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 Qui va à la chasse peut y perdre plus que sa place / Henri & Sybille

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Sybille de Déols

Sybille de Déols

Per aspera
AD ASTRA


Messages : 559
Date d'inscription : 11/12/2012
Age : 30
Localisation : Sur mes terres de Châteauroux, sur celles de ma famille ou à la cour.

Feuille de route
Mon coeur est: vide, et non à prendre.
Je suis né à: Amboise.
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MessageSujet: Qui va à la chasse peut y perdre plus que sa place / Henri & Sybille   Qui va à la chasse peut y perdre plus que sa place / Henri & Sybille EmptyDim 7 Avr - 23:32

Sybille de Déols  a  dit:
Il régnait sur la demeure seigneuriale de Châteauroux une agitation devenue presque rituelle depuis quelques années, ou du moins, dont on avait cessé de s’étonner aux environs depuis que la mort du maître des lieux avait laissé la place de châtelain vacante. Restée inoccupée depuis, celle-ci n’avait cessé de susciter la convoitise des seigneurs alentours et il n’était pas rare que l’un d’entre eux s’invitât quelques jours pour tenter de conquérir sinon le coeur, réputé imprenable, du moins l’intérêt de la jeune veuve qui régentait le domaine seule, sans donner suite à aucune des propositions qu’on pouvait bien lui faire. Ce n’était pas faute d’insistance de la part de certains, qui ne se laissaient pas décourager par l’apparent et ferme désir de Sybille de Déols de ne pas se remarier dans l’immédiat, et régulièrement, il arrivait à Châteauroux un messager annonçant la venue de tel ou tel seigneur. Ainsi, à chaque nouvelle arrivée, recommençait le ballet désormais bien connu des serviteurs, des mets et des artistes en tous genres, car si la jeune dame ne s’en laissait pas conter par ces ambitieux, il s’agissait néanmoins de les impressionner. Il y avait là un subtil mélange de calcul et de fierté de sa part, de sorte que les moins entêtés finissaient par comprendre qu’il n’était pas question d’obtenir quoi que ce soit de la féroce veuve. Les autres n’hésitaient pas à revenir à la charge mais, inlassablement, Sybille déployait le même manège, se montrant aussi ferme sur ses positions que charmante hôtesse, soufflant chaud et froid avec un naturel déconcertant, tout en en manoeuvrant assez habilement pour ne pas se créer plus d’ennemis qu’elle n’en avait déjà. Un manège parfois lassant à ses yeux, mais elle savait qu’en affichant aussi clairement sa volonté d’indépendance, elle ne pouvait y échapper, aussi se pliait-elle au jeu, quitte à s’y laisser prendre parfois. Elle savait bien que tout cela ne pourrait durer éternellement, mais il n’était pas encore temps, selon elle, de prendre un parti.

Ce n’était toutefois pas là l’avis des plus décidés, à la tête desquels le seigneur de Loches, qui s’était annoncé une semaine auparavant et avait fait son entrée dans Châteauroux deux jours plus tôt, et ce pour la troisième fois. Son insistance était d’autant plus remarquable que parmi ses rivaux, il n’avait clairement pas ne serait-ce que l’estime de Sybille, qui ne voyait en lui que le vassal d’Henri Plantagenêt, face auquel il était hors de question qu’elle cède d’une façon ou d’une autre. Elle avait déjà repoussé toute idée d’alliance avec les Angevins bien des fois, et face au jeune comte lui-même, or l’entêtement de ce dernier l’agaçait. Elle n’osait d’ailleurs imaginer ce qu’il en aurait été si Henri avait eu vent du fils qu’il lui avait laissé, et la présence trop insistante de Geoffroy de Loches constituait un danger pour le secret qu’elle faisait farouchement peser sur l’existence de Guillaume. En un mot, et malgré ce qu’il semblait penser, il n’était pas le bienvenue sur les terres de Déols et alors même qu’elle l’avait accueilli de façon tout à fait honorable, Sybille songeait qu’il lui faudrait trouver un moyen définitif de faire comprendre à Henri Plantagenêt qu’il perdait son temps en lui envoyant son vassal. Hélas, et cette pensée lui tira un nouveau soupir alors qu’elle ajustait distraitement le long voile de soie qui dissimulait sa chevelure, elle savait assez à qui elle avait à faire pour pouvoir être certaine qu’il n’en démordrait pas aisément. Heureusement, Geoffroy de Loches n’était pas le parti le plus intéressant qui s’offrait à elle et Sybille pouvait se permettre de balayer froidement ses propositions en espérant qu’il se décide à partir avant qu’elle n’ait à lui signifier que son séjour en ces murs ne pouvait plus durer. En attendant, il lui fallait jouer le jeu, aussi s’arma-t-elle d’un air détaché et serein, assorti d’un sourire de circonstance, avant de quitter sa chambre pour rejoindre le seigneur et sa suite.

Celui-ci s’était en effet fait accompagner d’une petite escorte, composée de quelques chevaliers. Passant elle-même assez de temps avec leur seigneur pour avoir une idée claire de ce qu’il pouvait bien faire ou dire, Sybille avait chargé deux domestiques de confiance de laisser traîner leurs oreilles en présence des chevaliers. Elle laissa ainsi échapper une moue satisfaite quand, alors qu’elle pénétrait dans la grande salle réception, elle aperçut sa fidèle Cyrielle nettoyer consciencieusement la table dressée pour l’occasion du côté des hommes de Loches. Ces petites indiscrétions ne lui apportaient le plus souvent que peu de chose, quelques ragots la plupart du temps, ainsi que des impression qui lui importaient généralement peu, mais il semblait à la jeune dame qu’on ne pouvait pêcher par excès de méfiance. Une méfiance que les relations de Geoffroy avec Plantagenêt motivait tout particulièrement à ses yeux. Sybille laissa donc Cyrielle à son office et après avoir échangé quelques mots avec Jehan qui partit s’assurer que les préparatifs pour le reste de la journée allaient bon train, elle rejoignit son invité et les deux hommes qui l’accompagnaient. Celui-ci ne prit que le temps de la saluer, et d’échanger quelques banalités sur la chasse que la jeune femme avait décidé d’organiser avant d’en venir au sujet qu’elle évitait ostensiblement depuis son arrivée.
« J’aimerais dire quelques mots à notre hôte, en privé, lança-t-il à ses compagnons au détour de la conversation, qui s’éloignèrent aussitôt. »
Sybille n’eut d’autre choix que de reste, un sourire ironique aux lèvres. Après tout, il fallait bien que cette conversation eût réellement lieu à un moment ou un autre, et non de façon saccadée comme elle l’avait été jusque là. De plus, il s’agissait sans doute du seul moyen de mettre un terme à cette visite impromptue, et ce de façon définitive peut-être. Elle ignorait alors qu’après ce jour-là, elle n’aurait en effet plus à faire face au seigneur de Loches.
« Avez-vous reconsidéré ma proposition ? interrogea celui-ci en dardant sur elle un regard perçant.
- Ne vous ai-je pas donné une réponse ? rétorqua-t-elle immédiatement. Le duc de Normandie et vous-même perdez votre temps ici, je croyais vous l’avoir fait entendre. »
Il y eut un court silence, dont ils profitèrent pour se dévisager l’un l’autre. Ni le seigneur de Loches ni la dame de Châteauroux ne semblait décidé à céder.
« Alors à quoi bon tout ce manège ? Vous ne me recevez pas chez vous simplement pour refuser tout ce que j’ai à vous proposer ! Songez à tout ce que cette alliance peut vous apporter : une position sûre, la protection des Normands, s’anima le seigneur qui ne se formalisa pas de la façon dont elle fronça les sourcils, agacée. Je pourrais procurer à vos fils les meilleurs précepteurs...
- Je sais tout cela, mon seigneur, interrompit Sybille, nous avons déjà eu cette conversation. Mais ma réponse reste la même qu’il y a deux jours. »

Une réponse nette, catégorique et sans appel, qui n’avait pas changé depuis leur première rencontre. L’obstination de la jeune veuve tira un soupir au prétendant, qui ne se laissa pas décourager pour autant. Il aurait sans doute repris si les portes de la salle ne s’étaient pas soudain ouvertes sur l’un des gardes du château. Sans sembler se rendre compte que son entrée avait attiré l’attention général, il chercha dans la pièce, l’air vaguement perdu, si bien que ce fut Sybille elle-même qui vint à sa rencontre, flanquée - même si elle ne le lui avait pas demandé - d’un Geoffroy ennuyé.
« Qu’y a-t-il ? demanda-t-elle.
- Une troupe est entrée dans Châteauroux, ma dame, et vient vers le château, répondit le garde à la surprise générale.
- Une troupe ? Quelle troupe ?
- Un seigneur et son escorte... quelques personnes.
- Quel seigneur ?
- Eh bien... à vrai dire... balbutia confusément le jeune homme, sous le regard perçant de Sybille. Je crois que... je...
- Le comte de Champagne vient de se faire annoncer. Il ne vient pas seul. »
Ce fut Jehan, tout en pénétrant à grand pas dans la salle de réception, qui leva le mystère sur cette arrivée et mit fin à l’embarras du garde. À ces mots, la dame de Déols se redressa, tandis que derrière elle, chacun reprenait sa conversation en y allant de son commentaire, à l’exception du seigneur de Loches qui ne chercha pas à dissimuler combien peu la nouvelle le ravissait. C’est après lui avoir jeté une brève oeillade que Sybille leva les yeux au ciel. Seigneur, n’avait-elle pas assez de celui-ci pour que Henri eût décidé de s’inviter aujourd’hui, et avec sa cour qui plus est ? Elle ne put retenir un soupir, avant de renvoyer le garde penaud puis d’échanger un regard entendu avec Jehan. Du prétendant sous l’égide de Plantagenêt ou du comte qui n’avait toujours pas renoncé à la marier à son frère, elle ne savait lequel l’agaçait le plus à l’instant.
« J’ignorais que vous attendiez... commença le premier, tranchant d’ailleurs la question.
- Je l’ignorais aussi, l’interrompit Sybille. »
Elle resta un instant pensive devant cette coïncidence qui n’y ressemblait guère, en y songeant, puis donna quelques ordres afin que l’on accueillît le nouveau venu.

Elle se trouvait elle-même dans la cour du château lorsque l’escorte en question, effectivement menée par Henri de Champagne, y fit son entrée. Elle ne put retenir - certes, teinté d’ironie - à la vue du jeune homme tandis qu’à ses côtés une petite silhouette s’agitait. Le contraste entre le ravissement d’Aymeric, l’indéfinissable moue de sa mère et l’air toujours profondément ennuyé (quoi que vaguement dissimulé derrière un détachement de circonstance) du seigneur tourangeau devait paraître pour le moins saisissant. Doucement, Sybille posa une main sur l’épaule de son fils pour qu’il cessât de s’agiter, mais ce fut toutefois lui qui alla le premier accueillir son parrain - ce qui n’était pas mauvaise justice car le jeune garçon était bien le seul à ne pas avoir à feindre un enthousiasme débordant. La dame de Châteauroux, quant à elle, adressa un sourire appuyé au nouveau venu.
« Voilà une visite à laquelle je ne m’attendais pas ! lança-t-elle après l’avoir salué. J’espère que vous n’aviez pas envoyé quelqu’un nous prévenir, sinon sachez que votre messager s’est perdu. »
Un regard entendu appuya ces quelques mots. Sybille n’était plus surprise de ces arrivées à l’improviste, mais elles donnaient un peu trop l’impression que le comte se sentait ici chez lui à son goût. Elle n’insista pas : il l’avait sans doute comprise, et se contenta d’observer la petite troupe qui s’éparpillait derrière lui.
« Et vous n’êtes pas seul. Je suis... honorée. Vous seriez vous donné le mot ? ajouta-t-elle en se tournant vers son premier invité.
- Tout cela n’est que pur hasard, lui assura celui-ci.
- Ah oui... ? marmonna la jeune femme en se tournant vers Henri. En ce cas, laissez-moi vous présenter le comte de Champagne, qui est le parrain d’Aymeric.
- C'est un plaisir, mentit le tourangeau.
- Comte, voici Geoffroy de Loches, un... ami de votre cousin Plantagenêt qui est arrivé il y a deux jours. Un hasard amusant, en effet. »

Il fallut encore échanger quelques politesses d’usage avec les nouveaux venus, puis enfin, tout le monde put entrer à sa guise dans le château, où l’on s’agitait pour accueillir le comte et son escorte. Flanquée de ce dernier à sa gauche, pour l’heure accaparé par le babillage de son filleul, et d’un Geoffroy pensif à sa droite, Sybille se laissa un instant submerger par la désagréable sensation d’être cernée, mais ne cessa de donner le change, une moue sibylline - sans mauvais jeu de mot - aux lèvres. Le moins ravi de l’assemblée demeurait le seigneur de Loches, qui n’appréciait visiblement pas beaucoup qu’on lui fît concurrence.
« Nous devions aller chasser, nous accompagnerez-vous ? demanda la jeune dame à Henri, alors qu’un court silence (permis par l’éloignement d’Aymeric par sa nourrice) s’installait. »
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Henri de Champagne

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PREUX CHEVALIER
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MessageSujet: Re: Qui va à la chasse peut y perdre plus que sa place / Henri & Sybille   Qui va à la chasse peut y perdre plus que sa place / Henri & Sybille EmptyMer 8 Mai - 16:33

Henri de Champagne  a  dit:
C'était une joyeuse troupe qui avançait lentement sur les routes de Champagne, à la vitesse du pas des haquenées sur lesquelles les dames, drapées dans leurs robes de tissu précieux de Flandres, avaient pris place en amazones. Elle était uniquement composée de jeunes gens au rire clair et facile, prêts à chaque instant à s'amuser, persuadés que l'aventure les attendait à chaque château qu'ils visitaient et que leur destin leur appartenait. Au centre de cette équipée, il n'y avait autre que le comte de Champagne lui-même, un jeune homme de vingt-quatre ans monté sur son solide destrier que l'on ne pouvait distinguer de ses compagnons sinon peut-être par la prestance qui émanait de lui et par la retenue qu'il conservait, malgré son large sourire, devant les facéties des jongleurs. Il avait entrepris de se rendre de forteresses en forteresses pour se rappeler au bon souvenir de ses vassaux qui lui avaient juré allégeance et partout, ils avaient été accueillis dans une atmosphère de fête et de triomphe. Le seigneur de Fouchères avait même organisé un tournois pour distraire ses invités tandis que le vieil évêque de Châlons s'était associé aux bourgeois de la bonne ville pour offrir un festin mémorable au comte qui avait permis son élection. Évidemment, derrière les rires et les amusements, cette gaieté non feinte, comme apanage de cette jeunesse dorée qui avait oublié la guerre quand elle l'avait seulement connue et qui se complaisait dans les chants de leurs exploits, tout cela était éminemment politique comme tout ce que faisait Henri de Blois. A première vue, on ne pouvait pas trouver plus différent que son père et c'était sans nul doute ce que pensaient tous ses hôtes successifs car ils n'avaient ni le même physique, ni le même caractère et pourtant, Henri ressemblait bien plus à Thibaud qu'on ne pouvait le penser. Parmi ces traits communs, il y avait cette même absence de désintérêt et cette volonté de s'imposer. A ce petit jeu-là, tous ceux qui l'entouraient, tous ces compagnons qui plaisantaient et joutaient contre lui, tous ces seigneurs plus expérimentés qui le fêtaient un jour mais n'hésiteraient pas à le trahir le lendemain ne s'en doutaient pas, mais Henri était beaucoup plus doué que son père. On le croyait plus réservé, il n'en était que plus patient et moins impulsif. On se disait qu'il était bien jeune, il n'en était que plus ambitieux. On louait son aimable caractère peu emporté, il n'en était que plus décidé et ne lâchait en aucun cas les objectifs qu'il s'était fixé. Si personne n'ignorait les enjeux de ces voyages, ils étaient pourtant beaucoup plus que de simples mascarades. C'était une manière de souder les jeunes gens qui entouraient le comte et de s'occuper l'esprit pour avoir assez d'histoires à raconter lorsque viendrait l'hiver qui rendrait les déplacements plus compliqués. C'était aussi une manière de se distraire et de profiter de l'existence avant que la saison des guerres ne les rattrape, eux et leur insouciance, séparant parfois à jamais les preux chevaliers des dames de leur cœur. Avant que les chants des trouvères ne deviennent réalité, que leurs homonymes braves mais rêvés ne soient confrontés au sang et aux larmes.

La petite troupe était en chemin pour Sancerre où le comte Étienne leur avait promis des jours et des jours de fête sans fin lorsqu'un messager pénétra le cortège pour apporter des nouvelles à Henri. Ce dernier avait pris l'habitude d'avoir des oreilles et des yeux partout pour se tenir au courant des mouvements de ses adversaires tout comme ceux de ses alliés aussi cela n'étonna-t-il personne. Cependant, le comte écouta cette fois-ci le rapport avec un intérêt accru et prit un certain temps avant de prendre la décision qui s'imposait. Il aurait été peu honnête de dire qu'il n'avait pas pensé à prendre la route de Châteauroux pour aller saluer son jeune filleul comme il prenait plaisir à le faire de temps à autre – car si la seigneurie n'était pas dans le territoire de sa principauté, il aimait à signaler sa présence à la mère de l'enfant et se considérait comme le protecteur naturel des terres de celui qui portait le nom d'Abo. Mais il avait repoussé la décision à plus tard car la petite troupe se laissait souvent porter par les fêtes et les invitations, partant et arrivant comme cela lui chantait. Toutefois, les nouvelles de Châteauroux lui déplaisaient assez pour faire stopper les hésitations et, après quelques jours passés dans une abbaye vassale qui avait d'intéressants territoires de chasse, pour lancer sa suite sur la route du château fort qui surplombait l'Indre et dont les tours furent visibles à des heures de trajet. Henri de Champagne n'était pas assez stupide pour ignorer ce que désirait le seigneur de Loches et ce qui motivait une énième visite en la demeure de Sybille de Déols. La troisième très exactement comme le message de son espion qui travaillait aux cuisines du château le lui avait transmis. Cette insistance était probablement vaine car la dame n'était pas du genre à s'en laisser compter mais Henri n'avait pas l'intention de laisser le dernier mot à un vassal notoire de son cousin Plantagenêt – qui, par ailleurs, lui avait promis lui laisser le champ libre à Châteauroux. Si ces pensées obscurcirent l'humeur du comte de Champagne, il n'en fit rien paraître et ce fut avec la même frivolité que le petit cortège dépassa les premières bâtisses du village blotti au pied de la forteresse.

