, le sujet qu'il souhaitait évoquer était une conséquence directe de ce qui s'était produit durant cette croisade de l'échec de laquelle ils avaient tous une part de responsabilité.
- Je suis bien navré de ne pas pouvoir être plus présent à ces petites réunions, ma dame, lança-t-il d'un ton badin alors qu'un couple s'éloignait devant eux, je suis curieux de savoir ce que vous vous êtes imaginée de ma présence en ces lieux... Peut-être voudrais-je en apprendre davantage pour gagner la dame que mon cœur a élu, vous semblez si connaisseuse en ces choses de l'amour que vous devez être bonne conseillère...

C'était sans doute un peu vil de la part du comte de Champagne qui savait fort bien quels problèmes conjugaux agitaient le couple royal mais il n'avait pu s'empêcher cette pique qu'il désarma en adressant un large sourire à Aliénor qui s'effaça dès qu'ils eurent assez ralenti l'allure pour se retrouver seuls dans les couloirs. Il était grande temps d'abandonner là son masque pour montrer son vrai visage. Soudain, la gravité figèrent ses traits et son ton redevint plus sérieux, bien loin du badinage qui venait d'occuper leurs dernières heures.
- Je serais flatté d'avoir une discussion sur la meilleure façon d'avouer son amour à sa dame mais vous savez bien que je ne suis pas là pour cela, combien même la demoiselle de Surgères, l'une de vos demoiselles, fut fort utile. A vrai dire, je sais très bien ce que vous souhaitez le plus au monde à l'heure actuelle et je sais également que vous avez besoin d'appui.
Il avait lâché son bras pour être en capacité de mieux observer ses réactions mais il poursuivit sans lui laisser le temps de mimer la surprise qui lui aurait fort mal convenu :
- Je sais que vous vous êtes lassée du charme de la ville de Paris et que vous voulez retourner librement dans votre principauté... S'il vous plaît, ne me faites pas l'affront de me soutenir que vous êtes réellement perturbée par un soit-disant cousinage avec le roi.
Il venait d'avancer ses cartes avec une assurance qui ressemblait presque à de la fanfaronnade mais il ne voulait pas laisser Aliénor prendre les devants, aussi se hâta-t-il de les abattre en une parole qui aurait pu paraître théâtrale :
- Je suis une voix au conseil du roi, je peux soutenir ce que vous souhaitez, je peux vous assurer un retour à Poitiers sans que personne ne tente de s'emparer de votre personne. Et si nous ne pouvons nous entendre, nous pouvons être alliés, ma dame.
Il reprit son bras pour la conduire d'un pas plus soutenu vers les jardins dans lesquels ils pénétrèrent enfin sans que personne ne fit réellement attention à eux, dans un bruissement de voix alors que résonnait au loin le chant d'un troubadour en langue occitane. Devant le monde, Henri avait retrouvé son sourire et son expression aimable mais ce fut davantage le sifflement d'un serpent qui sortit de sa bouche que les douces paroles d'une chevalier courtois :
- Évidemment, cela ne peut se faire qu'avec une contrepartie, j'approuve la séparation mais vous donnez à votre tour quelque chose que je veux. La cour n'ignore pas mes vues, elles sont pour les terres de Châteauroux, je suis le parrain de leur jeune seigneur pour lequel on vous a juste promis un serment de fidélité qui ne viendra peut-être jamais.
Du coin de l’œil, le comte de Champagne distingua des formes s'approcher d'eux, sans doute pour proposer un jeu à la reine afin qu'elle l'approuvât. Il se contenta juste de lancer avant qu'on ne les rejoigne :
- Donnez-moi votre accord pour marier la dame Sybille de Déols à mon frère de Blois et nous gagnerons tous les deux. Nous régenterons le domaine jusqu'à la majorité du jeune Aymeric et en échange, vous aurez une dame de Déols muselée. Songez-y, vous y voyez également votre intérêt.
Le jeune homme, après un dernier regard à Aliénor, se tut enfin alors qu'avec enthousiasme, un jeune chevalier proposait un colin-maillard pendant lequel chacun devrait reconnaître sa dame et qu'un autre protestait en disant qu'il valait mieux se reposer l'esprit avec des déclamations de vers d'amour, ce qui, d'ailleurs, semblait recueillir l'adhésion de Philippa de Surgères qui couvait Henri d'un tendre regard. Henri ne s'exprima pas sur la question, préférant songer qu'il venait de suggérer là un pacte avec une femme à laquelle il ne pourrait jamais faire confiance mais que cela était sans doute réciproque. Qu'il venait de lancer l'idée d'une alliance contre-nature entre deux ennemis, entre une reine éprise de liberté et de frivolités et un comte sérieux, manipulateur et attaché à ses devoirs. Une alliance vouée à disparaître aussi rapidement que deux mots échangés à la va-vite lors d'un jeu d'une cour d'amour.
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Aliénor d'Aquitaine

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MessageSujet: Re: Cour d'amour ou cours de politique?   Cour d'amour ou cours de politique? EmptyDim 2 Fév - 11:09

Aliénor d'Aquitaine  a  dit:
Il y avait bien peu de manières de passer des après-midis à la cours, surtout avec la récente idée de Louis de faire venir tous ses grands vassaux avec toute leur suite. Aliénor s'en serait désintéressée, s'il n'avait pas fallut montrer un couple uni et prêt à tout affronter ensemble. D'autant plus qu'en tant que maîtresse de maison, c'était à la souveraine de distraire la petite noblesse qui avait affluer dans les bagages des plus grands, qui eux, avaient des choses bien plus sérieuses à discuter que de passer leur temps aux petits jeux que la reine organisait. C'était aussi un moyen pour Aliénor de se distraire de cette vie un peu ennuyeuse à Paris, vie qu'elle n'avait jamais vraiment aimée, la capital lui paraissant triste et morne quand on arrivait d'Aquitaine. Il lui fallait pourtant faire contre mauvaise fortune bon cœur et être celle qu'on attendait qu'elle soit. Une première pour la reine de France qui avait toujours voulut imposer ses idées à tout le monde, a commencer son mari – surtout les pires, d'ailleurs. Pourtant, elle tenait à cette séparation au moins autant que Louis et ne pouvait pas se permettre de faire un pas de travers. Il avait besoin d'un héritier légitime, elle voulait sortir d'un mariage qui la rendait malheureuse. Ils y trouveraient tous les deux leur compte. C'était d'ailleurs assez amusant qu'elle soit en charge de ces petits divertissements assez superficiels, étant donné que son époux ne les prisaient pas vraiment. Au moins, ils avaient là chacun leur domaine de compétence.

Mais Aliénor se laissait vite, et une fois l'épreuve du jeune chevalier passé, elle voulut changer d'air, imposant son envie au reste de l'assemblée, qui ne se fit pas prier du reste. Un prétexte ? Peut-être, vu que l'un des plus fidèles – du moins en apparence – et proches de son époux était présent à sa petite réunion, chose qu'il ne faisait jamais d'habitude. Henri de Champagne – aurait-elle préféré qu'il s'agisse d'un autre Henri ? Peut-être, peut-être pas... - était venu, accompagnant Philippa de Surgères. Aliénor fronça les sourcils, dubitative. Philippa n'était pas la plus intelligente des dames de la cour, mais elle avait ses qualités, heureusement d'ailleurs. Pourtant, connaissant le chevalier, il fallait plus que de beaux yeux pour le pousser à se présenter aux cours d'amour de la reine, lui qui préférait largement les jeux de la politique et parfois ceux des tournois. Sa présence ne pouvait pas être innocente et désintéressée, ça aurait été le sous estimer. Le tout était de savoir ce qu'il voulait. Irait-il droit au but ? Aliénor l'espérait, elle n'était pas d'humeur à devoir forcer les confidences, ou plus exactement, à n'en pas douter, les demandes. Ils ne s'appréciaient guère, autant abréger cette entrevue improvisée au plus vite. La jeune femme fit donc en sorte de faire sortir la petite troupe et attendit que sa fille fut sortie, emmenée par sa nourrice, pour enfin prêter attention au jeune homme qui s'était attardé également de son côté, laissant sa douce s'éloigner avec une de ses amies. Aliénor en profita pour l'interpeller, et il ne se fit pas prier.

Ils commencèrent à marcher, échangeant des banalités, mais elle connaissait assez Champagne pour savoir qu'il finirait par aller droit au but. Aliénor ne fit pas vraiment attention à son changement d'expression quand elle évoqua la croisade, une erreur de plus de la part de celle qui pensait tout savoir et qui réfléchissait après avoir parlé. A croire que ses actions et caprices catastrophiques du passé ne lui servaient toujours pas de leçon. Un jour, peut être...

-Je suis bien navré de ne pas pouvoir être plus présent à ces petites réunions, ma dame. Peut-être voudrais-je en apprendre davantage pour gagner la dame que mon cœur a élu, vous semblez si connaisseuse en ces choses de l'amour que vous devez être bonne conseillère...

La pique était basse. Aliénor choisit pourtant de ne pas s'en offusquer,  il serait bête de gâcher cette si belle journée par une dispute stupide qui aurait fait les gorges chaudes de la cour. La reine se querellant avec le comte de Champagne ? Le palais en aurait fait ses gorges chaudes. Encore que, il aurait fallut qu'elle aimât Louis, ce qui avait été le cas, mais très rapidement, il y a bien longtemps.