En pénétrant dans la cour d'honneur, Henri de Champagne se revit quelques années auparavant lorsque, jeune chevalier rentré de croisade, il allait rendre visite à la dame des lieux pour lui annoncer la mort de son époux. Si la haute porte de fer était la même, si le donjon gris laissait encore flotter les armes de la famille de Déols, tant de choses étaient différentes depuis ce temps-là ! À l'époque, il était épuisé de sa longue route, impatient de retrouver sa propre famille, uniquement accompagné par quelques amis qui s'étaient battu avec lui contre les Infidèles et il n'était là que pour annoncer une bien mauvaise nouvelle. La situation actuelle n'avait plus aucun rapport avec ce vieux temps où il n'était alors que le fils aîné d'un comte puissant. Il se déplaçait désormais avec sa propre cour, chatoyante de couleurs et parée de toutes les richesses et lui-même avait un pas presque conquérant en cet endroit où il s'était rendu bien des fois. Et désormais, Sybille de Déols et son fils se trouvaient déjà présents pour les accueillir. Henri ne parvint pas réellement à distinguer l'expression du visage de la dame des lieux, dont les traits demeuraient indéfinissables dans toutes circonstances mais qui étaient alors en partie dissimulés par le voile posé sur ses boucles blondes et qui volait au gré du vent. En revanche, l'impatience du petit Aymeric ne lui échappa pas et il ne put empêcher un sourire ravi et sincère d'écarter ses lèvres. La petite troupe stoppa derrière lui dans un joyeux désordre. On avait déplié la bannière pour annoncer leur arrivée mais on avait désormais du mal à la replier et l'un des gardes du château, venu prêter main-forte, parvint à s'enrouler dedans au grand bonheur des dames qui gloussèrent joyeusement. Henri descendit de monture, aida sa compagne de voyage qui lui donnait volontiers ses couleurs quand il tournoyait, la dame Quéruel, à faire de même puis s'approcha des maîtres des lieux, tandis que, derrière lui, on déballait les sacs et les présents (au grand plaisir des gardes qui découvrirent les produits de la chasse dans la forêt de la dernière abbaye visitée). Le petit Aymeric n'attendit pas que le protocole fut dûment rempli pour se précipiter vers son parrain qui se pencha vers lui pour le prendre dans ses bras et l'embrasser sur la joue avant de le soulever devant lui en poussant forces exclamations :
- Et bien, te voilà bien grand ! Tu vas finir par me rattraper !
- Maman dit que c'est encore dans longtemps mais je commence déjà à m'entraîner à l'épée pour être un vrai chevalier comme vous.
Henri se retourna vers les hommes de sa petite troupe pour leur désigner le petit garçon blond :
- Voyez, messeigneurs, il va vous faire de la concurrence !
- Je connais déjà des chevaliers qui pourraient s'inquiéter car ils ne font pas le poids, monsieur le comte, glissa un jongleur qui s'attira quelques rires.

Henri déposa le petit Aymeric à terre en se plaignant de ne plus pouvoir le porter puis s'approcha enfin de la dame de Déols qu'il salua poliment, non sans remarquer la moue qu'elle faisait et qui l'amusa.
- Voilà une visite à laquelle je ne m'attendais pas ! J'espère que vous n'aviez pas envoyé quelqu'un pour nous prévenir, sinon sachez que votre messager s'est perdu.
Le comte fit mine d'ignorer le reproche inhérent à cette remarque et garda un air tout à fait innocent au regard appuyé qu'elle lui lança avant de répliquer :
- Vous voyez, ma dame, je ne me lasse pas de provoquer la surprise !
- Et vous n'êtes pas seul. Je suis... Honorée.
Henri allait répondre qu'il espérait de tout cœur qu'il pourrait lui présenter le reste de sa cour qui pourrait la distraire quelques jours peut-être – surtout que pour une raison qu'il ne comprenait pas bien, il voulait que Sybille se sente à l'aise dans une telle compagnie et qu'elle apprécie ses propres amis – mais ce fut à cet instant-là qu'il remarqua enfin l'homme qui se tenait derrière Sybille comme pour la flanquer de sa présence. Et qu'il se remémora l'objet de sa visite. Ce fut la jeune femme qui procéda aux présentations et dès le premier regard qu'Henri échangea avec Geoffroy de Loches, il sut que celui-ci n'était qu'un espèce d'imbécile qui ne savait pas où il mettait les pieds et qu'il ne gagnerait jamais son estime.
- Comte, voici Geoffroy de Loches, un... Ami de votre cousin Plantagenêt qui est arrivé il y a deux jours. Un hasard amusant.
- Tout le monde veut donc profiter de votre aimable compagnie ! Sourit Henri, n'ayant pu s'empêcher de lancer ce compliment facile.
Il ne se donna pas la peine de mentir sur l'absence de plaisir qu'il éprouvait à rencontrer le seigneur tourangeau et se contenta d'un signe de tête à son égard tandis qu'il le jaugeait du regard et que les dames se mettaient à commenter la scène derrière lui, non sans mépris pour l'invité. De toute façon, on ne s'attarda pas davantage et la petite troupe, bien grossie par les Champenois, pénétra dans Châteauroux sous l'égide de la dame de Déols. C'était pour le moment Aymeric qui faisait la conversation et accaparait l'attention du comte pour lui raconter ses dernières découvertes mais Henri ne l'écoutait que d'une oreille distraite, saluant au passage le dévoué Jehan, notant que les hommes aux couleurs de Loches occupaient déjà bien les lieux, comme s'ils se trouvaient chez eux ce qui lui déplut fortement. On arriva bientôt dans la grande salle où le petit garçon dût les abandonner et Sybille en profita pour relancer la conversation tandis que le seigneur Geoffroy gardait un silence boudeur.
[color=darkgreen]- Nous devions aller chasser, nous accompagnerez-vous ? Demanda-t-elle en s'adressant au nouveau venu.
- On ne peut refuser une telle invitation, répondit Henri d'un ton badin, vos forêts sont giboyeuses et mes hommes seront ravis de pouvoir s'occuper, j'ai quelques excellents chasseurs parmi eux.
Ce faisant, il coula un regard vers Loches qui ne réagit toujours pas. Henri se demanda un instant quelles relations il avait exactement avec Sybille et comment celle-ci pouvait simplement le supporter.

L'éloignement momentané de la jeune femme pour aller donner des ordres en ce sens permit au jeune comte de faire mine de se rapprocher du vassal de Plantagenêt. Gardant l’œil sur la silhouette gracieuse de la dame blonde mais sans prêter attention à la servante qui venait lui apporter un verre, il lança comme s'il ne s'agissait que d'une question secondaire :
- Venez-vous souvent à Châteauroux, monseigneur ? Je n'ai pas le souvenir de vous y avoir croisé.
- Non en effet, répliqua Geoffroy en bombant le torse, mais il me faut venir pour m'habituer aux lieux où vit ma future épouse.
Henri se crispa légèrement à ces mots et prit une gorgée de la boisson qu'on lui avait servi, une bière douce de la région :
- Votre future épouse ? Avez-vous eu des assurances en ce sens ?
- La dame de Déols résiste pour le moment mais elle sait bien qu'elle aurait de nombreux avantages à une telle alliance, la protection...
Il s'interrompit comme s'il venait de commettre une gaffe mais Henri, qui avait momentanément tourné la tête vers lui, devina que Sybille retournait à grands pas vers eux. De toute façon, le seigneur n'avait pas besoin d'aller plus loin, il avait compris qu'on l'avait trahi. Que le cousin qui lui avait donné Châteauroux et qui avait promis de favoriser un mariage avec son frère Thibaud avait envoyé son propre vassal doubler le comte de Champagne en lui donnant des assurances et en lui apportant sa protection. La bière avait désormais un goût bien amer mais le sourire d'Henri ne faiblit pas même s'il avait compris qu'il fallait au plus vite se débarrasser de ce Geoffroy et envoyer un signe à l'Angevin. Loin de ces préoccupations subites, Sybille de Déols annonça qu'en raison du temps de préparation, la chasse serait reportée au lendemain mais qu'un banquet serait organisé le soir même.
- Permettez à mes jongleurs et mes trouvères d'assurer notre divertissement, intervint Henri avec une mine réjouie car il était particulièrement fier de ses compagnons qu'il avait pris sous son aile peu de temps auparavant.
Il fit un geste pour demander à son trouvère de s'approcher et lui commanda de déclamer quelques vers :
- Préférerez-vous une chanson d'amour et la relation d'exploits guerriers, monseigneur ? Demanda le jeune garçon en s'inclinant poliment mais non sans grimacer en direction des demoiselles pour s'attirer quelques rires.
- Il me semble que la chanson d'amour soit plus appropriée, répliqua Henri avec ironie, mais demandez à la dame de Déols, c'est à elle de choisir.
Alors que le trouvère s'exécutait de sa voix claire et assurée, le comte vit du coin de l’œil Geoffroy se redresser, sans doute pour faire quelques propositions à son tour mais il ne lui en laissa pas le temps et entraîna la jeune dame un peu plus loin.
- Figurez-vous, ma dame, que j'ai apporté avec moi quelques merveilles de manuscrits recopiés par les chanoines de Troyes, vous plairait-il de les voir ?
Des serviteurs plus compétents que les autres apportaient déjà les vitae et les missels mais Henri se saisit d'un énorme volume et l'ouvrit sur la table alors que les invités s'approchaient pour observer, Geoffroy de Loches et Danielle Quéruel en tête.
- Il s'agit d'un bestiaire, expliqua Henri en tournant les pages richement enluminées, chaque animal réel ou fantastique y est catalogué. Connaissez-vous assez bien le latin pour lire ces pages ? Si tel est le cas, je serais honoré de vous en faire cadeau.
C'était là un magnifique présent mais Henri tenait autant à voir briller les yeux de Sybille qu'à se faire pardonner par avance de la suite des événements.
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Sybille de Déols

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MessageSujet: Re: Qui va à la chasse peut y perdre plus que sa place / Henri & Sybille   Qui va à la chasse peut y perdre plus que sa place / Henri & Sybille EmptyJeu 16 Mai - 14:10

Sybille de Déols  a  dit:
Sans aller jusqu’à dire qu’elle ne croyait pas aux coïncidences, Sybille ne pouvait imaginer que la présence du comte pût être uniquement due au hasard, alors même que le seigneur de Loches s’était lui aussi invité à Châteauroux. D’une façon ou d’une autre, il avait sans doute été mis au courant de l’arrivée du vassal de l’Angevin, et alors qu’ils se dirigeaient tous vers la grande salle de réception, la châtelaine se prit à imaginer que l’indiscrétion pouvait venir de l’un de ses gens. L’idée la contraria, mais elle songea qu’une telle manoeuvre ne serait guère étonnante de la part du comte de Champagne, et se promit de régler cette question dès que ses invités, Tourangeaux comme Champenois, lui auraient fait l’honneur de s’en aller. Pour l’heure, il lui fallait donner le change, tâche doublement ardue, car si elle devait admettre que la présence d’Henri lui était plus supportable que celle de Geoffroy de Loches, elle ne voulait laisser croire au premier qu’il pouvait s’inviter à son grès en toute impunité, pas plus qu’elle ne pouvait froisser définitivement la susceptibilité du second, dont le maître n’était pas à négliger. Debout entre les deux seigneurs, elle s’autorisa un discret rictus en songeant au numéro d’équilibre auquel il lui allait falloir se livrer, quoi qu’elle fût de moins en moins encline à ménager le Lochois qui s’était drapé dans le silence boudeur et la fausse dignité du prédateur attaqué sur son terrain de chasse. Une attitude hautement déplaisante aux yeux de la dame de Déols qui n’aimait guère à se sentir considérée comme un trophée pour lequel on pouvait se disputer sans même songer à la consulter sur son sort. Mais en diplomate aguerrie, elle n’en souffla mot, et mena avec une jovialité feinte l’ensemble des nouveaux venus vers la salle de réception où Tourangeaux et Champenois purent se jauger tout à leur aise, tandis que la cour habituelle de la châtelaine observait le tout avec une certaine perplexité. Sybille, qui embrassa rapidement la pièce du regard, esquissa un sourire cripsé mais ne laissa pas durer ce court instant de flottement et posa les bases d’un statu-quo - au moins temporaire - en annonçant la suite des festivités auxquelles, bien sûr, les nouveaux arrivés étaient conviés.

« On ne peut refuser une telle invitation, répondit le comte de Champagne avant d’ajouter, en (trop) fin connaisseur des lieux : vos forêts sont giboyeuses et mes hommes seront ravis de pouvoir s'occuper, j'ai quelques excellents chasseurs parmi eux.
- Voilà qui promet une belle compétition... rétorqua la jeune femme, non sans ironie. Mais vous semblez avoir fait une longue route, je vais faire reporter tout cela à demain. »
Sur ces mots, elle les pria de l’excuser quelques instants et s’éloigna, sans laisser au seigneur de Loches le temps de protester. D’un regard, elle commanda à Cyrielle de servir un rafraîchissement aux deux jeunes hommes, et surtout de rester attentive, puis alla donner ses ordres, tant pour la chasse du lendemain que pour la soirée à venir, qui méritait une préparation minutieuse. Elle échangea en ce sens quelques mots avec l’un de ses trouvères, qu’elle surprit à observer d’un oeil perplexe les jongleurs et poètes du comte de Champagne s’égayer dans la salle pour aller divertir les dames et leurs chevaliers. Si l’atmosphère paraissait être au badinage, chacun semblait néanmoins avoir compris que tout ce manège n’avait rien de désintéressé - ni même de badin. On avait d’ailleurs commencé par se dévisager avec méfiance mais, l’escorte lochoise mise à part - parce qu’elle était plus constituée de seigneurs destinés à impressionner la dame de Déols que d’une véritable cour - l’on en commençait pas moins à aller les uns vers les autres, pour les plus hardis du moins. D’autres, au contraire, semblaient toujours se demander quelle position adopter et, sentant quelques regards se tourner vers elle, Sybille s’arma d’un sourire avant de revenir vers ses deux « invités », dont elle interrompait visiblement la conversation. Elle les observa une courte seconde, mais le sourire d’Henri n’avait pas plus disparu que l’air boudeur de Geoffroy, aussi elle ne s’attarda pas.
« Nous chasserons donc demain, annonça-t-elle en ignorant qu’elle condamnait ainsi l’un des deux seigneurs, mais un banquet sera servi ce soir, si cela vous convient. »
À vrai dire, cela ne convenait certainement pas au Tourangeau, qui voyait ses projets bouleversés, mais ni l’un ni l’autre n’avait réellement le choix, et si le seigneur de Loches comptait faire la moindre remarque, le comte de Champagne ne lui en laissa pas le temps :
« Permettez à mes jongleurs et mes trouvères d'assurer notre divertissement, proposa-t-il en faisant signe à l’un de ses compagnons de s’approcher. »
Sybille accorda à ce dernier le regard curieux qu’elle avait pour tous les trouvères et autres poètes qui croisaient son chemin. Son intérêt pour les arts n’était un secret pour personne, la jeune mécène ne s’en était jamais cachée, en témoignait la petite cour d’artistes en tous genres qui gravitait toujours autour d’elle et se ferait sans doute un plaisir de rivaliser avec les compagnons du comte.
« Préfèrerez-vous une chanson d’amour ou la relation d’exploits guerriers, monseigneur ?
- Il me semble que la chanson d'amour soit plus appropriée, mais demandez à la dame de Déols, c'est à elle de choisir. »
La dame en question, à laquelle l’ironie de cette réplique n’avait pas échappé, esquissa une moue amusée, tandis que derrière Henri, le seigneur de Loches haussait un sourcil.
« Récitez-nous quelque chose d’entraînant, lança-t-elle finalement sans trancher la question. Ne sommes-nous pas en fête ? »
Un sourire entendu, adressé à chacun des deux hommes, étira ses lèvres puis elle se détourna pour écouter le trouvère qui s’exécuta aussitôt.

Il avait une voix douce, malgré l’air en effet fort joyeux, mais Henri n’en avait visiblement pas terminé. Alors que le Lochois s’apprêtait à prendre la parole, sans doute pour se rappeler au bon souvenir de l’assistance, tandis que la dame se faisait attentive à la ballade du trouvère, il entraîna celle-ci un peu plus loin, et ce sans réellement lui en laisser le choix.
« Figurez-vous, ma dame, que j'ai apporté avec moi quelques merveilles de manuscrits recopiés par les chanoines de Troyes, vous plairait-il de les voir ? »
La jeune femme hésita un court instant, mais la curiosité l’emporta et son regard suivait déjà les quelques domestiques qui apportaient les manuscrits en question lorsqu’elle acquiesça. D’un geste, elle commanda qu’on débarrassât le bout d’une table et s’approcha du volume qu’Henri venait d’y déposer, tout en ignorant royalement Geoffroy et ce qui semblaient être une des compagnes du comte qui tentaient tous deux de se faire une bonne place parmi les observateurs. Rapidement, elle abandonna même toute réserve inutile et se pencha avec un intérêt non dissimulé sur l’ouvrage qui, une fois ouvert, obtint immédiatement toute son attention.
« Il s'agit d'un bestiaire, expliqua le comte, chaque animal réel ou fantastique y est catalogué.
- Il est superbe, souffla Sybille en effleurant du bout des doigts une enluminure aux couleurs vives.
- Connaissez-vous assez bien le latin pour lire ces pages ? Si tel est le cas, je serais honoré de vous en faire cadeau. »
La jeune dame, dont le regard s’était attardé sur le dessin d’un arbre fantastique qui déployait ses branches sur un admirable fond doré ne put que lever un regard brillant sur le comte, assorti d’un sourire ravi.
« Je le lis assez bien, oui, mais c’est un magnifique présent, comte, je ne peux accepter ! s'exclama-t-elle, sincère. »
Il ne fallut pourtant pas l’en prier bien longtemps, et oubliant un instant les raisons de tout ce manège, elle se pencha à nouveau sur le manuscrit pour en tourner précautionneusement quelques pages, avec un ravissement qu’on ne lui voyait que rarement. Le seigneur de Loches et la dame qui accompagnait le comte de Champagne tentèrent bien de donner leur avis, mais Sybille, concentrée sur les inscriptions qui accompagnaient les nombreux dessins, les entendit à peine.
« Quel travail remarquable ! L’avez-vous entièrement traduit ? ajouta-t-elle en se tournant à nouveau vers Henri. »
Il y eut dans l’assistance quelques voix de tous bords qui s’élevèrent, et qui réclamèrent une courte lecture, ne comprenant pas les inscriptions ou étant placés trop loin pour les lire. Devant l’enthousiasme général, qui avait au moins eu le mérite de détendre l'atmosphère, la châtelaine et le comte s’exécutèrent et traduisirent ensemble quelques lignes.

L’émoi provoqué par le manuscrit aurait pu durer encore un moment si Geoffroy qui, en jouant des coudes, avait réussi à se placer à côté de la dame de Déols (de préférence devant le Champenois), ne s’était pas soudain rappelé au bon souvenir de cette dernière.
« Ces créatures sont impressionnantes ! Regardez ce dragon, ma dame, lança-t-il en pointant une des illustrations du doigt. »
Sybille fronça les sourcils à cette interruption, puis après avoir observé l’animal - un phoenix - que désignait le seigneur de Loches, leva vers lui un regard perplexe, voire légèrement méprisant.
« Impressionnantes, en effet, mais s’il ne s’agit pas d’un dragon, monseigneur... répondit-elle. »
L’assemblée rit de bon coeur face à la mine déconfite de Geoffroy et chacun alla de son commentaire sur le manuscrit, mais la jeune femme, rappelée à la réalité par cette intervention, se redressa. Pensive un instant, elle adressa un regard indéfinissable à Henri puis le remercia une nouvelle fois alors que l’on emportait le bestiaire. S’il s’agissait d’une manoeuvre, on devait au moins lui reconnaître qu’elle était réussie. Il n’y avait qu’à voir la mine sombre du Lochois ou l’enthousiasme, quoi que quelque peu retombé, de Sybille, qui suivit l’ouvrage des yeux jusqu’à ce qu’il eût disparu. Là-dessus, elle proposa qu’on procédât aux présentations qui n’avaient pas été faites, la plupart des compagnons du comte de Champagne lui étant inconnus. Avec un enthousiasme qui faisait honneur à ses talents d’hôtes, même forcée, elle s’attacha à saluer dames et chevaliers, avant d’inviter ses trouvères et ceux du comte s’entendre sur la façon dont ils pourraient les divertir le soir-même. Loches, qui n’avait pas de grandes proposition à faire en la matière, insista néanmoins pour introduire à son tour ses guerriers auprès d’Henri, tandis que Sybille faisait malgré elle la connaissance plus approfondie d’une certaine Danielle Quéruel qui lui en voulait visiblement de lui voler l’attention du jeune comte.
« Vous souhaitez sans doute vous reposer avant ce soir, lança la châtelaine aux Champenois un moment plus tard, ne trouvant pas d’autre solution pour se débarrasser de l’importune dame. Mes gens vont vous montrer où vous installer. »
Quelques domestiques s’exécutèrent, au premier rand desquels Cyrielle, et la grande salle se vida peu à peu. Sybille, restée seule avec ses propres chevaliers présents et ceux de Geoffroy se retira à son tour et l’on laissa finalement le champ libre aux serviteurs pour la préparation du banquet. Revenue vers ses quartiers, la dame de Déols échangea quelques commentaires sur la situation avec Jehan, qui ne se priva pas de lui faire remarquer l’enthousiasme dont elle avait finalement fait preuve, ce à quoi elle répondit qu’il fallait bien jouer le jeu, avant d’être interrompue par Aymeric que sa nourrice ne parvenait à faire tenir en place. Elle en profita pour passer quelques moments avec son fils, qui ne cessa un instant de babiller, alla voir Guillaume qui dormait profondément, s’assura que les préparatifs du banquet allaient bon train puis s’accorda quelques minutes pour jeter un oeil aux deux missives reçues avant de se préparer elle-même en écoutant le rapport de Cyrielle. Un instant, elle se demanda ce qui pouvait bien se passer du côté d’Henri et de Geoffroy. Elle ignorait alors qu’il était fort dommage de ne pas en avoir la moindre idée.