-Je serais flatté d'avoir une discussion sur la meilleure façon d'avouer son amour à sa dame mais vous savez bien que je ne suis pas là pour cela, combien même la demoiselle de Surgères, l'une de vos demoiselles, fut fort utile. A vrai dire, je sais très bien ce que vous souhaitez le plus au monde à l'heure actuelle et je sais également que vous avez besoin d'appui.

Le ton du comte était plus sérieux, et il se dégagea du bras d'Aliénor tout en continuant de parler. La jeune femme savait très bien à quoi il faisait allusion. Oui, elle avait besoin d'allier. Mais de la part d'un fidèle à son mari ? Elle n'était certainement pas prête à vendre son âme au diable. Du moins pas plus qu'elle ne l'avait déjà fait.

-Je sais que vous vous êtes lassée du charme de la ville de Paris et que vous voulez retourner librement dans votre principauté... S'il vous plaît, ne me faites pas l'affront de me soutenir que vous êtes réellement perturbée par un soit-disant cousinage avec le roi. Je suis une voix au conseil du roi, je peux soutenir ce que vous souhaitez, je peux vous assurer un retour à Poitiers sans que personne ne tente de s'emparer de votre personne. Et si nous ne pouvons nous entendre, nous pouvons être alliés, ma dame.

Aliénor retint à nouveau son sang aquitain qui lui disait de renvoyer le fameux preux chevalier au plus loin et dans des termes bien moins chevaleresques. Mieux valait laisser « l'allié » dire ce qu'il avait à dire avant de prendre une décision, au moins, on savait quel jeu il jouait. Henri reprit son bras, et ils arrivèrent dans les jardins. La vue de tous était à la fois un avantage et un inconvénient. Si on pouvait bien voir la reine et le comte discuter, et prouvait bien qu'ils n'avaient rien à cacher, cela empêchait Aliénor de faire un esclandre. Elle serra les dents, enfermée dans le jeu de Champagne.

-Évidemment, cela ne peut se faire qu'avec une contrepartie, j'approuve la séparation mais vous donnez à votre tour quelque chose que je veux. La cour n'ignore pas mes vues, elles sont pour les terres de Châteauroux, je suis le parrain de leur jeune seigneur pour lequel on vous a juste promis un serment de fidélité qui ne viendra peut-être jamais.

Châteauroux... Cette terre et sa petite dame, qui se voulait jouer dans la cour des grands et qui pouvait si facilement être écrasée. Maintenant, il fallait qu'il y mette son nez.

-Donnez-moi votre accord pour marier la dame Sybille de Déols à mon frère de Blois et nous gagnerons tous les deux. Nous régenterons le domaine jusqu'à la majorité du jeune Aymeric et en échange, vous aurez une dame de Déols muselée. Songez-y, vous y voyez également votre intérêt.

Aliénor allait répondre quelque chose de cinglant quand on les interrompis :

-Ma reine ! Que pensez-vous d'un colin-maillard ? Il faudrait que chacun puisse y reconnaître sa dame et...

-Non, à cette heure, il vaut mieux reposer les corps et aiguiser les esprits avec quelques vers et ainsi faire montre d'une toute autre adresse...

-Seuls ceux incapables de reconnaître leur aimée feraient une telle proposition !

-Je ne vous permet pas...

-Suffit ! S'exclama Aliénor qui commençait à avoir la tête qui lui tournait, entre le discours de Champagne qui l'enfermait dans un piège dont elle n'était pas certaine de se sortir, et le babillage des deux autres.

Ils se turent, attendant avec angoisse la réponse de la reine. Aliénor réfléchit rapidement. Là où les poèmes attendraient son jugement, le joyeux chahut d'un colin-maillard lui laisserait le temps de penser et ne lui demanderait pas de participation active. De plus, elle était presque certaine que Champagne n'y participerait pas. Et quand bien même, cela lui laisserait plus de  temps. Il semblait vouloir une réponse rapide.

-Va pour le colin-maillard. Ne vous en faites pas messire, devant la mine déçue du second, vous aurez votre revanche bientôt.

Et elle aussi si on lui laissait le temps de penser, plutôt que de la brusquer. Philippa de Surgères sembla un peu déçue, et s'accrocha au bras de Champagne alors que le jeu s'organisait. Aliénor s'installa sur le siège prévu pour elle, faussement attentive, mais ses pensées étaient bien ailleurs. Châteauroux était une épine dans son pied depuis la mort de son seigneur. Sa châtelaine pensait pouvoir réussir à devenir indépendante, importante. Mais Aliénor n'avait pas l'intention de la laisser faire et cela n'avait jamais été le cas. Elle lui apprendrait comment danser, quand elle aurait le temps de s'occuper de cette idiote. La proposition de Champagne aurait été intéressante, si sa contrepartie avait été certaine. D'autant plus que se dégager de Louis pour être « protégée » ou plutôt encerclée et surveillée par les Blois-Champagne ne lui paraissaient pas une idée si brillante que ça. La discussion qu'elle avait eut quelques jours plus tôt avec Mathilde l'Empresse ne quittait pas ses pensées. Quitte à choisir entre Henri de Champagne et ses promesses faites rapides, et Henri Plantagenêt... La seconde alliance, idée de sa mère, était certes plus intéressante aux yeux d'Aliénor, mais pour le moment, pas beaucoup plus certaine. Plantagenet était jeune, et plein de fougue, il n'y avait qu'à voir son refus de prêter serment à Louis ce qui le rendait plus dangereux, quoi qu'un époux plus à sa mesure... Et une fois Châteauroux accordé à Thibaud de Blois – était-il utile de préciser ce qu'elle pensait du plus jeune frère ? - qu'est ce qui garantissait que Champagne la soutiendrait toujours ? Aliénor soupira, rassérénée sur sa négociation. Revenant à ce qui se passait, elle vit les jeunes femmes courir, essayer d'échapper aux chevaliers, et, ça et là les couples qui s'étaient déjà trouvés assis sur le sol en regardant les autres jouer.

Elle chercha une seconde Champagne du regard. Il n'était pas si loin, et il ne lui fallut que quelques secondes pour capter son regard, et lui faire signe de s'approcher. Philippa de Surgères fit la moue, ce qui fit sourire Aliénor. Si elle savait... Elle lui laissait totalement son chevalier, qu'elle ne s'en fasse pas. Quand Champagne s'approcha d'elle, elle lui fit signe de s'installer sur les coussins autour d'elle prévus à cet effet, et, faisant mine de toujours observer le jeu, elle commença à articuler le plus discrètement possible :

-Pour être du conseil du roi, vous connaissez effectivement toutes les difficultés du royaume, même celles qui ne vous concernent guère, votre position auprès du roi le prouve facilement. Votre proposition pourrait avoir ses atouts... Je dis bien « pourrait ». Eclairez-moi, voulez-vous ? Pourquoi vouloir mettre votre nez jusqu'à Châteauroux en mariant votre frère à sa châtelaine ? Le pauvre, vu la réputation de Sybille de Déols, ce n'est pas un cadeau que vous lui faites, ironisa la jeune femme. Je ne comprends pas votre avantage. Par contre, j'y comprends le mien. Et, hélas, une fois mon consentement donné, quelle force vous pousserait encore à me soutenir dans mon entreprise ? Aucune je le crains, soupira-t-elle, faussement en détresse.

Elle fit une pause, applaudissant le succès d'un jeune sire à retrouver sa dame, avant de reprendre, avançant toujours des pions à l'aveugle, car dans ce jeu de politique, malgré sa position, c'était hélas les hommes qui tiraient les ficelles.

-Et pourquoi ne pas l'épouser vous-même, d'ailleurs ? Vous n'auriez pas à passer par votre frère pour gérer cette terre qui semble vous tenir tant à cœur.

Elle se servit un verre de vin coupé d'eau, de miel et d'épice sur la table à son côté et en proposa un à son interlocuteur.

-Vous semblez penser que vous êtes ma seule option, comte. Ce n'est pas le cas, ajouta-t-elle, sybilline, et peut être un peu trop anticipatrice. Le roi veut un héritier mâle, que, dans ses voies impénétrable, le Seigneur a refusé que je lui donne. Notre parenté – qu'elle vous paraisse stupide ou non – est une excellente raison à cette séparation. Mais qui vous dis que je n'ai pas eus de meilleures offres ailleurs ?

Le ton d'Aliénor s'était un peu durcit, malgré son sourire de façade.

-Vous voulez Châteauroux, et tout les problèmes qui vont avec, grand bien fous en fasse ! et pour cela, vous voulez mon accord. Je veux me séparer du roi, et pour cela, votre aide pourra être nécessaire. Je ne vois aucun problème à vous donner satisfaction, si et seulement si, j'ai la garantie en échange que vous ne reviendrez pas sur votre parole une fois ma part du marchée accomplie.

C'était jouer un jeu dangereux, Aliénor le savait. Elle prétendait avoir bien plus de cartes en main qu'elle n'en avait, c'était évident. Pourtant elle ne pouvait pas tout simplement dire « oui » et finir par se retrouver de nouveau coincer ici. Prétentieuse et trop sûre d'elle ? Pour une fois, il ne s'agissait que d'une façade.
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