Le soir vint ensuite rapidement. Vêtue d’une robe au rouge vif, dont l’encolure et les longues manches évasées étaient finement brodés, Sybille avait décidé de faire impression, afin de rappeler à ses deux invités chez qui ils se trouvaient. Elle ajustait le cerclet doré qui retenait le long voile couvrant ses cheveux lorsqu’une exclamation attira son attention sur Aymeric qui s’était éclaboussé d’onguent en voulant ouvrir un pot qu’on avait laissé à sa portée. La jeune dame lui essaya la joue, riant devant sa grimace dégoûtée, puis l’entraînant à sa suite jusqu’à la grande salle où se trouvaient déjà rassemblés les seigneurs et leur escorte. Quelques trouvères avaient déjà entamés leurs chansons et la disposition des tables permettait à chacun de se dévisager allègrement, ce dont on ne se privait évidemment pas. Sybille eut un sourire fataliste devant cette vision puis alla rejoindre le comte de Champagne et le seigneur de Loches, qu’elle salua avec un air entendu. Elle s’installa, flanquée de Geoffroy à sa gauche, tandis qu’à sa droite, Aymeric était placé, selon ses insistances, entre elle et Henri. La dame contint une moue amusée.
« Avez-vous pu faire connaissance, messeigneurs ? lança-t-elle. Je crois savoir que vous ne vous étiez jamais vus avant aujourd’hui. »
Les premiers plats furent déposés sur les tables, dans l’enthousiasme général, et sous l’oeil envieux des quelques gardes postés dans la salle. On complimenta les chasseurs qui étaient à l’origine d’une partie du repas, puis en se tournant vers Henri, Sybille reprit la parole sur un ton badin, un sourire éloquent aux lèvres,.
« J’ai entendu dire que vous aviez entrepris un petit voyage jusqu’aux terres de Sancerre, fit-elle, mettant ainsi à profit les confidences de Cyrielle. Êtes-vous partis depuis longtemps ? J’ignorais que Châteauroux se trouvait sur votre route. »
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Henri de Champagne

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MessageSujet: Re: Qui va à la chasse peut y perdre plus que sa place / Henri & Sybille   Qui va à la chasse peut y perdre plus que sa place / Henri & Sybille EmptyLun 20 Mai - 23:21

Henri de Champagne  a  dit:
Pour être tout à fait honnête, ce n'était pas uniquement pour faire plaisir à Sybille de Déols que Henri de Champagne faisait preuve de sa prodigalité tant vantée et qui lui laisserait son surnom pour les siècles à venir. Au moment où deux de ses serviteurs sortaient le volume épais d'un bestiaire recopié sur sa demande par les chanoines de la cathédrale de Troyes à partir d'un modèle exécuté en Angleterre, les artistes et les marchands passaient volontiers par la Champagne et la Flandre au cours de leur périple européen, il ne put s'empêcher de couler un regard vers un Geoffroy de Loches qui tentait (mal) de dissimuler sa mine déconfite. Il ne craignait pas réellement un homme de ce peu de trempe mais il ne pouvait pas s'empêcher de s'accorder le devant de la scène et donc d'être satisfait, sans véritable joie, de la déception visible de Geoffroy qui avait eu le droit à toutes les attentions de la dame des lieux pendant deux jours et qui avait peine à supporter que cela puisse changer. Surtout lorsqu'il se considérait déjà à moitié dans sa propre demeure. Mais à vrai dire, s'il n'était pas particulièrement orgueilleux, Henri avait l'habitude d'être au centre des regards, surtout au sein de cette cour itinérante qui impressionnait par sa débauche de moyens, de rires et de fêtes. Il savait bien que les apparences faisaient tout et il tenait à se montrer plus joyeux compagnon que le seigneur de Loches, ce qui n'était pas bien difficile si ce dernier gardait la moue boudeuse qu'il arborait. Mais ces considérations politiques, ces calculs s'évanouirent rapidement. Dès le moment où le comte de Champagne posa les yeux sur la jeune femme blonde qui lui servait d'hôte. Elle s'était penchée sur le bestiaire avec un intérêt manifeste et pour la première fois depuis l'arrivée d'Henri dans sa demeure, ses traits se détendirent et abandonnèrent leur habituelle froideur que le comte de Champagne avait appris à déchiffrer au fil des années. Elle paraissait réellement émerveillée par les petites enluminures représentant divers animaux enroulés autour de lettres de l'alphabet, rehaussées de couleurs vives et de touches d'or... Tant et si bien que Henri en oublia cette stupide compétition avec les Lochois et après l'avoir dévisagée quelques instants, un sourire en coin, posa à son tour le regard sur les feuilles de parchemin qu'elle tournait comme avec avidité. La fascination qu'elle éprouvait était tout à fait partagée par Henri, même si celui-ci le montrait moins et il pouvait passer des heures à déchiffrer des ouvrages dans sa bibliothèque de Troyes ou à en admirer les entrelacements de rinceaux dans les marges.
- Je le lis assez bien, oui, répondit Sybille à son présent, tirant le comte de ses pensées, mais c'est un magnifique présent, je ne peux accepter !
Henri ne put s'empêcher d'avoir un léger rire devant les yeux brillants qu'elle avait et l'accent de sincérité qui émanait de sa voix, trop enthousiaste et qui démentait ses paroles. Pour la première fois, il eut réellement l'impression de se trouver face à une jeune femme de vingt et un ans, libérée des soucis qui l'accablait (et qu'il lui causait en partie, il ne le savait que trop bien), libérée aussi de ce masque qu'elle se donnait la peine de porter comme si elle craignait que se laisser aller à ses véritables émotions finirait par la desservir. Alors sans doute y avait-il une part de manipulation dans la première offre de Henri mais lorsqu'il réitéra son cadeau et insista pour qu'elle le conserve, ce fut avec la plus grande franchise tant il aimait à la voir aussi ravie.

Il en avait presque oublié qu'ils n'étaient pas que tous les deux mais les compagnons qui s'étaient rassemblés autour de la table, inconscients des enjeux de l'échange qui venait de se produire, se mirent à commenter ce qu'ils voyaient (mal) de leur place et le ramenèrent à la réalité.
- Quel travail remarquable !
- Nous avons d'excellents moines copistes dans nos abbayes, répliqua Henri sans aucunement chercher à se mettre en avant mais simplement parce que cela était vrai et qu'il en était particulièrement fier.
- L'avez-vous entièrement traduit ?
- Pas entièrement, non, dit-il en se penchant à nouveau sur l'ouvrage pour en caresser doucement le phénix qui sortait du feu, entièrement régénéré et dont ses doigts épousèrent les courbes rougeoyantes, mais de nombreux passages sont tirés d'un auteur de l'empire romain, un certain Pline dont je possède également les ouvrages et que j'ai entièrement lu. Je vous avoue que je pense que certaines histoires à propos de ces animaux ne sont que des superstitions mais la lecture est tellement agréable que l'on vient à se dire que le conte vaut parfois mieux que la stricte vérité.
Il allait poursuivre sur ce ton-là mais une fois encore, leur conversation fut interrompue par la petite cour bruissante à leurs côtés – qui n'avait rien à faire d'une quelconque réflexion sur le charme de l'imagination. On réclamait en effet une traduction de quelques lignes et la dame Quéruel, que l'on disait volontiers dame du cœur du comte de Champagne qui ne lui refusait rien, insista tant et si bien que les deux jeunes gens obtempérèrent, non sans plaisir. Henri lisait en latin tandis que Sybille traduisait avec une aisance certaine les habitudes de quelque animal courant en ces régions. Le trouvère s'était arrêté de chanter pour la peine et le temps paraissait comme s'être suspendu à cet instant où leurs deux voix résonnaient de concert dans la grande salle de la forteresse de Châteauroux. Au terme de leur lecture, ils furent applaudis et chacun alla de son petit commentaire sur la magnificence de l'ouvrage. Mais Geoffroy avait profité de l'émoi pour se faufiler dans la foule et se placer entre la dame de la Déols et le comte de Champagne qui fronça les sourcils au moment où il tourna la tête vers Sybille pour se trouver face à la nuque du seigneur de Loches. Visiblement, le vassal d'Henri Plantagenêt avait jugé qu'il avait été mis à l'écart depuis trop longtemps... Mais ce ne fut pas pour s'illustrer davantage.
- Ces créatures sont impressionnantes ! Regardez ce dragon, ma dame, s'exclamait-il en s'efforçant d'adopter un air émerveillé qui lui seyait fort mal.
- Impressionnantes, en effet, mais il ne s'agit pas d'un dragon, monseigneur..., répondit Sybille en se chargeant de le remettre à sa place, c'est-à-dire fort loin de ce manuscrit. Dans un élan de compassion fort hypocrite, Henri lui tapota dans le dos alors que l'un de ses jongleurs singeait l'air déconfit du seigneur devant les dames de la cour de Champagne qui cachaient leurs gloussements derrière leurs paumes.
Si le comte avait une joie secrète à voir que Geoffroy avait été renvoyé dans les cordes, il ne put que constater, dépité, que la dame de Déols avait retrouvé son visage fermé et plein d'ironie. Le moment de charme était rompu et de fait, une fois l'ouvrage promptement apporté dans les appartements de la maîtresse de maison, elle recommença à jouer le rôle de la parfaite hôtesse, insistant pour faire la connaissance de chacun qu'elle gratifiait ensuite de quelques mots sympathiques. Henri dut l'abandonner aux mains des femmes de sa cour pour engager la conversation avec les propres chevaliers du seigneur de Loches qui semblaient tous à son image. Ce qui n'était pas un compliment de la part d'Henri qui préférait laisser ses pensées s'envoler alors qu'on lui faisait la conversation.

Avec un certain soulagement, il vit arriver l'heure où l'on se sépara, chacun dans ses quartiers pour se préparer au banquet que la dame de Déols allait donner. Le comte de Champagne, suivi de ses plus proches compagnons, son jeune écuyer de dix-sept ans et son plus vieil ami, connu à la croisade, Gauthier de Brienne, suivit une jeune demoiselle qui servait les lieux et qui leur indiquèrent là où ils pourraient dormir et en l'occurrence, s'apprêter en vue d'impressionner leurs rivaux lochois. Ce fut Brienne qui fit la conversation à la jeune servante, avec force clins d’œil et sourires charmeurs :
- Ta maîtresse apprécie-t-elle réellement le seigneur de Loches ? Finit-il par demander non sans l'avoir complimentée et avoir tenté de savoir s'il allait la revoir plus tard dans la soirée.
Henri eut un sourire un peu moqueur devant la tentative d'en apprendre plus (et les échecs essuyés par le chevalier qu'on ne devait visiblement pas trop pousser pour le faire espionner une jolie jeune fille). Il posa à son tour quelques questions sur l'organisation de la chasse mais la servante finit par s'éclipser assez rapidement, les laissant seuls avec leurs bagages et un broc d'eau avec lequel ils firent leur toilette. Pendant que le jeune écuyer aidait Henri à revêtir son long bliaud d'un bleu profond, finement brodé de fils d'or mais d'une grande simplicité, le comte réfléchissait à la conduite à tenir même si Gauthier de Brienne qui faisait de même de son côté sifflotait joyeusement l'air d'une ballade ce qui ne l'aidait pas à se concentrer. Geoffroy de Loches, en lui-même, ne représentait guère de danger et Sybille n'avait pas paru lui prêter le moindre intérêt qui aurait laissé entendre que les plans d'Henri pouvaient être en danger. Mais il avait pour lui le soutien de son propre comte et Henri Plantagenêt était de ceux à qui on ne refusait rien. Bien plus, Sybille pourrait peut-être finir par penser que la protection du Normand – avec lequel ses liens étaient peu clairs, c'était peu de le dire – était à rechercher tandis qu'avoir un époux faible lui permettrait aisément de le manipuler. Et tout cela, Henri le refusait, autant parce qu'il n'aimait pas se sentir dupé et qu'il ne supportait pas de perdre.
- Vous avez l'air contrarié, monseigneur, constata Gauthier en s'approchant alors que l'écuyer enroulait une ceinture sans apprêts métalliques autour de la taille du comte, c'est ce Geoffroy de Loches ? Ses compagnons ne font pas le poids, nous allons les battre à plates coutures demain à la chasse.
- C'est Geoffroy de Loches en effet, répondit Henri d'un ton songeur avant de poursuivre de manière plus affirmée : je veux m'en débarrasser. Et il y a une chasse demain.
- Mon bras est à votre service, monseigneur.
Les deux hommes échangèrent un regard entendu, signe qu'ils comprenaient parfaitement ce que le comte de Champagne entendait par là, même s'il n'était pas dans ses habitudes d'avoir recours à de tels moyens. Un regard lourd de conséquence pour la suite des événements et qui venait de signer l'arrêt de mort de Geoffroy de Loches.

Les deux hommes ne tardèrent pas à redescendre dans la grande salle qui avait été aménagée avec grand soin par les serviteurs de Châteauroux et se retrouvèrent au centre d'une petite foule chamarrée et brillante. Henri de Champagne remarqua que ses dames ne faisaient pas pâle figure aux côtés de leurs compagnes, bien au contraire : les robes du tissu de Flandre étaient d'une richesse éblouissante et elles portaient des bijoux somptueux. S'il avait choisi une tenue fort simple de son côté, elle n'en était pas moins élégante ce que la dame Quéruel ne put s'empêcher de remarquer. Il salua avec courtoisie Loches, déjà présent, qui semblait ronger son frein à l'idée de voir apparaître leur hôtesse. Celle-ci ne tarda pas à les rejoindre alors que Henri échangeait quelques mots avec ses amis impatients d'en découdre à la chasse. Et si elle avait à faire à une forte concurrence, Henri, en levant les yeux vers elle, songea qu'elle éclipsait toutes les autres femmes de l'assemblée par la beauté de sa silhouette mise en valeur par une robe rouge aux larges manches. Un silence l'accueillit et il sembla au jeune homme que ce n'était que parce qu'il n'était pas le seul à être ébloui et il regretta que son frère ne soit pas présent pour se rendre compte par lui-même que la femme qu'il voulait lui voir épouser n'était pas le monstre que Thibaud lui décrivait. Son attention fut toutefois détournée par l'arrivée triomphale et fort peu discrète du petit Aymeric qui se précipita vers lui pour lui tirer la manche (et qui dégageait curieusement une forte odeur de baume) :
- Nous allons être à côté à table, maman à ma gauche et vous à ma droite.
Henri dissimula avec adresse sa légère déception, d'autant que Geoffroy de Loches avait lui le droit d'être assis tout prêt de Sybille, en passant une main affectueuse sur le visage (graisseux) de l'enfant qui paraissait si content qu'il s'en voulut d'avoir de telles pensées. Ils discutaient joyeusement tous les deux quand la dame de Déols se recula légèrement sur le dossier de son siège pour pouvoir s'adresser aux deux hommes qui l'entouraient :
- Avez-vous pu faire connaissance, messeigneurs ? Je crois que vous ne vous étiez jamais vus avant aujourd'hui.
Elle paraissait presque s'amuser de la situation alors que Geoffroy se mélangeait les pinceaux à tenter d'expliquer qu'il était enchanté d'avoir fait la connaissance du comte de Champagne tandis que ce dernier fit mine d'écouter une question du petit Aymeric – qui concernait apparemment un problème existentiel sur la bonne longueur des épées pour l'entraînement des jeunes chevaliers et de l'inquiétude de leurs mères – pour ne pas avoir à répondre, sans se départir de son sourire moqueur. Quand il releva la tête pour répondre à la dame de Déols, les premiers plats arrivaient déjà, ce qui l'empêcha de donner son avis sur la question. Alors que l'on se repaissait des faisans gentiment offerts par l'abbaye champenoise, Sybille relança la conversation qui s'était éteinte, afin de dissiper le petit moment de gêne :
- J'ai entendu dire que vous aviez entrepris un petit voyage jusqu'aux terres de Sancerre. Êtes-vous partis depuis longtemps ? J'ignorais que Châteauroux se trouvait sur votre route.
- Châteauroux est toujours sur mon chemin depuis que je suis le parrain d'Aymeric, répliqua Henri avec vivacité et en déposant le bout de viande faisandée qu'on lui avait servi, car il n'avait nulle intention de trop manger ou boire, il tenait à garder les idées claires, nous profitons de plusieurs semaines de voyage pour nous rendre à Sancerre voir mon frère, en effet. Mais nous tarderons pas à rentrer en Champagne pour la saison des tournois que ma mère, la comtesse douairière, donne à Provins. Nous avons à cœur d'amuser mes sœurs qui ont dû toutes rester dans la principauté. Vous pourriez peut-être...
- On dit que vous aimez beaucoup les tournois, comte, lança Geoffroy en plissant les sourcils et dont le ton goguenard n'augurait rien de bon, vous n'avez pas été battu par mon maître, le petit Plantagenêt lors de sa venue à Paris ?
Si le seigneur de Loches avait l'intention de mettre mal à l'aise le comte de Champagne, il en était pour ses frais car Henri se contenta de lui adresser un large sourire et de répondre, non sans épier la réaction de Sybille à la mention du duc de Normandie :
- J'ai toujours trouvé agréable de combattre des adversaires à ma hauteur, cela permet de toujours continuer à apprendre. Hélas... L'existence nous offre rarement ce genre d'occasion.
Toutefois, la discussion était partie sous d'autres auspices et Henri ne put inviter officiellement la jeune femme à les rejoindre pour participer aux festivités. Son attention fut détournée par son autre voisine, dame Quéruel qui voulait son avis.

Bientôt les premiers plats quittèrent les tables dans un joyeux brouhaha, afin de lancer place à l'entremet qui était visiblement dévolu aux trouvères et jongleurs emportés dans les bagages du Champenois. Et ils n'avaient pas lésiné sur les moyens. En quelques acrobaties, ils furent au centre des tables et se mirent à déclamer chansons et à réaliser des sauts de plus en plus impressionnants. Les dames poussèrent un cri quand ils s'emparèrent de torche pour se mettre à jongler avec, sous les yeux proprement ébahis des gardes du château (et l'on frôla d'ailleurs l'incident diplomatique quand l'un d'eux, n'ayant pas pensé à reculer failli bien prendre feu par mégarde). Enfin, un jeune garçon revêtu d'un costume à clochettes fit un clin d’œil à Henri et s'approcha doucement de la table d'honneur, les mains fermées sur un petit paquet que l'on chercha à distinguer, en vain. Le comte de Champagne se retourna vers Aymeric qui avait des yeux brillants devant ce beau spectacle et lui dit en désignait le jongleur :
- Voici un modeste présent pour toi, j'espère que tu en prendras soin.
- Je vous le promets, mon parrain, répondit avec sérieux le petit Aymeric en plissant le nez.
- Nous l'avions appelé Phénix à cause de la couleur de son poil mais tu peux en décider autrement si cela ne te plaît pas.
Alors qu'on se demandait ouvertement ce que préparait le comte de Champagne, le jeune homme posa le petit paquet sur la table et ses mains s'ouvrirent sur un tout petit chaton roux qui lança un petit miaulement terrifié et tremblotant, sans pour autant bouger de sa place. Henri avait prévu de l'offrir à sa petite sœur à l'origine mais il lui semblait essentiel de faire plaisir à l'enfant qui, de fait, semblait ravi de son cadeau. Lequel cadeau finit par bouger son arrière train pour faire quelques bêtises avec les longues manches de Sybille. En quelques instants, Aymeric était parti courir derrière lui autour de la pièce. Henri en profita pour se rapprocher d'une place de Sybille, le plus naturellement du monde (et visiblement au déplaisir de la dame Quéruel).
- Ma dame, permettez à mon trouvère de réciter un lai de sa composition, suggéra Henri en faisant signe au garçon de s'exécuter.
Alors que les premières notes d'une déploration d'un homme qui subissait l'indifférence de la dame qu'il aimait résonnaient dans la pièce, les plats du deuxième service furent servis petit à petit.
- J'ose espérer que ces distractions vous ont plu, ma dame, murmura le comte de Champagne pour ne pas gêner l'écoute, est-ce que cela suffit à me faire pardonner de mon intrusion en ces lieux ?
Même s'il savait qu'elle ne pourrait jamais répondre par l'affirmative, par simple fierté, il espérait de tout cœur que ce soit le cas. Pour une raison obscure, il y tenait même particulièrement.
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Sybille de Déols

Sybille de Déols

Per aspera
AD ASTRA


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Localisation : Sur mes terres de Châteauroux, sur celles de ma famille ou à la cour.

Feuille de route
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MessageSujet: Re: Qui va à la chasse peut y perdre plus que sa place / Henri & Sybille   Qui va à la chasse peut y perdre plus que sa place / Henri & Sybille EmptyLun 17 Juin - 22:41

Sybille de Déols  a  dit:
La dame de Châteauroux tenait réellement à faire impression auprès de ses deux invités - si l’on pouvait nommer ainsi les seigneurs qui s’étaient purement et simplement imposés dans son château. Elle ne s’était pas contentée de s’apprêter, même si elle y avait porté, pour une raison obscure, une attention particulière. Elle avait également bien fait comprendre à ses gens qu’elle voulait que le banquet soit somptueux (même si les gardes se seraient volontiers approprié quelques gibiers ramenés par les chasseurs champenois) et s’était assurée que les jeunes artistes qu’elle avait pris sous son aile étaient prêts à faire montre de tous leurs talents. Enfin, elle avait convié ses propres vassaux et chevaliers, ainsi que leurs compagnes à ces festivités. Tous ces ordres avaient déjà été donnés lors de l’arrivée de Geoffroy de Loches, mais la présence du comte de Champagne avait poussé Sybille à les redoubler. Ses deux principaux sujets de préoccupation - puisque Loches ne représentait ni plus ni moins que son maître, Henri Plantagenêt - étaient réunis sous son toit. Au delà de l’agacement que lui causait l’idée qu’ils se sentent comme chez eux en ces murs, elle devait saisir l’occasion de montrer qu’elle n’avait pas besoin de la protection des Normands, et qu’elle pouvait effectivement se permettre de refuser le titre de comtesse de Blois. Elle doutait sincèrement que de telles démonstrations puissent décourager les deux seigneurs, mais il y avait également dans cette réaction, elle devait l’admettre, une certaine fierté de sa part, et après tout, il ne fallait jamais perdre une occasion de se rappeler au bon souvenir de ses vassaux, même si la jeune régente n’avait pas, ou presque, le moindre doute sur la fidélité de ces derniers. Elle avait su s’en faire respecter et apprécier, malgré ses quelques démêlés avec la reine Aliénor, et s’ils ne partageaient pas tous entièrement ses vues, il semblait ce soir qu’ils étaient au moins d’accord avec la dame sur ce qu’il fallait penser de cette soudaine invasion de seigneurs lochois et champenois, c’est du moins ce que Sybille constata lorsqu’elle pénétra dans la grande salle de réception, la balaya du regard, et surprit la façon dont les gens de sa cour dévisageaient leurs invités et commentaient leurs moindres faits et gestes. Sans doute y aurait-il eu pour la jeune dame de quoi s’amuser de la situation, si les enjeux n’étaient pas ce qu’ils étaient, et si son regard n’avait pas croisé ceux d’Henri et de Geoffroy qui, avec les autres, s’étaient levés sur elle à son entrée. Il était bien loin, l’instant de grâce autour du bestiaire du comte, et à cette vision, les traits de Sybille reprirent aussitôt cet air froid et ironique, fermé par moment, qu’elle réservait à ce genre de visiteurs. On ne l’y reprendrait pas. 

C’est évidemment Aymeric qui brisa le court silence qui s’était installé, en courant vers son parrain sous le regard quelques peu aigri d’un Geoffroy qui avait parfaitement conscience du terrain qu’il perdait - s’il en avait jamais gagné - depuis l’arrivée du comte de Champagne. Le jeune garçon plaça d’autorité Sybille et Henri à ses côtés, et s’assit tel un petit seigneur à la place qu’il s’était désigné sans qu’on puisse lui faire la moindre remarque ou objection.  
« Votre fils sait déjà faire preuve d’autorité, il n’en faudra pas beaucoup pour faire de lui un seigneur digne de son père, en profita pour glisser le Lochois à la jeune dame qui s’installait. »
Celle-ci ne répondit que par un hochement de tête. La scène qui se déroulait à ses côtés, c’est-à-dire son fils et le comte discutant joyeusement, avait en effet attiré toute son attention et elle dissimula de justesse un sourire attendri. Si l’affection d’Aymeric pour son parrain ne faisait absolument aucun doute, elle ne pouvait que se demander où s’arrêtait la manipulation et où commençait la volonté de prendre à coeur son rôle pour Henri - car elle n’était pas dupe : il avait gagné de se sentir le bienvenue à Châteauroux en gagnant la confiance de petit garçon. Ces moments là avaient tendance à atténuer ses soupçons, mais elle se garda bien d’en souffler le moindre mot et mit fin à ce court instant d’attendrissement en tentant de savoir ce que pouvaient bien penser les deux seigneurs l’un de l’autre. 
« Je ne m’attendais pas à ce que vous receviez de la visite mais, évidemment, je suis... ravi d’avoir fait la connaissance du comte, répondit Geoffroy de Loches, peu convaincant, en jetant un regard entendu vers Henri qui, lui, ne semblait pas s’être donné la peine de l’écouter. »
Il y eut un court silence, puis voyant qu’on ne lui répondrait pas, le seigneur poursuivit sur le même ton, pour ne s’interrompre que lorsqu’il s’aperçut que Sybille avait levé les yeux au ciel. Ne sachant ce qui l’agaçait du silence du comte ou de sa vaine tentative pour se donner contenance, il choisit de se taire, et pendant un moment, on n’entendit à la table d’honneur plus que la conversation entre Aymeric et Henri. Voilà qui donnait le ton de la soirée, du moins c’est ce que songea Sybille alors que l’on commençait à servir les premiers plats, avant de reprendre la parole, dans un élan de pitié pour Loches qui cherchait visiblement une façon de relancer la conversation, et commençait sans doute à réaliser qu’il avait trouvé un adversaire sérieux en la personne d’Henri de Champagne. Bien plus sérieux sérieux qu’il ne le pensait, à vrai dire, mais le comte et la dame eux-mêmes n’en avaient pas encore conscience. 


« Châteauroux est toujours sur mon chemin depuis que je suis le parrain d'Aymeric, répondit Henri lorsqu’on lui demanda plus de précisions sur son itinéraire, s’attirant par là un regard méfiant de Sybille. Nous profitons de plusieurs semaines de voyage pour nous rendre à Sancerre voir mon frère, en effet. Mais nous tarderons pas à rentrer en Champagne pour la saison des tournois que ma mère, la comtesse douairière, donne à Provins. Nous avons à cœur d'amuser mes sœurs qui ont dû toutes rester dans la principauté. Vous pourriez peut-être...
- On dit que vous aimez beaucoup les tournois, comte, l’interrompit Geoffroy, vous n'avez pas été battu par mon maître, le petit Plantagenêt lors de sa venue à Paris ?
- J'ai toujours trouvé agréable de combattre des adversaires à ma hauteur, cela permet de toujours continuer à apprendre. Hélas... L'existence nous offre rarement ce genre d'occasion. »
Cette charmante conversation laissa Sybille de marbre, du moins en apparence, car elle n’avait toujours pas totalement pardonné à Henri, et surtout à son frère Thibaud la mort de son chevalier et ami lors du tournois en question, et parce qu’elle n’avait aucune envie de parler d’Henri Plantagenêt ce soir. Le comte de Champagne en avait déjà bien assez vu sur le sujet (il en savait même plus qu’elle ne le pensait), et ça aurait été donner à Loches une occasion trop facile de reprendre le devant de la scène, or si cette compétition qui la plaçait dans la position du trophée ne lui plaisait guère, elle prenait néanmoins un malin plaisir à voir le vassal de Plantagenêt se débattre. 
« Allons, je suis certaine que vous trouverez l’un dans l’autre des adversaires dignes de ce nom, lança-t-elle sans savoir quel cynisme il y avait dans cette réplique. »
La conversation retrouva ainsi des pentes moins raides, et bientôt, l’entrée en scène des compagnons du comte de Champagne l’interrompit. Sybille, qui avait l’habitude de ce genre de spectacles - quoique celui-ci soit particulièrement appréciable - en profita pour observer à nouveau l’assemblée. Le vin et la nourriture aidant, celle-ci lui sembla bien moins raide et froide qu’au début du banquet, et ses hommes commençaient à se mêler au clan champenois avec un peu moins de méfiance, tandis que les lochois, à l’image de leur maître, ne semblaient guère à leur place. Un consensus s’était visiblement installé, à leurs dépends. À croire que Henri et son escorte s’étaient passés le mot - ce qui n’aurait pas étonné Sybille outre mesure. Son attention fut un moment attirée par l’un des gardes qui, fasciné par le jongleur et ses torches, avait oublié de s’éloigner et manqué de payer chèrement cette étourderie puis, tout en songeant qu’il lui faudrait s’assurer un jour qu’elle n’était pas gardée uniquement par des incapables, elle revint au spectacle lui-même quand Aymeric lui demanda si le jongleur ne risquait pas de se blesser. Son inquiétude fut toutefois vite dissipée : il était trop émerveillé pour s’épouvanter, et bientôt, un jeune homme surmonté d’un chapeau à grelots qui se dirigeait vers lui le fit se détourner. 

« Voici un modeste présent pour toi, j’espère que tu en prendras soin, fit Henri en se tournant vers le petit garçon, comblé. 
- Je vous le promets, mon parrain, répondit ce dernier, arrachant un sourire à sa mère. 
- Nous l'avions appelé Phénix à cause de la couleur de son poil mais tu peux en décider autrement si cela ne te plaît pas. »
La dessus, le jeune trouvère déposa devant Aymeric le paquet qu’il avait en main, et révéla aux yeux du garçon, et des plus chanceux assez près pour le voir, un chaton roux recroquevillé sur lui-même, qui lança un miaulement effrayé. 
« Oh merci ! s'exclama l’enfant. Vous avez vu comme il est joli, maman ? »
L’intéressée hocha la tête, avant d’adresser un sourire indéfinissable à Henri.
« Vous voilà bien gâté, mon petit seigneur, votre parrain est décidément bien généreux, lança à son tour Geoffroy, avec une aigreur qu’il ne parvint pas à dissimuler totalement. 
- C’est parce que c’est le meilleur parrain, répliqua Aymeric comme s’il s’agissait d’une évidence, n’est-ce pas, maman ? »
Les regards convergèrent vers Sybille, qui ne s’attendait pas à une telle remarque. Sans se démonter, mais après une courte hésitation, elle passa une main tendre dans les cheveux de son fils. C’est le chaton qui, ayant vu les manches de la jeune dame s’agiter, lui permit de botter en touche en se jetant sur celles-ci pour tenter de les attraper. 
« Je ne sais pas, répondit Sybille en riant, voilà un cadeau bien remuant ! »
Et comme pour lui donner raison, Phénix s’élança soudain sur ses genoux, et de là, sur le sol, ce qui eut pour effet de faire immédiatement disparaître Aymeric qui se lança à sa poursuite. 
« C’est un garçon éveillé, quel dommage qu’il n’ait plus de père, se permit Geoffroy à qui tout cela ne plaisait guère, je suis certain que le seigneur de Châteauroux en aurait été fier. Mais j’y pense, comment se porte votre second fils ? »
Il y eut un instant de silence. La jeune dame dévisagea son invité, sans savoir comment elle devait prendre cette réplique, puis préférant ne pas relever ce qui ressemblait à une provocation, informa ce dernier que Guillaume allait très bien, mais qu’il était trop jeune pour ces festivités et dormait sans doute déjà. Elle allait lancer la conversation sur un autre sujet, mais en se tournant vers Henri, eut la surprise de voir qu’il avait profité du départ d’Aymeric pour se rapprocher d’elle. A nouveau, elle se sentit vaguement cernée, et laissa échapper une moue dubitative qui disparut lorsque le comte prit la parole. 
« Ma dame, permettez à mon trouvère de réciter un lai de sa composition. »
Il s’agissait là d’une façon aisée d’intéresser Sybille, qui se tourna aussitôt vers le trouvère en question. Celui-ci, sur un geste du comte, commença à déclamer et rapidement, il eut toute l’attention de la dame, qui se laissa un moment bercer par les plaintes d’un chevalier face à sa dame indifférente. Elle entendit à peine Geoffroy de Loches se racler la gorge à ses côtés, les plats que l’on servait, ou Aymeric trébucher en poursuivant son petit chaton, et tourna à peine la tête lorsque Henri se pencha vers elle.
« J'ose espérer que ces distractions vous ont plu, ma dame, murmura-t-il, est-ce que cela suffit à me faire pardonner de mon intrusion en ces lieux ? »
Sybille ne répondit pas immédiatement. D’abord parce qu’elle était réellement fascinée par la voix du trouvère, même si elle dissimula mieux son intérêt que pour le manuscrit, et ensuite parce qu’elle ne sut quoi dire. Elle attendit que les dernières notes aient résonné dans la grande salle (étrangement silencieuse, lui sembla-t-il) pour esquisser un sourire songeur. 
« Vous avez de talentueux compagnons, comte, répondit-elle simplement. »

Elle applaudit chaleureusement le trouvère, qui se fendit de quelques révérences quelques peu tordues, puis disparut avec ses compagnons. Dès lors, on put s’attaquer aux plats du deuxième services, dans une ambiance tout à fait chaleureuse désormais, excepté à la table centrale, où les deux seigneurs continuèrent à se battre sans en avoir l’air - Geoffroy de Loches avec un peu plus de difficulté, certes - sous les yeux et les commentaires blasés, agacés ou très ironiques de la dame de Châteauroux. Si elle n’avait pas été dans sa position, cette dernière aurait sans doute trouvé le tout fort intéressant, mais plus la soirée avançait, moins elle trouvait amusant de se sentir comme un prix que l’on se disputait, d’autant que la disparition d’Aymeric qui jouait toujours avec son chaton tout et ne revenait réclamer à manger que de temps à autre était une carte de moins dans sa manche. Elle ne suivait d’ailleurs plus la conversation que de loin, le regard fixé sur ses jongleurs qui avaient pris la relève à l’issu du second service, quand les deux seigneurs s’adressèrent directement à elle en même temps. Elle ne put résister à la tentation et, non sans mesquinerie mais avec un naturel déconcertant, se tourna vers Geoffroy. 
« Pardonnez moi, vous disiez ? 
- Que quelques festivités se préparent à Loches, et que je serai ravi de vous accueillir chez moi pour quelques temps, répondit fièrement le seigneur. Nous ne pouvons nous inviter ici constamment, ajouta-t-il avec un sourire éloquent.
- Et bien, je retiens votre proposition, mon seigneur, lança Sybille avec un enthousiasme feint et mesuré, mais apparemment naturel, on dit que Loches est une ville fort curieuse, il me faut voir cela de mes propres yeux. »
Tout enorgueilli de cette réponse, Geoffroy se mit à disserter sur les curiosités de sa ville. Il fut heureusement interrompu par Aymeric, dont le rire attira soudain l’attention de toute la salle. Il s’était en effet remis à poursuivre le petit chaton roux, mais il avait également à la main un objet que Sybille ne put définir, mais qui appartenait visiblement à Amauray d’Issoudun, l’un de ses plus importants vassaux, puisqu’il poursuivait lui-même le garçon. L’assemblée rit de bon coeur à cette vision, sans toutefois songer à venir secourir le pauvre seigneur qui avait bien du mal à se faufiler aux mêmes endroit que ses deux petits adversaires. La course s’acheva, pour le chaton, sur les genoux de Sybille, pour Aymeric, entre la chaise de la dame et celle d’Henri et pour le vassal, à quelques pas de la table, l’air penaud. Il s’avéra que le jeune garçon avait réussi à lui subtiliser une petite dague et son fourreau et qu’il s’était mis en tête de jouer au chevalier. Sa mère récupéra la dague qu’elle rendit à son destinataire puis appela Cyrielle pour lui demander de raccompagner Aymeric et son nouvel ami à leur chambre tandis que l’ami en question trouvait visiblement amusant de faire des allers-retours entre ses genoux et ceux d’Henri pour éviter le petit garçon. 
« Je dois vraiment aller dormir, maman ? se plaignit ce dernier quand on lui mit le chat dans les bras. Je veux rester avec vous !
- Tu en as assez fait pour ce soir, répondit celle-ci, amusée. »
Il tenta bien d’amadouer Henri, ignora Geoffroy qui appuyait les dires de la jeune mère, et finit par se laisser entraîner par Cyrielle, elle-même pressée d’en finir car elle avait visiblement fort à dire à l’un des compagnons du comte de Champagne. 

Le banquet put alors reprendre son cours normal, et les services se succédèrent. Sybille fut ravie de présenter à ses invités les jeunes poètes, jongleurs, et autres artistes qu’elle réunissait autour d’elle et qui se montrèrent plus que dignes de la tâche qui leur avait été confiée, impressionnant toute l’assemblée - ce qui était exactement le but de la jeune dame. On loua les différents mets après les artistes puis Sybille s’intéressa à nouveau au travail des moins copistes de Champagne après avoir appris à ses invités qu’il lui arrivait  de voir également sortir de l’abbaye de Déols des merveilles de manuscrits, même s’il s’agissait parfois de choses fort curieuses, comme les traductions de textes empruntés au lointain Orient. Elle posa également quelques questions sur les compagnons d’Henri qui s’étaient produits sous leurs yeux. 
« Je me flatte de réunir nombre de talents, mais vous n’êtes pas en reste, nous nous ferions presque concurrence, plaisanta Sybille. 
- Il est vrai que vous avez une fort belle cour, comte, intervint le seigneur de Loches, visiblement trop longtemps écarté de la conversation à son goût, on se demande d’ailleurs, ici et là, comment il se peut que vous n’ayez pas une fiancée pour la présider, à l’image de notre hôtesse, vous qui êtes si pressé de trouver une épouse à votre frère le comte de Blois. »
La jeune dame, qui sirotait une coupe de vin, s’interrompit assez nettement face à ce qui ressemblait à une attaque plus frontale que toutes les autres. Elle glissa un regard discret à Henri pour voir sa réaction tandis que le Lochois poursuivait.
« Ma dame, vous savez que je serais honoré de pouvoir vous aider à rendre votre entourage encore plus fameux, et de veiller à son rayonnement avec vous. »
Cette fois, Sybille reposa son verre, en se demandant quelle mouche venait de le piquer pour oser de telles paroles, alors qu’au regard de sa précédente réplique, il était sans doute parfaitement conscient de la situation dans laquelle ils se trouvaient tous les trois. 
« Ce n’est ni le moment, ni le lieu d’en parler, rétorqua-t-elle un peu sèchement en se redressant, je crois plutôt que nous ne devrions pas veiller beaucoup plus tard, nous avons une chasse demain. »
Elle ignorait à ce qu’elle allait provoquer en organisant cette fameuse chasse, mais n’y aurait peut-être pas été totalement opposée après ce dernier éclat. 
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Henri de Champagne

Henri de Champagne

PREUX CHEVALIER
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MessageSujet: Re: Qui va à la chasse peut y perdre plus que sa place / Henri & Sybille   Qui va à la chasse peut y perdre plus que sa place / Henri & Sybille EmptyLun 24 Juin - 21:10

Henri de Champagne  a  dit:
Les festivités battaient leur plein sous les yeux d'Henri de Champagne et du reste des invités, indésirables pour la plupart, de la dame de Châteauroux. En un instant, trouvères et jongleurs avaient occupé l'espace au centre des tables disposées en carré, à grand renfort d'acrobaties et de pitreries pour œuvrer à donner à voir un spectacle des plus grandioses comme s'ils cherchaient à faire honneur à leur protecteur en montrant leur incroyable virtuosité et leur imagination débordante. Ce fut un déploiement de couleurs extravagantes et de flammes rougeoyantes qui laissèrent les convives muets même si fusaient çà et là des exclamations admiratives, presque trop étincelant pour que l’œil puisse continuer à suivre tous les sauts des amuseurs tout comme l'oreille avait du mal à percevoir tous les tintements de grelots dissimulés derrière le rythme entraînant de vielles. Le visage d'Henri de Champagne s'était illuminé même si ce divertissement-là n'avait  rien à voir avec les grands spectacles tout emplis de machineries que sa mère commandait lorsqu'il était enfant, plus par habitude et par volonté d'affirmer son pouvoir que par véritable amour des arts et dont il gardait un souvenir émerveillé encore des années plus tard. Cependant, il s'adossa à sa chaise et laissa son regard glisser sur l'assemblée, guettant les réactions et plus spécifiquement celles de ses voisins. A sa droite, la dame Quéruel battait des mains, ravie, tout en échangeant des commentaires avec l'épouse d'un vassal de Châteauroux. Mais Henri se retourna davantage vers son petit filleul qui, après avoir laissé paraître un peu d'inquiétude, semblait véritablement ébloui. Le comte ne put s'empêcher d'avoir un sourire plein de tendresse à cette vue, se rappelant fort bien de ses propres réactions quand son père, le terrible et sévère comte de Blois l'avait enfin autorisé à rejoindre le monde des adultes en participant aux banquets. Leur hôtesse, quant à elle, ne laissait rien paraître de ses sentiments ce qui n'étonna guère le Champenois qui préféra lancer un coup d’œil  à Geoffroy de Loches qui semblait avoir à cœur de satisfaire son rival car son aigreur était manifeste. Mais bientôt, le joyeux tintamarre se calma, au fur et à mesure où les jongleurs disparaissaient avec leurs torches, non sans avoir lancé quelques pieds de nez à des personnes dans l'assistance, des Lochois qui avaient gardé une expression fermée pour la plupart. C'était le moment prévu pour qu'un compagnon du comte, coiffé de son costume multicolore fasse présent du chaton roux aux yeux dorés au petit seigneur de la maison. Henri se délecta de la joie de l'enfant, un rire s'échappa de sa gorge quand celui-ci le désigna d'emblée comme le meilleur des parrains et son regard, mi-amusé mi-ironique, dans le même mouvement que ceux des autres invités se posa sur Sybille de Déols quand Aymeric fit appel à  l'avis de sa mère sur la question. Ce fut le chat qui permit à la jeune femme de se sortir de ce mauvais pas car Phénix, hardiment, se mit à sautiller sur la table pour jouer avec les manches de la dame. Si le comte de Champagne, par simple plaisir de voir la gêne de son hôte qui ne pouvait dénier sans paraître impolie, aurait aimé entendre une réponse, il nota cependant à quel point l'enfant était attaché à lui. Quelle était la part de calcul dans son rapprochement avec Aymeric ? Comme dans tout ce que faisait Henri, on n'aurait su le dire avec certitude, il avait eu conscience, dès leur première rencontre, qu'Aymeric était la clé qui lui ouvrirait les portes de Châteauroux et fermerait les yeux de sa mère. Mais, homme d'honneur qu'il était, il voulait avant tout remplir la promesse qu'il avait faite à un ami qui était mort dans ses bras aux portes de Jérusalem et il ne pouvait nier qu'il s'était sincèrement attaché à cet enfant joueur et plein d'entrain, toujours bavard et prêt à faire des remarques amusantes. Aîné de dix frères et sœurs, Henri avait la chance de savoir quelles histoires plaisaient aux petits et comment se comporter en alternant sévérité et marques de tendresse. Pour le petit Aymeric, sans doute faisait-il figure de chevalier idéal et magnifié comme son père l'avait été pour lui. Henri espérait cependant être une figure paternelle plus juste et plus aimante que ne l'était Thibaud IV.

Le calme retombait petit à petit dans l'assemblée qui s'était remise à faire couler avec abondance le vin dans les coupes et Henri fut momentanément occupé par les compliments qu'on lui adressait, même s'il entendait vaguement que le Lochois se permettait de penser qu'il pouvait servir de père à Aymeric. Après avoir abandonné la dame Quéruel aux mains des vassaux de Sybille, Henri changea de siège, tout en esquissant une moue dubitative. Geoffroy se croyait-il véritablement digne d'occuper la place qui avait été celle d'Abo ? Il n'arrivait pas à la cheville de l'homme qui avait régenté ces lieux et qui avait partagé la couche de Sybille. S'il n'en avait pas conscience, Henri se ferait un plaisir de le lui démontrer. Toutefois, le comte de Champagne avait auparavant une dernière surprise à offrir à la dame de Déols et il espérait que celle-ci lui plairait autant que le présent du manuscrit. Aussi, après avoir appelé son trouvère à venir réciter son lai, ignorant que le silence se faisait parmi les convives, charmés par la mélodie, il ne put s'empêcher d'épier Sybille, sous l'apparence de se laisser bercer par les déplorations du poète qui mourait d'amour pour une dame qui ne lui accordait aucune attention alors qu'il vouait sa vie à la servir. Sans réellement savoir pourquoi, il se sentit contrarié de ne pas la voir perdre son masque d'impassibilité et dut se résoudre à ne pas partager avec elle le moment d'insouciance auxquels ils avaient eu droit lors de la découverte du bestiaire. Était-ce encore pour son frère qu'il faisait tout cela ? Était-ce pour continuer à enfoncer le trop rustre Geoffroy de Loches et continuer à vanter les mérites de Thibaud qu'il oubliait de temps à autre qu'il attendait avec tant d'impatience un sourire de la part de la dame, un pétillement dans ses yeux bien sombres et calculateurs ? Il n'avait pas envie de se poser ces questions et se contenta de la réponse qu'apporta la jeune femme quant à savoir s'il était pardonné :
- Vous avez de talentueux compagnons, comte, affirma-t-elle après un temps de réflexion pendant lequel la plainte s'était éteinte.
Il choisit de considérer que cela signifiait que le divertissement lui avait plu, davantage qu'elle ne le montrait et tout en applaudissant le jeune garçon qui saluait l'assemblée avant de s'éloigner pour laisser place au deuxième service, il ne put qu'approuver la dame. Il aurait été bien incapable d'écrire un poème ou de faire une aussi belle déclaration d'amour – heureusement la dame Quéruel se contentait de son attention marquée et de quelques beaux gestes, comme le port de ses couleurs lors des tournois, mais là n'était pas l'office d'un comte ou d'un duc. En tant que comte de Champagne, on ne lui demandait pas de montrer de l'esprit, on voulait juste qu'il sache bien s'entourer. Et Henri avait heureusement assez d'intuition pour remplir ce devoir-là et pour reconnaître les talents qui pouvaient lui être utiles. En prenant sa coupe pour boire quelques gorgées de vin pourpre, il se promit de récompenser ses fidèles jongleurs à son retour dans son comté car si la gloire naissait grâce à des actions brillantes, elle n'était entretenue que par la voix des poètes qui se répétaient le nom du seigneur dans un seul et même souffle pour l'éternité.

Le deuxième service avait débuté dans un joyeux brouhaha, les Champenois ayant visiblement réussi à trouver leur place dans la grande salle du château, au détriment des Lochois, Henri se s'étant pas entouré de ses guerriers mais de jeunes gens à son image, cultivés et débordants de vitalité. Toutefois, la tension n'avait pas diminué à la table d'honneur où Henri de Champagne et Geoffroy de Loches se livraient à une véritable partie d'échecs, ce jeu revenu d'Orient en même temps que les croisés, sous couvert de sourires et de fausses gentillesses lancées avec mesquinerie. Pour le moment, Sybille ne marquait pas d'intérêt particulier à son prétendant mais les inquiétudes d'Henri furent réveillées quand, après que les deux hommes lui eurent adressé la parole en même temps, elle choisit de se tourner vers le vassal d'Henri Plantagenêt pour l'écouter. C'était clairement une rebuffade pour le Champenois qui eut l'impression d'avoir été soufflé et qui écouta la conversation enjouée de Geoffroy, ravi d'avoir pu avancer ses pions de quelques cases, la mine sombre tout en piquant sa viande qui avait été servie sur son tranchoir. La dame de Déols appréciait-elle réellement l'attention que lui portait le seigneur de Loches ? Ou jouait-elle uniquement son jeu pour éviter qu'Henri ne puisse sortir une autre carte de sa manche, à savoir le mariage avec son frère de Blois ? A trop insuffler le chaud et le froid, la dame ne se doutait pas qu'elle attisait en réalité la rivalité entre ses deux invités et que celle-ci finirait par avoir des conséquences tragiques. Et ce fut en cet instant où Henri sentit son cœur se serrer en entendant la jeune femme accepter de se rendre dans la ville de Loches (alors que lui-même n'était pas parvenu à l'inviter à Provins !) qu'il se décida à aller jusqu'au bout, quitte à en subir lui-même le châtiment plus tard. La seule façon de gagner, c'était d'acculer l'autre jusqu'à l'échec et mat. Les pensées sombres du comte furent distraites par l'éclat de rire du jeune Aymeric qui pourchassait toujours son chaton à travers la salle mais qui était désormais pris en chasse par un vassal de la dame de Châteauroux dont la haute silhouette avait maintes difficultés à se glisser entre les convives pour attraper le facétieux. Sans pitié, on lui lança quelques moqueries tandis qu'un mince sourire étira les lèvres de Henri qui en oublia la situation dans laquelle il se trouvait. La course-poursuite digne des pitreries des fous prit brusquement fin quand le chaton s'élança sur les genoux de Sybille avant de bondir sur ceux d'Henri pour échapper à son nouveau petit maître. La servante qu'Henri avait déjà croisée s'approcha alors pour accompagner l'enfant jusqu'à son lit au grand déplaisir de celui-ci qui se tourna vers Henri avec de grands yeux embués de larmes, dans l'espoir de l'attendrir :
- Mon parrain, ne puis-je pas rester davantage ? Je vous promets de rester sage si vous me l'accordez.
- Un bon seigneur doit toujours obéir à sa mère quand elle lui demande d'aller se coucher, répliqua Henri, amusé par la situation et en lui tendant le chaton pour qu'il puisse le prendre dans ses bras et qui, visiblement du même avis qu'Aymeric, miaulait, mécontent, je dois encore te dire beaucoup de choses demain avant que nous partions à la chasse, il faut que tu sois parfaitement en forme.
- C'est vrai, mon parrain ? S'exclama le petit garçon, sans même faire l'honneur d'un regard à Geoffroy qui cherchait à apporter son soutien et qui écopa d'un coup d’œil ironique d'Henri.
- Je te le promets, si nous avons le temps, nous pourrons peut-être même faire quelques passes d'armes mais si tu tombes de sommeil, je vais te battre à plates coutures !
Aymeric, les prunelles soudain brillantes à cette perspective, affirma qu'il ne pourrait être battu et embrassa sa mère puis son parrain, avant de quitter la salle de bonne volonté, le chaton toujours dans les bras.

Le petit seigneur de Châteauroux avait abandonné à leur querelle les adultes qui virent défiler les plats et les services dans une atmosphère plus détendue. En effet, les artistes de la cour de Châteauroux avaient pris le relais de leurs confrères champenois pour faire montre de leurs talents et éblouir à leur tour l'assemblée. Henri ne put que reconnaître que la dame de Déols les avait bien choisi et l'éclat de sa cour était bien mérité. D'ailleurs, la jeune femme parut légèrement se détendre devant ce qui était comme un étalage de sa puissance et de sa capacité à placer de jeunes poètes sous son aile, aussi ce fut elle qui relança la conversation du côté de Henri pour lui poser quelques questions sur les moines copistes de Champagne sur lesquels le comte qui favorisait leur activité et leur développement était intarissable. Il lui fit également promettre de lui faire voir les manuscrits de l'abbaye de Déols car tout ce qui sortait de l'ordinaire aiguisait sa curiosité et la perspective de retrouver un peu d'Orient dans les pages d'un livre ne lui déplaisait pas.
- Je me flatte de réunir nombre de talents mais vous n'êtes pas en reste, nous nous ferions presque concurrence, plaisanta la jeune femme en boutade.
Henri allait répondre sur le même ton mais il fut interrompu par le seigneur de Loches, visiblement vexé d'être laissé à l'écart et de ne pouvoir renchérir sur le sujet des manuscrits ou des jongleurs :
- Il est vrai que vous avez une fort belle cour, comte, on se demande d’ailleurs, ici et là, comment il se peut que vous n’ayez pas une fiancée pour la présider, à l’image de notre hôtesse, vous qui êtes si pressé de trouver une épouse à votre frère le comte de Blois.
Pour la première fois depuis sa rencontre avec Geoffroy de Loches, le comte de Champagne fut proprement stupéfait de ce qui ressemblait fort à une attaque directe, bien plus vile que tout ce qu'il aurait pu attendre d'un tel imbécile, imbécile fort bien renseigné au demeurant. Au prix d'un effort considérable, il n'en laissa rien paraître pour autant et se fendit d'un sourire bien trop joyeux pour être naturel et honnête. Il avait conscience des regards posés sur lui au moment où il ouvrait la bouche pour répondre et des conversations qui s'étaient interrompues à leurs côtés car on retenait son souffle en attendant la réaction du comte de Champagne. Parmi eux, il y avait celui de Sybille de Déols dont Henri ressentit tout particulièrement le poids.
- J'ai, quant à moi, la chance d'être mon seul maître, répliqua Henri, non sans perfidie, la voix presque doucereuse mais ceux qui le connaissaient bien savaient qu'il ne s'agissait là que de colère retenue, et de pouvoir choisir quand je désire me marier et avec qui. Jugez-vous donc que je manque à mes devoirs pour avoir besoin d'une compagne pour présider à ma place à mes divertissements ?
Le Lochois répondit que ce n'était évidemment pas le cas mais poursuivit sa tirade en s'adressant désormais à Sybille, bien qu'au vu de sa précédente tirade, il soit parfaitement conscient de faire un affront au comte de Champagne :
- Ma dame, vous savez que je serais honoré de pouvoir vous aider à rendre votre entourage encore plus fameux, et de veiller à son rayonnement avec vous.
Henri, cette fois-ci, fronça les sourcils mais Sybille ne lui laissa pas le temps de réagir car elle se redressa, visiblement excédée par la tournure que prenait le banquet et tous furent bien contraints de l'imiter dans un raclement de chaises général.
- Ce n’est ni le moment, ni le lieu d’en parler, je crois plutôt que nous ne devrions pas veiller beaucoup plus tard, nous avons une chasse demain.
Geoffroy se confondit en révérences pour lui souhaiter une bonne nuit tandis qu'Henri demeurait de marbre. Une fois que Sybille de Déols fut sortie, les deux hommes se lancèrent un regard chargé d'animosité mais les lèvres de Henri s'écartèrent en un sourire ironique :
- Il semblerait que vous et votre seigneur ayez encore du chemin à parcourir avant de convaincre la dame de Déols. Nous nous reverrons demain à la chasse, conclut-il en saluant son rival d'un signe de tête avant de s'éloigner à son tour, flanqués de ses hommes les plus proches dont Gauthier de Brienne.
- Qui sait, monseigneur ? Renchérit ce dernier d'une voix forte pour que tout le monde puisse l'entendre, peut-être chantera-t-il un lai comme un véritable trouvère pour déclarer son amour demain, juché sur son cheval, lors de la chasse ?
Si certains pouffèrent, Henri n'esquissa pas un sourire et quitta la salle, tête haute, pour rejoindre ses appartements.

Dès qu'il fut rentré dans sa chambre, le comte de Champagne se laissa envahir par la colère. Il avait l'impression d'avoir été joué, non seulement par le Plantagenêt mais aussi par ce Geoffroy peut-être pas aussi stupide qu'il semblait l'être. Et Sybille de Déols qui ne prenait pas de décision nette n'arrangeait rien, se faufilant comme une anguille pour échapper aux propositions et au contrôle du parrain de son fils. Henri était rarement de mauvaise humeur mais cette fois-ci son sourire s'était définitivement effacé de son visage et il lançait de temps à autre des réflexions sur la soirée affreuse qu'ils venaient de passer à son écuyer qui s'efforçait de le dévêtir en acquiesçant. Comment avait-il osé ? Comment avait-il osé faire un tel affront au comte de Champagne lui-même ? Se croyait-il réellement invincible en étant le protégé du duc de Normandie, ce petit présomptueux qui pensait que le monde entier devait se plier à ses volontés et qui n'avait que faire que de respecter sa parole ? A ses côtés, Brienne demeurait calme même s'il se faisait discret pour ne pas subir les foudres de son ami. Quand, après avoir arpenté plusieurs fois la pièce, Henri se calma enfin, il finit par s'asseoir en face de Gauthier et ne conserva qu'une seule bougie pour éclairer leurs visages et permettre leur conciliabule secret. Dehors la lune était encore haut dans le ciel, baignant la pièce de sa lumière pâle et chargée de mystère, mais c'était tant mieux car la nuit s'annonçait longue.

Le lendemain matin, le temps était clair même si quelques nuages cachaient le soleil, comme pour prévenir d'une tempête à venir. Mais l'agitation dans la cour de Châteauroux était telle que bien peu étaient ceux qui levaient la tête pour s'en inquiéter. Le comte de Champagne, les yeux cernés, discutait gaiement avec des hommes de son entourage, tous habillés en tenue de chasse et bien armés car la rumeur voulait que le gibier fut gros et imposant dans les forêts de Déols. S'il paraissait totalement détendu, ayant oublié l'altercation de la veille comme son attitude joyeuse envers Geoffroy de Loches qui s'était avancé pour le saluer le montrait, il se retournait fréquemment, guettant du regard Gauthier de Brienne qui accusait du retard après s'être éclipsé au cours de la nuit après leur explication. Quelques dames s'étaient également proposées pour les accompagner mais Henri avait insisté pour qu'elles restent dans le clairière où était prévu le repas de midi et la chasse au faucon, au grand déplaisir de la dame Quéruel qui aurait aimé, à l'image de la dame des lieux, chevaucher de concert avec les hommes – et surtout Henri en l'occurrence. De l'autre côté de la cour, les gardes du château préparaient les bêtes avant le départ, le lieu résonnait d'aboiements de chiens et le comte ne put s'empêcher de remarquer que l'un des gardes, pour avoir approché sa main un peu trop près de la gueule des fauves, se tordait désormais de douleur. Un autre courait derrière un bel étalon qui prenait un malin plaisir à faire le tour de la cour. Si l'ambiance paraissait bon enfant, le comte avait conscience de la rivalité qui se jouait là. Ses hommes n'avaient pas l'intention de s'en laisser compter pour les Lochois qui eux-mêmes ne voulaient pas trahir leur réputation de guerriers. Mais si tout se déroulait comme prévu, la chasse tournerait court rapidement. Les discussions furent interrompues par l'arrivée tonitruante du petit Aymeric qui salua avec effusion son parrain qui ne releva la tête que pour adresser un large sourire à Sybille de Déols qui suivait, en tenue de chasse.
- Pourquoi ne puis-je pas vous accompagner ? On m'a dit que je devais rester avec les dames aux faucons, s'écria le petit garçon d'un ton boudeur, déjà pris en charge par une dame de Châteauroux.
- Il va te falloir attendre d'être plus grand, un simple loup te dévorerait tout cru, petite portion comme tu l'es, répliqua Henri dans un éclat de rire avant de se tourner vers Sybille, je suis ravi de pouvoir chasser en votre compagnie, madame, je suis certain que vous allez nous impressionner. J'espère que nous n'allons pas devoir nous contenter de cerfs ou de maigres lapereaux...
- Oh non, il nous faut des adversaires à notre mesure et des proies qui se défendent bien, enchaîna Gauthier de Brienne qui venait de paraître comme par enchantement et qui grimpait déjà sur la monture qu'on lui avait préparé.
Geoffroy de Loches se précipita pour aider Sybille à faire de même ce que Henri lui accorda volontiers, se contentant de tenir les rênes du cheval et de flatter son encolure.
- Soyez généreuse avec nous, lança-t-il à la jeune femme en lui rendant la bride et en lui faisant un clin d’œil plein de malice, ne partez pas trop en avance que l'on puisse encore vous suivre !
- Ne vous inquiétez pas, comte, s'écria l'un de ses hommes, en plaisantant alors que Henri montait sur le grand cheval nerveux qu'on lui avait prêté, nous tâcherons de ne pas vous laisser trop à l'écart !
Et ce fut donc dans un éclat de rire à peine couvert par les aboiements des chiens que les Champenois quittèrent la cour sur leurs montures, dans un petit galop qui fit longtemps résonner le claquement des sabots dans la cour de la forteresse de pierres, piques tournées vers le ciel.

Henri de Champagne chevauchait de concert avec Sybille et Geoffroy de Loches alors que les discussions allaient bon train. A un moment donné du parcours, sur un signe de Jehan d'Ambrault qui les menait jusqu'à la clairière en question, la plupart des dames quittèrent le groupe, en compagnie d'Aymeric dans le bruissement d'ailes des faucons. Gauthier de Brienne, particulièrement en verve, apostropha le comte pour qu'il raconte une histoire bien connue :
- Dites-moi, monseigneur, quel est le roi qui est mort lors d'une chasse ?
- Il s'agit de Louis V, un descendant de Charlemagne, rétorqua Henri en lui lançant une œillade, il est tombé de son cheval et s'est brisé le crâne.
- Il se raconte qu'il poursuivait non pas un sanglier ou un ours mais une donzelle, affirma Gauthier à ceux qui les entouraient mais assez fort pour être entendu de tous, ce qui provoqua un rire général.
Henri haussa le sourcil, amusé mais le temps de l'amusement était terminé, les chiens venaient de flairer une piste. Comme dans une danse correctement orchestrée, les cavaliers se séparèrent en deux groupes pour prendre l'animal en tenailles. Le comte de Champagne échangea un regard entendu avec Gauthier de Brienne et lança son cheval sur le chemin. Geoffroy de Loches avait gagné la première partie ? Et bien que débute la revanche !
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Sybille de Déols

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MessageSujet: Re: Qui va à la chasse peut y perdre plus que sa place / Henri & Sybille   Qui va à la chasse peut y perdre plus que sa place / Henri & Sybille EmptyMer 26 Juin - 23:44

Sybille de Déols  a  dit:
Le départ d’Aymeric, immédiatement après une scène qui montra encore une fois et au plus grand déplaisir de Geoffroy de Loches à quel point le petit garçon avait fait du comte de Champagne la figure paternelle dont la croisade l’avait privé, laissa à la rivalité entre les deux invités de la dame de Châteauroux tout le loisir de s’exprimer. Tous deux s’étaient jusque là montrés bien moins incisifs que ne l’attendait Sybille, mais un fois l’obstacle - même physique, puisqu’il s’était assis entre sa mère et le comte - que constituait le jeune enfant disparu, la sourde querelle qui animait les acteurs principaux de cette vaste mascarade grimée en festivités put reprendre la place qui lui était due. À nouveau, tout ne fut plus qu’habiles manoeuvres (ou moins habiles si l’on considérait les difficultés de Loches à se faire entendre) pour accaparer l’attention ou la conversation, en un duel où chaque réplique portait avec elle nombre d’arrière-pensées. La maîtresse des lieux, loin de se contenter du rôle de spectatrice, participait pleinement à cette partie d’échecs. Elle avait parfaitement conscience du rôle auquel on aurait bien voulu qu’elle se tienne, mais il était vain d’espérer qu’elle consente à se borner à distribuer points et sourires, car c’était bien son sort à elle qui se jouait sous ses yeux, et il n’était pas question, encore une fois, de laisser croire à l’un ou l’autre des deux seigneurs qu’ils pouvaient en disposer à leur guise, sans la consulter. C’est pour cette raison qu’un peu plus tôt, elle s’était résolument tournée vers Loches en ignorant Henri jusque là bien plus avancé que son adversaire, avant de se tourner à nouveau vers lui une fois Aymeric parti, trouvant que le seigneur tourangeau prenait bien trop confiance dans le maigre intérêt qu’elle semblait bien vouloir lui porter. Profitant de sa position, elle lançait les conversation et les interrompait, tout en présidant au repas régulièrement égayé par la petite cour bariolée qui entourait la mécène qu’elle était et dont elle n’était pas peu fière ce soir-là. En fine connaisseuse des rouages du jeu auquel on se livrait à la table d’honneur, Sybille veillait à mener la danse d’un bout à l’autre, même lorsqu’elle se détournait de ses deux éminents voisins pour s’adresser au reste des convives dont la plupart assistait sans réellement savoir de quoi il en retournait à cette querelle lourde d’enjeux. Il n’y avait certes personne pour ignorer les intentions de Geoffroy de Loches, qui ne s’était pas privé de prendre de l’avance sur la réponse de la dame de Châteauroux en s’estimant déjà chez lui, mais celles du comte de Champagne, en revanche, étaient sans doute plus obscures aux yeux de l’assemblée, car l’on pouvait difficilement concevoir qu’il se donnât tant de mal dans le seul but d’assurer les intérêts de son frère Thibaud de Blois. C’est donc avec curiosité que, bien souvent, les regards des convives se tournaient vers la table occupée par la dame et ses deux invités, et avec un amusement mêlé d’un certain agacement que la dame en question voyait que l’on s’échangeait allègrement commentaires et prédictions, le tout sous l’oeil de Cyrielle qui faisait régulièrement son apparition parmi l’assemblée et se trouvait toujours miraculeusement une occupation là où les conversations l’intéressaient. On la croisait d’ailleurs bien souvent du côté d’un des compagnons du comte de Champagne mais Sybille était bien trop occupée par ce qui se passait entre Loches et ce dernier pour remarquer que sa fidèle espionne sacrifiait parfois à la présence de Gauthier de Brienne la tâche qui lui avait été confiée - tâche pour laquelle il avait peut-être, après tout, un intérêt particulier. De toute façon, la jeune dame avait toute confiance en sa suivante et la tension qui remonta soudain à ses côtés entre Henri et Geoffroy lui ôta toute envie d’observer ce qui pouvait bien se passer ailleurs qu’à sa propre table.

Le seigneur de Loches, en effet, venait de faire une sortie pour le moins inattendue de sa part compte tenu de la façon dont il s’était laissé mener jusqu’ici. Sybille, d’abord frappée de surprise quoi qu’elle n’en montrât rien, voulut rapidement trouver un moyen de mettre fin à cette conversation, car elle ne souhaitait pas laisser à Henri l’occasion d’aborder l’épineux sujet du mariage qu’il voulait la voir faire avec son frère, mais il ne lui en laissa pas le temps et, avec un sourire qui faisait honneur à son talent de dissimulateur, prit la parole pour répondre à Geoffroy.
« J'ai, quant à moi, la chance d'être mon seul maître, et de pouvoir choisir quand je désire me marier et avec qui, répliqua-t-il, non sans s’attirer un regard ironique de la part de la jeune femme. Jugez-vous donc que je manque à mes devoirs pour avoir besoin d'une compagne pour présider à ma place à mes divertissements ?
- Non, bien sûr que non, loin de moi cette idée, assura aussitôt le Lochois. »
Ils auraient sans doute pu en rester là et le banquet aurait pu reprendre son cours si le seigneur de Loches n’avait pas poursuivi, prouvant qu’il était capable de la pire des perfidies comme des affronts les plus criants, car il ne pouvait ignorer, au vu de sa dernière réplique, les projets du comte de Champagne pour la dame de Châteauroux. Une fois encore, Sybille manqua de rester muette devant une telle audace mais voyant Henri froncer les sourcils, visiblement prêt à répliquer, choisit finalement de reprendre les choses en main. Loches méritait sans doute qu’on le remette à sa place, mais il n’était pas question de laisser la confrontation s’engager sur le chemin qu’elle semblait prendre. Elle pouvait accepter les quelques piques plus ou moins incisives que l’on avait échangées jusque là, mais pas risquer une bataille ouverte, surtout sur un tel sujet - quoi qu’il n’aurait visiblement pas été inutile de leur rappeler qu’ils perdaient leur temps. Aussi personne n’avait-il eu le temps de répliquer à cette dernière attaque lorsqu’elle se leva, forçant l’ensemble des convives à l’imiter. Elle ne se priva pas d’un regard sévère et clairement agacé en direction de l’un et l’autre des deux rivaux tout en annonçant qu’ils avaient tous intérêt à ne pas retarder plus longtemps l’heure de se séparer pour la nuit afin de pouvoir faire honneur à la chasse organisée dès le lendemain matin. Le Tourangeau, comprenant sans doute qu’il avait poussé l’audace un peu loin, abonda aussitôt en ce sens et tout en se disant tout de même bien malheureux de devoir quitter une compagnie telle que celle de la dame des lieux, se rendit presque trop obséquieux en lui souhaitant mainte fois une bonne nuit. Sybille ne put retenir une oeillade perplexe dans sa direction, avant d’adresser un bref salut à Henri qui, de son côté, semblait avoir perdu de son éternelle belle humeur. La dame de Déols dut encore échanger quelques mots avec divers convives, notamment cette fameuse dame Quéruel qui accourut pour la saluer et tenter d’attirer l’attention du comte de Champagne, puis après avoir donné quelques instructions à Jehan et deux des domestiques en charge du banquet, s’éclipsa enfin. Cyrielle, quant à elle, n’eut pas besoin de la moindre instruction, ni même besoin de croiser le regard de sa maîtresse pour comprendre qu’il lui fallait attendre avant de la suivre, le temps d’assister à la dernière confrontation des deux seigneurs et au départ des hommes de ces derniers qui ne manqueraient sans doute pas de commenter ce à quoi ils venaient d’assister.

Sybille, quant à elle, regagna rapidement ses appartements. Elle n’alla pas se coucher, car elle savait que la nuit serait longue, et que ça n’était pas ce soir qu’elle trouverait le sommeil qui lui faussait si souvent compagnie. Alors que l’on s’agitait en bas pour débarrasser la grande salle, elle alla s’assurer que l’on avait bien réussi à endormir Aymeric qu’elle savait capable de mener a vie dure aux gouvernantes, mais visiblement, les paroles de son parrain l’avaient convaincu car lorsqu’elle pénétra dans la chambre, le petite garçon dormait à poings fermés. Elle ne put retenir un sourire attendri en voyant que le petit chaton roux, blotti contre lui, semblait tout aussi endormi. Elle laissa un instant sa main s’égarer dans la chevelure blonde de son aîné puis se dirigea vers le berceau de Guillaume dont elle entendait le léger babille étouffé par les couvertures. Faisant signe à la gouvernant qu’elle s’en occupait, la jeune mère prit son fils dans ses bras et passa avec lui dans sa propre chambre pour le nourrir tout en laissant ses suivantes s’affairer autour d’elle. Guillaume, par sa naissance obscure et le mystère que Sybille souhaiter garder autour de son père n’attirait pas la même attention qu’Aymeric, mais la dame n’en avait pas moins d’affection pour lui. Ce soir, cependant, elle s’en finit par s’en désintéresser et lorsqu’il se fut endormi, laissa à la gouvernante le soin de le ramener dans son berceau pour renvoyer la plupart de ses gens et écouter le rapport de Cyrielle qui était allée jusqu’à faire le tour du château afin de savoir ce que faisaient de leur nuit les invités de sa maîtresse.
« Je n’ai rien entendu du côté de Loches, confia l’habile espionne, je crois bien qu’ils dorment. En revanche, le comte de Champagne a congédié tous ses gens, et j’ai cru comprendre qu’il est en grande conversation avec l’un de ses hommes, un certain Brienne. »
Sybille en resta un instant songeuse. Elle n’avait absolument pas confiance en Henri qui, en plus de n’avoir visiblement pas apprécié que Loches s’avise de marcher sur ses plates-bandes en la courtisant, ne laisserait sans doute pas passer l’affront de ce dernier. De là à en déduire qu’il se préparait quelque chose sur la foi d’un simple conciliabule, il y avait un pas qu’elle préféra ne pas franchir avec certitude. Elle interrogea Cyrielle un long moment encore, et se fit rapporter tout ce qu’elle avait pu entendre d'intéressant, toutes les questions qui lui avaient été posées avant de consentir à la laisser s’éclipser, ce que la demoiselle fit bien trop promptement pour être honnête. Sybille esquissa une moue perplexe en la voyant se glisser hors de ses appartements mais ne se posa pas plus de questions, les évènements à venir la préoccupant plus que ce que pouvait lui cacher sa suivante. Elle ignorait alors combien les amours de celle-ci avec un certain seigneur champenois lui seraient utiles et interféreraient avec ses propres intrigues. Les seuls doutes qu’elle nourrissait cette nuit-là portaient sur les intentions du comte de Champagne, et faute de pouvoir y répondre, elle se contenta de faire mander Jehan. Ce dernier, rompu aux appels nocturnes de la jeune femme, fut bientôt face à elle. Ils discutèrent des derniers détails concernant la chasse, puis après lui avoir recommandé d’ouvrir l’oeil, elle le renvoya à son tour et faute d’occupation, dut elle aussi se résoudre à aller se coucher. L’esprit alerte et réticent au repos de la dame de Déols mit une fois de plus bien longtemps à s’apaiser et ça n’est que deux heures avant le point du jour qu’elle trouva enfin le sommeil.

Le matin dut donc rapidement là, et c’est donc dans une joyeuse et fébrile ambiance de préparatifs que la forteresse de Châteauroux et sa dame s’éveillèrent. Rompue aux courtes nuits, celle-ci se leva sans difficultés, à l’image d’Aymeric qui fit irruption dans la chambre de sa mère, suivi de près par son chaton et la pauvre gouvernante alors que celle-ci achevait de se préparer, en se passant d’ailleurs des services de Cyrielle qui n’avait pas réapparu.
« Jehan dit que je ne peux pas vous accompagner chasser, et que je devrai rester avec les dames, mais ce n’est pas vrai, n’est-ce pas maman ? demanda-t-il en se planta devant elle.
- Jehan a raison, ne faut-il pas quelqu'un pour défendre toutes les dames lorsque les chevaliers seront partis ? J'espère qu'elles pourront compter sur toi ! répondit Sybille en le gratifiant d’un sourire attendri. »
Aymeric se laissa, pour le moment du moins, convaincre par ces arguments et accepta de laisser sa mère achever ses préparatifs en paix pour retourner jouer avec son chat et avaler un solide petit-déjeuner, tandis que dans la cour, Henri de Champagne, Geoffroy de Loches et leurs hommes se rassemblaient déjà. Sybille jeta un regard mi-amusé mi-suspicieux par une fenêtre d’où elle pouvait apercevoir tout ce beau monde puis, ayant embrassé Guillaume et convaincu Aymeric qu’il ne pouvait emmener Phénix chasser avec lui, finit par rejoindre la troupe fin prête pour le départ. Ayant visiblement oublié ce que lui avait dit la jeune dame plus tôt, le petit garçon se précipita vers son parrain en tentant de l’attendrir d’une moue boudeuse.
« Il va te falloir attendre d'être plus grand, un simple loup te dévorerait tout cru, petite portion comme tu l'es, répliqua Henri qui semblait fatigué mais d’une excellente humeur, je suis ravi de pouvoir chasser en votre compagnie, madame, je suis certain que vous allez nous impressionner. J'espère que nous n'allons pas devoir nous contenter de cerfs ou de maigres lapereaux...
- Oh non, il nous faut des adversaires à notre mesure et des proies qui se défendent bien ! »
Sybille, avant toute réponse, jeta un regard indéfinissable au fameux Gauthier de Brienne qui venait d’apparaître, puis au comte. Toute forme de tension, sinon celle de la compétition qu’étaient prêts à se livrer Champenois et Lochois, semblait avoir disparu, ce qui parut hautement surréaliste à la jeune dame.
« Je connais bien ces terres, je vous assure que vous y trouverez votre compte, répondit-elle en se fendant d’un sourire. »
Elle ignorait, encore une fois, quel cynisme il y avait dans ses paroles, et quoi que toute cette bonne humeur associée au souvenir des rapports nocturnes de Cyrielle (qui avait réapparu à son tour, ô curieux hasard) lui parût bien suspecte, se garda du moindre commentaire, même lorsque Geoffroy se précipita pour l’aider à monter sur sa monture sans même s’attirer un regard de la part d’Henri.
« Soyez généreuse avec nous, reprit celui-ci, ne partez pas trop en avance que l'on puisse encore vous suivre !
- Ne vous inquiétez pas, comte, s'écria l'un hommes de Châteauroux, nous tâcherons de ne pas vous laisser trop à l'écart ! »
Un éclat de rire général secoua l’imposante troupe, qui s’ébranla à la suite de la dame de Déols et de ses deux invités, et c’est ainsi que l’on quitta la cour de la forteresse, dans une ambiance badine et presque trop plaisante pour être honnête, et ce jusqu’à ce que Jehan n’entraîne avec lui la plupart des dames et Aymeric vers la clairière où l’on avait prévu de manger à midi. Sybille, quant à elle, demeura avec les seigneurs et leurs hommes. Il était d’usage que les femmes chassent au faucon, mais elle avait tenu à prendre part à la traque du gibier, et ses compagnons ignoraient sans doute qu’elle n’avait pas l’intention de ne faire que les observer. Sulpice n’avait pas eu l’occasion d’apprendre grand chose à sa fille aînée, que la féroce Agnès gardait auprès d’elle, mais la jeune dame avait encore en mémoire les longues parties de chasse auxquelles on lui permettait de se livrer avec son père et dont elle avait beaucoup appris. Si le mot d’ordre était la compétition, elle comptait bien ne pas rester à l’écart - et il n’était de toute façon pas question de laisser Loches et Henri sans garder un oeil sur eux.

« Dites-moi, monseigneur, quel est le roi qui est mort lors d'une chasse ? lança soudain Gauthier de Brienne à l’intention de son seigneur, attirant par là l’attention de toute une partie de la troupe.
- Il s'agit de Louis V, un descendant de Charlemagne, il est tombé de son cheval et s'est brisé le crâne.
- Il se raconte qu'il poursuivait non pas un sanglier ou un ours mais une donzelle ! »
Si chacun s’amusa ouvertement de l’anecdote, Sybille, quant à elle, resta perplexe. Elle observa un instant Geoffroy de Loches, qui riait de bon coeur et se comportait avec une bonhomie naïve, du moins aux yeux de la jeune femme qui était visiblement la seule à trouver que l’on était de bien trop bonne humeur pour être honnête. Elle croisa alors le regard d’Henri, plus réservé, et ne put s’empêcher de songer qu’elle n’avait peut-être pas tort de se méfier. Toutefois, elle n’eut guère le temps d’en penser plus car les chiens semblèrent avoir flairé une piste, canalisant ainsi toute l’attention des chasseurs qui s’émurent à peine du malheur d’un pauvre garde dont la monture, harcelée par l’une des bêtes, jugea préférable de mettre son cavalier à terre. Il se trouva cependant forcément quelqu’un pour lui venir en aide, car peu de temps après, alors que l’on se séparait en deux groupes, on vit le même garde hésiter sur la route à prendre, avant d’être finalement emporté par son cheval qui choisit pour lui.
« Sur quel gibier pensez-vous que nous allons tomber, ma dame, interrogea Loches pour relancer la conversation un moment interrompue.
- Ces forêts sont pleines de surprises. Avec de la chance, il s’agit d’un loup.
- Que ferez-vous s’il s’agit de quelque chose de plus imposant ? Pensez-vous que vous pourrez nous suivre ?
- Ne me sous-estimez pas, monseigneur, rétorqua Sybille avec un sourire énigmatique, qui se transforma bientôt en un rictus que le comte de Champagne seul pourrait totalement comprendre. Mon père avait pour habitude de m’emmener chasser avec lui, vous pourriez être surpris. »
Elle adressa un regard lourd de sens à Henri mais ne s’attarda pas sur le sujet de Sulpice, qui était toujours retenu avec son fils cadet par le père du jeune comte, Thibaud IV.
« Quel dommage qu’il ne puisse être parmi nous aujourd’hui, ça aurait été un grand honneur de chasser avec un tel seigneur, lança alors Loches, perfide, en s’adressant plus au comte de Champagne qu’à Sybille, avant de se tourner à nouveau vers elle. J’espère que nous aurons cette occasion un jour.  Hélas, je sais que cela ne dépend pas de lui, ni de vous.
- Non, en effet, rétorqua l’intéressée, agacée. »
Il y eut un court silence crispé, qui ne fut brisé que par l’exclamation d’Amaury d’Issoudun qui pointa du doigt une forme non loin, qui s’avéra être un jeune cerf, affolé par le bruit des cavaliers. Ce n’était visiblement pas là la trace qu’avaient débusqué les chiens, mais peu importait, il ne fallait pas perdre cette occasion de remporter une première victoire. Alors que quelques chasseurs se félicitaient entre eux de cette future première proie, Sybille esquissa un nouveau sourire. Elle talonna sa monture et rejoignit son plus important vassal qui se trouvait quelques foulées en avant pour lui réclamer sa pique. Surpris, le jeune homme obtempéra, et la dame de Déols le laissa lui aussi derrière elle pour se lancer à la poursuite du cerf. Elle avait largement devancé les autres cavaliers et ne put que profiter de ce court instant de liberté, au rythme des foulées de sa vive monture, qui rattrapa le cerfs à plusieurs reprises, lui permettant de le piquer plusieurs fois. Enfin, au bout de quelques minutes, elle lui asséna le coup fatal et l’animal s’effondra. Celle-ci arborait un air satisfait et fier, ainsi qu’un sourire un peu plus sincère que les précédents lorsque les autres chasseurs, Henri et Geoffroy en tête suivis de près par Amaury, la retrouvèrent.
« Quoi messeigneurs, devancés par une dame ? Votre nuit a-t-elle été si courte que cela - elle posa un regard éloquent sur le comte - ou dois-je vous soupçonner de m’avoir laissé l’emporter ? »
Elle s’autorisa un éclat de rire, aussitôt imitée par le reste de la troupe, tandis que ses gens s’occupaient du cerf qui n’avait pas même eu le temps d’agoniser. Elle dut bien admettre en son for intérieur que cette petite escapade lui avait fait le plus grand bien, et quoi qu’elle soupçonnât toujours l’humeur trop joyeuse de grand nombre des cavaliers de dissimuler quelque chose, regagna les rangs de la troupe qui s’ébranla à nouveau sur les traces de ce qui pouvait fort être un plus gros gibier. Et comme les choses avaient repris leur cours normal, Sybille put voir, non sans un agacement habilement dissimulé, Geoffroy de Loches qu’elle avait pris garde à ne pas rejoindre faire en sorte de se retrouver à sa gauche. À nouveau flanquée des deux seigneurs qu’elle n’avait pas réellement invités, elle songea que l’instant de liberté n’avait été que de courte durée, et reprit la conversation là où elle avait été laissée avant l’évocation de son père. Mais le calme relatif qui se réinstalla ne fut que de courte durée. Bientôt, les chiens se firent plus agités encore, et la cadence se fit soudain plus soutenue, tandis que l’on se dirigeait vers quelques passages plus escarpés. Les conversations s’éteignirent, sacrifiées à la concentration, si bien que Sybille ne réalisa pas immédiatement qu’elle avait brusquement été distancée à la fois par Loches et Henri, ainsi qu’une petite troupe de cavaliers champenois. Suspicieuse à nouveau, elle ne put toutefois demander à ce qu’on fasse demi-tour et dut se résoudre à laisser le groupe se diviser. La suite des évènements devait lui prouver qu’elle n’avait pas eu tort de se méfier.
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Henri de Champagne

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MessageSujet: Re: Qui va à la chasse peut y perdre plus que sa place / Henri & Sybille   Qui va à la chasse peut y perdre plus que sa place / Henri & Sybille EmptyVen 28 Juin - 23:59

Henri de Champagne  a  dit:
Toute personne qui avait assisté à la scène pendant laquelle les seigneurs assis à la table d'honneur s'étaient donnés en spectacle la veille au soir dans la grande salle de Châteauroux aurait pu se demander quelle était la raison qui poussait les Champenois à se montrer aussi joyeux et plein d'entrain au moment de quitter la forteresse sur leurs montures piaffant d'impatience pour se livrer à l'un des passe-temps favoris des nobles du royaume, la chasse, qui leur permettait de marquer leur empreinte sur leur territoire à coup de trompes et de cavalcades effrénées, quitte à en laisser les terres des paysans exsangues. Et pourtant, malgré l'affront que Geoffroy de Loches avait envoyé au comte de Champagne, tout comme les paroles déplaisantes qu'ils avaient échangées, c'était bel et bien le sourire aux lèvres que les fidèles d'Henri s'envoyaient des piques et des moqueries, en toute insouciance, et aucun des Lochois ne paraissait s'émouvoir de cet état de fait, leur seigneur lui-même était bien trop sûr de lui et des pions qu'il avait avancés pour sentir le danger qui planait autour de lui et l'enserrait au fur et à mesure que les chevaux s'enfonçaient dans les bois du domaine de Déols, le menant inexorablement à sa perte. Comment aurait-il pu s'en douter alors qu'il était persuadé qu'avec l'aide de son propre comte il deviendrait bientôt le propriétaire de ces lieux ? Comment aurait-il seulement pu imaginer qu'au moment où il dormait paisiblement, du sommeil de celui qui n'a rien à se reprocher (ou qui n'a rien de spécifique à penser), baigné par la faible clarté de la lune, à l'autre bout de la forteresse, d'autres évoquaient la possibilité de se débarrasser de lui et mettaient en œuvre une stratégie pour lui faire rejoindre le royaume des cieux plus rapidement que Dieu ne l'avait prévu pour lui ? Il avait pourtant eu tort de se mesurer à Henri de Champagne, de le repousser dans ses retranchements mais lui aussi avait fait l'erreur de ne voir dans le comte qu'un jeune homme prêt à tout pour s'amuser et incapable de faire preuve de la même sévérité que son père, le fameux Thibaud IV qui, lorsque son sang bouillonnait, rassemblait ses vassaux pour partir à l'assaut de châteaux avant de les détruire pierre par pierre. Henri était peut-être plus dissimulateur et plus réfléchi mais c'était bel et bien le même sang qui coulait dans ses veines. Et Geoffroy de Loches allait payer chèrement cette méconnaissance de son adversaire et de cette manière de le tester. Pour le moment, toutefois, la menace semblait bien irréelle malgré les nuages gris qui paressaient dans le ciel et seule Sybille de Déols parut jeter un coup d’œil suspicieux à Henri et au reste de sa troupe, bien consciente sans doute des véritables enjeux de cette chasse... Et de l'attitude suspecte, empreinte de compétition, des chevaliers champenois. Mais pas un instant, Henri ne baissa le regard devant elle ou le Lochois, ses yeux bruns ne pétillaient qu'à l'idée de se mesurer à Geoffroy de Loches sur un terrain sur lequel il excellait, non pas tellement celui de la chasse même s'il avait des heures de pratique derrière lui et si on racontait que les loups avaient presque disparus des forêts de Blois depuis que les fils de Thibaud IV s'entraînaient mais plutôt celui de la dissimulation et de la stratégie militaire. C'était presque la même inquiétude qui le tenaillait  que lorsqu'il s'était élancé pour la première fois pour combattre une attaque de Sarrasins sur leur troupe de pèlerins allant en terre sainte, l'inquiétude de celui qui a conscience de jouer à quitte ou double et qu'une seconde chance ne se représenterait pas. Mais ce n'était pas une inquiétude paralysante, loin de là, au contraire, elle le poussait à offrir le meilleur de lui-même, elle en devenait presque euphorisante. Ou en l'occurrence, plutôt le pire de lui-même. Un instant, Henri songea à la terrible colère de Bernard de Clairvaux, son précepteur qui avait fait office de second père, à la confiance qui lui accordait pour être un comte juste et bon dans l'optique duquel il l'avait élevé mais cette pensée s'éloigna rapidement tout comme elle l'avait fui une bonne partie de la nuit également. Dans le jeu que les Lochois et les Champenois se livraient, les dés étaient désormais jetés et il fallait aller jusqu'au bout.

Les chevaux s'étaient élancés dans une forêt sombre, sur une piste entourée de sous-bois, guidés par les chiens aboyant à la recherche d'une piste. Parfaitement détendu, pour le moment, le comte de Champagne s'autorisa à rester un peu en arrière pour observer d'un œil amusé la troupe qui l'entourait alors que la plupart des dames déclarait déjà forfait pour rejoindre la clairière en compagnie du petit seigneur des lieux. Les Lochois serraient les dents, visiblement prêts à tout pour ne pas se lancer distancer, Henri soupçonnait qu'ils aient eu des ordres en ce sens à moins qu'ils ne désiraient prouver leur habileté aux yeux de tous. Ses propres hommes riaient entre eux, non sans se pousser du coude en désignant Geoffroy alors que Gauthier de Brienne s'amusait à faire appel à des anecdotes impliquant des accidents de chasse ce qui lui attira le regard mi-sévère mi-malicieux de son ami qui ne put s'empêcher de croiser celui de Sybille de Déols en détournant la tête. Celle-ci paraissait perplexe mais ne fit aucun commentaire et lorsqu'elle se retourna vers la piste, Henri ne put s'empêcher de remarquer l'aisance avec laquelle elle chevauchait  loin de ces femmes qui se faisaient ballotter sur leur monture et qu'on obligeait à avancer au pas. Non, elle tenait les rênes avec fermeté et dirigeait la petite troupe en tête, seulement flanquée par ses invités à la traîne, faisant corps avec sa monture, ses longs cheveux blonds déjà décoiffés. Lorsqu'il s'approcha davantage, Henri vit également ses joues rougies par le vent qui les frappait et la lueur de ses yeux et il comprit que cette folle chevauchée la libérait en quelque sorte de sa réserve et de sa froideur, lui permettait de se sentir libre. Le comte fut distrait de ses pensées par la séparation en deux groupes afin de permettre de prendre en tenailles le gibier et qui constituait là la première étape de leur stratégie. Avant la séparation définitive, Brienne eut un geste pour lui, comme pour le rassurer et ce fut donc avec son éternel sourire que Henri poursuivit son chemin.
- Sur quel gibier pensez-vous que nous allons tomber, ma dame ? Demanda Loches, au grand agacement de Henri qui profitait de l'instant de calme avant que la tempête ne se déchaîne.
- Ces forêts sont pleines de surprises. Avec de la chance, il s'agit d'un loup, répliqua Sybille.
A leurs côtés, Henri gardait le silence, non sans songer qu'il y avait bien des loups parmi eux. Mais que leur proie se montrait bien naïve.
- Que ferez-vous s’il s’agit de quelque chose de plus imposant ? Pensez-vous que vous pourrez nous suivre ?
- Allons, avança le comte de Champagne en laissant échapper un rire, la dame de Déols sait fort bien se défendre par elle-même, vous en conviendrez. Et il ne suffit pas d'être grand seigneur et bien protégé pour effrayer et vaincre les bêtes les plus imposantes des forêts.
- Ne me sous-estimez pas, monseigneur, renchérit la dame des lieux avant d'adresser un rictus à Henri, mon père avait pour habitude de m'emmener chasser avec lui, vous pourriez être surpris.
- On ne peut pas nier que votre père est un grand chasseur, marmonna Henri même s'il songea que Sulpice d'Amboise préférait les proies inamovibles et généralement faites de pierres.
On aurait pu en rester là sur ce sujet sensible car après tout, le père du comte de Champagne refusait toujours de libérer ses prisonniers malgré les insistances de son fils, sous prétexte qu'obtenir des promesses sous contrainte était plus efficace que des mariages mais Geoffroy de Loches ne parut pas comprendre qu'il lui fallait faire preuve de tact :
- Quel dommage qu'il ne puisse être parmi nous aujourd’hui, ça aurait été un grand honneur de chasser avec un tel seigneur, j'espère que nous aurons cette occasion un jour. Hélas, je sais que cela ne dépend pas de lui, ni de vous.
Henri préféra talonner son étalon pour éviter qu'on ne lise l'expression de son visage à ces paroles. Pour connaître de nom le fameux Sulpice et considérer qu'il avait bien cherché son châtiment actuel, il ne savait que trop bien ce que ce dernier aurait pensé de Loches et de sa bêtise. Geoffroy avait sans doute espéré le mettre mal à l'aise mais encore une fois, il manqua son objectif. Pour sa défense, il n'avait pas tout à fait tort, le sujet allait devenir un point de discorde beaucoup plus grave quelques temps plus tard.

Heureusement pour l'ambiance générale de la chasse, un cerf choisit ce moment précis pour passer devant le nez des cavaliers, lesquels purent le voir malgré les piques qu'ils se lançaient les uns les autres grâce à l'exclamation d'un vassal de Déols, le même que celui qui avait poursuivi Aymeric la veille. Avant que l'on ne puisse réagir, Sybille lança son cheval pour s'éloigner de la troupe, se saisit de la pique du vassal en question et se mit à pourchasser l'animal affolé. Henri ne chercha même pas à la rejoindre et ne put qu'observer sa fine silhouette au loin, sa main sûre transpercer le cervidé jusqu'à ce qu'il s'effondre, la gorge rougie. Sybille de Déols donnait la mort avec une grâce certaine et avec une assurance digne des plus impitoyables chefs de guerre et un instant, au moment où elle se retournait vers eux, un sourire fier et victorieux aux lèvres, un sourire que Henri ne lui connaissait pas encore, elle dut sans nul doute ressembler à son père. Pourtant, Henri n'en fut pas étonné ou écœuré, cette lionne farouche était bien plus difficile à apprivoiser que toutes ces biches restées en arrière avec les enfants, c'était un défi bien plus excitant. Il la trouva même jolie quand elle haussa le menton et se débarrassa de sa pique d'un geste impérieux, comme si elle était consciente qu'elle venait de leur rappeler qui commandait.
- Quoi, messeigneurs, devancés par une dame ? Votre nuit a-t-elle été si courte que cela ?
Elle échangea un regard avec Henri qui arqua un sourcil, lui reconnaissant volontiers qu'elle était bien informée. On aurait tort de négliger les racontars des serviteurs. Il eut soudain conscience qu'elle se doutait probablement de quelque chose mais qu'elle préférait ne rien dire et qu'elle ne ferait rien pour empêcher l'inéluctable de se produire.
- Ou dois-je vous soupçonner de m'avoir laissé l'emporter ? Poursuivit-elle en laissant échapper un rire.
- Tout cela est dû à votre meilleure connaissance des lieux, évidemment, lança Henri d'un ton faussement boudeur, démenti par l'éclat de ses yeux et son large sourire, j'attends quant à moi de me mesurer à des bêtes féroces, le seigneur de Loches m'a donné envie de me mesurer à lui !
Après cet intermède, la petite troupe repartit dans une meilleure atmosphère même si bientôt les conversations s'éteignirent pour laisser place à la concentration. Le petit étalon fougueux de Henri galopait dans le sillage des chiens qui avaient visiblement flairé une trace et le comte repéra des traces de pattes qui ne laissaient aucun doute sur l'identité de leur propriétaire si bien qu'il préféra garder le silence. Il n'eut même pas besoin de se retourner vers ses hommes pour savoir que se mettait en place le piège qu'ils avaient si soigneusement tissé. Le sentier devenait plus escarpé et il devenait compliqué de chevaucher de concert. Avec habilité, Henri parvint à détacher Loches qui avait visiblement été piqué par le défi qu'il lui avait lancé de la dame de Déols qui se retrouva en arrière, séparée de ses invités par quelques vassaux champenois qui firent exprès de ralentir l'allure. Comme dans une partie d'échecs, les pions glissaient avec une incroyable facilité pour acculer leurs adversaires dans des coins du plateau, les diverses parties du plan s'emboîtaient sans qu'un grain de poussière ne vienne enrayer la machinerie. La seule qui aurait pu arrêter le cours des événements était beaucoup trop loin désormais tout stopper. Et de fait, Henri n'eut pas à se retourner pour savoir que le visage de Sybille de Déols était désormais dissimulé par les frondaisons et que sa monture galopait sans espoir de les rejoindre. Henri espérait désormais que Gauthier de Brienne avait rempli sa part du travail.

Comme on le leur avait indiqué, l'endroit était particulièrement dangereux. Le sentier zigzaguait entre des ronces et on devait sauter par-dessus d'énormes racines. Bientôt les cimes des arbres semblèrent s'espacer et les deux cavaliers de tête, Henri laissant prudemment une longueur d'avance à son rival, purent atteindre un passage rocheux sur lequel les sabots des chevaux claquèrent, surmontant une petite ravine. Henri était aux aguets, prêt à faire face au moindre danger. Il lui sembla entendre des hurlements dans le lointain et il espéra qu'il s'agissait bien des rabatteurs. Mais soudain, ces questions furent secondaires. Un ours énorme, d'une noirceur de jais, sortit d'un taillis en rugissant pour faire directement face à ses adversaires. Il était déjà blessé comme le prouvait le sang qui coulait d'une de ses oreilles et paraissait aux abois, prêt à tout pour se tirer de cette situation comme s'il sentait que la mort rôdait autour de lui, comme si la conscience lui avait été donnée brusquement malgré sa bestialité. Il y avait comme du désespoir dans son cri, un appel à l'aide, un dernier râle d'honneur. Henri ne vit pas immédiatement ce que Geoffroy se décidait à faire car son cheval, terrifié, se cabra et il se raccrocha de justesse pour ne pas tomber à terre. Le temps qu'il se saisisse de sa pique, il avait promptement analysé la situation. Ils étaient encore seuls et Geoffroy ne pouvait pas vouloir partager les honneurs. Sans attendre pour autant, le comte lança sa monture contre l'animal et à raisonnable distance, il le frappa, non pour chercher à le tuer mais pour stimuler son agressivité. Le reste se passa très vite : vexé de ne pas avoir été le premier, le seigneur tourangeau se lança à son tour tandis que Henri s'éloignait légèrement pour le laisser seul face à l'animal, redressé sur ses deux pattes qu'il lançait presque à l'aveugle devant lui. D'un coup de griffes, Geoffroy fut jeté à terre et roula sur les rochers jusqu'à être arrêté quelques mètres plus loin, tandis que son cheval, affolé et blessé s'enfuyait au triple galop. Visiblement conscient de sa brusque supériorité, l'ours se rua vers l'homme à terre qui parvint à peine à se redresser pour lancer un appel au secours puis faire face à l'animal pataud qui voulait en finir. L'étalon de Henri se cabra à nouveau et sans lui porter secours, le comte vit nettement les griffes de l'ours lacérer le visage de Geoffroy de Loches et la pierre grise fut brusquement rougie de sang. Ce fut à cet instant-là que la troupe des rabatteurs rejoignit les deux seigneurs et comprenant d'un regard la situation, sans ralentir, chargea l'ours qui fit volte-face. Henri de Champagne, jugeant qu'il en avait fait assez, lança le cheval à la suite et tandis que Gauthier de Brienne combattait avec acharnement l'animal, il sauta à terre pour rejoindre la forme recroquevillée du corps de Geoffroy. Il se pencha vers lui pour constater que le seigneur, malgré la gravité de ses blessures, respirait toujours et roulait des yeux affolés dans ses orbites.
- Vous... Vous..., murmura-t-il avec peine en voyant le visage d'Henri se pencher vers lui.
La brusque terreur qui se lisait dans son regard indiquait assez qu'il avait compris que tout ceci avait été savamment orchestré et qu'il avait été victime d'une machination qui avait sa perte.
- Dommage, lui sourit Henri, vous n'aurez pas l'occasion d'aller porter témoignage qu'il peut être dangereux d'insulter le comte de Champagne... N'ayez aucune inquiétude, je veillerai à votre place sur la dame de Déols et ses domaines.
Geoffroy voulut ajouter quelque parole, une malédiction peut-être mais la dague qui s'enfonçait dans son cou le lui empêcha et ses derniers mots s'étouffèrent dans un gargouillis de sang, au même moment où la lueur de son regard s'éteignit. Assuré de ne pas avoir été vu, le comte rangea promptement son arme et les mains sanguinolentes, il ferma les paupières de celui qui avait été son rival, en murmurant quelques paroles consacrées. Même si c'était plutôt pour son âme qu'il allait avoir des inquiétudes.

Quand il se releva, il constata que tous les chasseurs étaient parvenus dans l'escarpement et que l'ours était enfin tombé à terre, achevé par un Gauthier de Brienne, fortement blessé au bras droit. Déjà un silence s'était abattu parmi les Lochois et tous les regards convergeaient vers le cadavre au sol. L'allure générale de Henri répondait par avance à toutes les questions. Et d'ailleurs personne ne les posa. Le comte de Champagne chercha la dame de Déols pour s'adresser directement à elle :
- Je n'ai rien pu faire, il était trop tard.
Déjà les Champenois commentaient l'événement en se racontant avec passion ce qu'ils avaient vu mais Henri, après échangé un regard indéfinissable avec Sybille, se retourna vers un Lochois dont il n'avait jamais fait l'effort de retenir le nom :
- Aide-moi à porter ton maître.
Ensemble, ils soulevèrent le corps qui laissa derrière lui une trace rougeâtre alors que les gens de Châteauroux se chargeaient de la bête qui, effondrée sur le sol, paraissait comme une marionnette désarticulée et n'avait plus rien d'effrayant. En une longue marche funèbre, seulement rompue par les conversations des vassaux de Henri et les premières inquiétudes des Lochois, notamment en ce qui concernait la succession. Mené par un homme de Sybille, on parvint jusqu'à la fameuse clairière où on ne les attendait pas avant le midi mais les faucons tournoyant avaient prévenu de leur arrivée. Henri sentit plus qu'il ne vit Aymeric courir vers eux pour voir quelle prise on avait fait mais il ordonna d'un ton sec à des dames qui se couvraient la bouche avec horreur de le tenir à l'écart pour lui épargner cette vue. Le petit garçon chercha bien à protester mais Jehan d'Ambrault qui semblait avoir compris en un éclair ce qui s'était produit l'éloigna sans lui permettre de discuter. Henri déposa sans réelle précaution le corps à terre – après tout, il était mort et se redressa pour chercher une manière de se laver les mains.
- Je suis désolé, ma dame, affirma-t-il vers Sybille alors que dame Quéruel se précipitait pour lui essuyer les paumes avec un linge mouillé et lui demandait avec empressement s'il était blessé, j'ai perdu le contrôle de ma monture et le seigneur de Loches, trop prompt à vouloir se couvrir de gloire, a préféré l'attaquer seul.
- Dieu aura puni sa témérité, souffla dame Quéruel.
Henri voulut chercher Gauthier du regard pour appuyer ses dires mais il le vit en grande conversation avec une servante de Châteauroux qui lui soignait ses griffures et avec laquelle il alternait mine de souffrance et grands gestes pour décrire sa bataille. Devant lui, Sybille paraissait peu convaincue par cette version de l'histoire mais Henri ne pouvait lui en tenir rigueur mais il importait de conserver la face devant les vassaux de celui qui avait tué et qui, loin de se demander comment ils pourraient rendre les derniers hommages à leur maître, semblaient bien prompts à se demander qui allait hériter de ses possessions puisqu'il était sans fils.
- Que pensez-vous de rendre le corps à celui qui l'avait envoyé ici ? Proposa Henri, non sans mesquinerie, il lui accordait visiblement la plus grande confiance pour vouloir vous voir l'épouser et vous confier entre ses mains, il voudra lui faire de grandioses funérailles, je n'en doute pas. Quel malheureux destin que de celui que de laisser la vie alors qu'on pense atteindre à la réjouissance suprême !
L'ironie était à peine perceptible dans son ton. Il poursuivit après avoir remercié la dame Quéruel qui ne semblait pas vouloir trop s'éloigner comme si elle craignait que Henri ne subisse le sort de son rival :
- Ne pensez surtout pas que vous êtes une mauvaise hôtesse, c'est là chose courante, hélas, pour les seigneurs qui se montrent peu prudents avec des bêtes plus féroces et plus opiniâtres qu'eux. Cela est même arrivé à notre bon roi Louis V, après tout...
Le jeune homme se détourna de son interlocutrice et eut un regard pour le corps reposant à terre, bien abîmé par les blessures infligées par l'ours, se mordant la lèvre pour ne pas ébaucher un sourire. Échec et mat, il avait gagné.
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MessageSujet: Re: Qui va à la chasse peut y perdre plus que sa place / Henri & Sybille   Qui va à la chasse peut y perdre plus que sa place / Henri & Sybille EmptyJeu 4 Juil - 22:08

Sybille de Déols  a  dit:
La jeune dame de Déols savourait volontiers ces parties de chasse, tant par intérêt pour l’exercice que parce qu’elles lui donnaient la sensation de pouvoir s’échapper, quelques instants au moins, de son rôle de châtelaine, et de quitter le masque distant qu’elle s’imposait, et ce plus encore lorsqu’elle recevait des seigneurs aux arrières pensées si évidentes que celles d’Henri de Champagne et de Geoffroy de Loches. Elle n’avait nul besoin de ruser, ou de dissimuler lorsqu’elle se saisissait d’une pique pour se mesurer à l’une des nombreuses proies qu’offraient les riches et surprenants domaines de Déols, et c’est sans avoir à redouter d’éventuelles conséquences qu’elle portait les coups qu’elle souhaitait, jusqu’à abattre froidement son adversaire. Sans doute était-ce dans ces moments là qu’elle ressemblait véritablement à son père, dans sa façon de chasser que l’on pouvait retrouver les instincts meurtriers du guerrier qu’avait été – et était toujours, disait-on, puisqu’il refusait de livrer les places qu’on lui réclamait – Sulpice d’Amboise, des moments qui laissaient supposer quel combattant elle aurait été si elle était née homme et n’avait pas eu pour se battre que sa terrible opiniâtreté, sa volonté sans faille et une assurance obstinée, qui lui permettaient d’affronter des adversaires auxquels n’importe qui n’aurait pas jugé bon de se mesurer si frontalement. Un caractère bien déroutant pour qui ne connaissait pas la jeune dame dont l’apparence fluette, juvénile même aux yeux de certains, angélique pour les plus naïfs, ne laissait en aucun cas présager quelle chasseresse elle était réellement, et une chasseresse qui donnait la mort avec une indifférence digne des grands hommes qu’enfant, elle voyait s’entretuer sous les murailles du château d’Amboise. Ainsi, il n’était pas rare de la voir se laisser aller à un coup d’éclat lorsque son père, son époux, puis elle-même conviaient quelques seigneurs à une chasse, ce qu’elle faisait toujours avec une certaine fierté et une malice non-dissimulée, auxquelles s’ajoutait ce jour-là une volonté de montrer qu’elle était bien chez elle, et qu’elle commandait, ce que le seigneur de Loches comme le comte de Champagne semblaient avoir oublié dans le petit duel qu’ils se livraient. C’est bien ce que son sourire, sa tête haute et son air vainqueur voulaient rappeler lorsqu’elle se tourna vers les seigneurs à la traîne, qui ne la rejoignirent que lorsque le cerf se fut effondré sans même un dernier râle, et s’arrêtèrent face à elle avec force commentaires et exclamations. Elle les observa tous depuis sa place, et tandis qu’elle lançait sa pique à Amaury d’Issoudun, son sourire victorieux se mua en une de ces moues dont elle avait le secret et qui témoignait assez des pensées diverses qui lui virent à l’esprit lorsque son regard perçant fit le tour des visages qui se trouvaient à portée de vue. Elle laissa à leurs remarques les offusqués qui ne comprenaient pas qu’une dame les accompagne, et qu’elle se permette un tel éclat, passa rapidement sur les gens de Châteauroux qui s’échangeaient quelques commentaires admiratifs, et s’attarda avec plus de curiosité sur les cavaliers champenois à la bonne humeur si suspecte et sur leurs rivaux lochois, qui ne savaient visiblement que penser de tout cela. Enfin elle dévisagea un instant Geoffroy qui se confondait (peut-être même trop obséquieusement) en compliments et s’arrêta sur les traits d’Henri éclairés par son éternel large sourire qu’elle se prenait parfois à guetter pour l’observer à la dérobée lorsqu’il faisait briller ses yeux bruns.
« Tout cela est dû à votre meilleure connaissance des lieux, évidemment, lança-t-il lorsqu’elle fit remarquer aux seigneurs et à leurs vassaux qu’ils s’étaient laissés distancer. J’attends quant à moi de me mesurer à des bêtes féroces, le seigneur de Loches m’a donné envie de me mesurer à lui ! »L’on entendit un murmure satisfait à cette remarque, car le jeune comte n’était visiblement pas le seul à avoir hâte d’en découdre, mais Sybille, quant à elle, se contenta d’un regard redevenu suspicieux, car elle voyait dans ces quelques mots beaucoup trop de sens possibles – contrairement au seigneur lochois qui, lui, hocha vigoureusement la tête, visiblement piqué par le défi du comte, laissant la jeune dame se demander si elle était réellement la seule à se douter que quelque chose se préparait, et quelque chose de probablement inquiétant. Elle n’eut cependant pas le temps de se poser plus de question, car une fois le cerf chargé sur les montures prévues à cet effet, la troupe se remit en marche, et elle se trouva de nouveau flanquée de ses deux invités.
 
Ce retour à une situation normale fut de courte durée. Alors que les conversations s’apaisaient pour laisser place à la concentration, et à la traque, la dame de Déols vit soudain Geoffroy et Henri prendre de l’avance, et la distancer. Elle aurait volontiers talonné sa monture pour les rattraper, mais quelques cavaliers se glissèrent entre elle et les deux seigneurs, et voyant apparemment quelque chose dans le sous-bois, ralentir l’allure afin de s’assurer qu’il ne s’agissait pas d’une potentielle proie, de sorte que le Lochois et le comte eurent une bonne longueur d’avance sur le reste de la troupe en quelques minutes seulement, sur un sentier peu praticable. Sybille, qui chevauchait désormais de concert avec Amaury d’Issoudun et un autre seigneur des environs, Eudes de Valençay, fronça les sourcils mais les cavaliers parmi lesquels elle se trouvait désormais progressaient plus lentement sur le chemin, et elle n’eut d’autre choix que de prendre son mal en patience tandis que disparaissait au loin la silhouette d’Henri, lui-même devancé par son rival.
« Je n’ai pas eu l’occasion de vous féliciter, ma dame, pour votre belle prise, nous avons tous été impressionnés ! tenta le sieur de Valençay pour relancer la conversation, visiblement ravi d’avoir réussi à se placer aux côtés de Sybille. Connaissez-vous les domaines de Valençay ? On y trouve également du beau gibier.
- Ah oui ? répondit vaguement la jeune dame, la tête ailleurs. Je n’ai jamais eu l’occasion de m’en rendre compte.
- Oh, vous pourriez ! Par ailleurs, je pense que vous vous y plairiez, ce sont de bonnes terres, juste à la frontière de votre domaine…
- Je sais où se trouve Valençay, rassurez-vous.
- Bien sûr, répondit très vite le seigneur, mais je pense que vous gagneriez à vous y rendre, je pourrais vous y accueillir bien volontiers, et si je puis me permettre, il y a longtemps que je souhaite vous dire que… »
Le malheureux Valençay ne put aller plus loin : soudain, les bruits d’une cavalcade effrénée attira l’attention des cavaliers qui s’arrêtèrent pour voir brusquement jaillir des frondaisons un cheval effrayé. On poussa forces exclamations lorsqu’il s’avéra qu’il s’agissait de la monture de Geoffroy de Loches, et qu’elle était blessée, en témoignait une plaie béante et sanglante sur son encolure, si bien que les deux hommes de Châteauroux qui tentèrent de reprendre le contrôle de l’étalon durent se débattre un petit moment avant de pouvoir récupérer les rênes sans risquer une morsure ou un coup de sabot (sabots auxquels l’un des garde n’avait pu échapper). On avait à peine réussi à calmer quelque peu la monture qu’un cri se fit entendre dans le lointain, et soudain, tous se figèrent.
« Les seigneurs de Champagne et de Loches sont partis bien en avance… souffla Amaury, traduisant ainsi la pensée de tous les cavaliers. »
Sybille glissa un regard aux Champenois, qui échangeaient quelques commentaires entre eux, puis reprit les choses en main. Elle intima à Valençay et un garde de rester avec la petite troupe, puis accompagnée d’Issoudun, s’élança au galop sur le sentier que semblaient avoir suivi les deux seigneurs, sentier de plus en plus escarpé et dangereux à mesure que l’on y avançait. La jeune dame, quoi que prudente, talonna plusieurs fois sa monture, de plus en plus persuadée que ses soupçons n’étaient pas vains. Les conciliabules nocturnes du comte, la bonne humeur suspecte de ce dernier et de ses hommes malgré l’affront de la veille, les anecdote incluant un roi mort et une partie de chasse, et maintenant, le cheval de Loches blessé et un hurlement dans le lointain : il aurait fallu être stupide pour ne pas redouter un accident.
 
De fait, Sybille eut rapidement confirmation de ses craintes. Au bout de quelques minutes de course, Amaury et la jeune dame débouchèrent sur un passage rocheux, dans lequel se dressaient déjà plusieurs cavaliers parmi lesquels elle reconnut quelques uns des hommes partis avec les rabatteurs afin de ramener le gibier vers le reste du groupe. A leur arrivée, plusieurs d’entre se retournèrent, et à la vue de la maîtresse des lieux, on laissa un passage se créer de sorte que lorsqu’elle s’arrêta, elle put découvrir toute la scène. Elle vit d’abord le fameux Gauthier de Brienne en finir avec un ourse de taille imposante, même s’il semblait blessé au bras, accompagné de quelques uns des rabatteurs. Enfin, de l’autre côté, se trouvaient Henri, penché au-dessus d’une forme sanglante qui ne ressemblait plus que vaguement au seigneur de Loches. A la vue du sang dont était couvert le comte de Champagne, Sybille ne put empêcher une vive inquiétude de se peindre sur ses traits figés, et sauta à bas de son cheval. Un éclair de lucidité lui permit de retenir les quelques mots qu’elle s’apprêtait à lancer, croyant le jeune comte blessé, et elle avait finalement tout à fait repris ses esprits lorsque celui-ci se redressa, et qu’il s’avéra qu’il ne s’agissait pas de son sang mais de celui de Loches. Dissimulant habilement un léger soulagement, Sybille fit alors quelques pas, et posa un regard froid sur la dépouille défigurée et sanglante de ce qui avait été Geoffroy de Loches.
« Je n’ai rien pu faire, il était trop tard, lui assura Henri, alors qu’elle se tournait vers lui. »
La jeune dame plongea un instant son regard dans celui du comte. A première vue, il semblait évident que l’ours avait eu raison de Loches, mais pas un instant, elle ne crut à l’incident. Et il lui suffit d’échanger une œillade avec le jeune homme qui lui faisait face pour être certaine que le hasard et les aléas de la chasse n’étaient pas les seuls à blâmer pour cette mort somme toute bien utile.
« Dieu ait son âme, souffla-t-elle pour toute réponse. »
Là-dessus, elle se détourna, et fit un geste pour qu’on s’occupe du cadavre mais déjà, le comte interpellait un des hommes de Loches pour l’aider à le transporter jusqu’à la clairière où les attendaient les dames et leurs faucons. Sybille arqua un sourcil mais se garda de tout commentaire, à l’inverse du reste de la troupe dans laquelle on ne se priva pas de raconter l’événement en ignorant la mine sombre des Lochois qui s’inquiétaient visiblement déjà de questions d’héritage et de succession, et que l’on put voir discuter entre eux de plus en plus vivement sans un regard ou à peine vers la dépouille de leur maître. La dame de Déols les dévisagea un instant, songeant que Geoffroy ne manquerait décidément à personne, excepté sa famille et peut-être son propre maître avec lequel elle se prévoyait déjà quelques démêlés, car il était évident qu’Henri Plantagenêt ne se laisserait pas convaincre si facilement que son vassal n’avait succombé qu’à un malheureux accident de chasse qui impliquait une dame qui lui résistait avec acharnement et un rival concernant les terres de Châteauroux. Et dire que Sybille ne voulait plus rien avoir à faire avec le duc de Normandie, le père de son second fils, mais également un petit présomptueux qu’elle en était venue à considérer comme un ennemi personnel – à ménager, certes, mais ennemi tout de même, et ce d’autant plus depuis qu’il tentait de la marier à Loches. Voilà au moins quelque chose qu’il ne pourrait plus faire.
 
Les commentaires que l’on s’échangeait dans la clairière tirèrent la dame de ses pensées, commentaires qui se changèrent rapidement en exclamations horrifiées de la part des dames qui purent tout d’abord distinguer Gauthier de Brienne et son bras en sang (quoi que celui-ci ne s’attardât pas auprès d’elles) puis le comte de Champagne et un Lochois qui portaient la dépouille sanglante du seigneur malchanceux. Une voix enfantine et bien reconnaissable se fit également entendre, mais au même instant exactement qu’Henri, Sybille ordonna aux dames présentes de retenir Aymeric, et lança un regard appuyé vers Jehan d’Ambrault qui renonça à s’approcher pour l’heure et se chargea du petit garçon malgré ses plaintes. Une fois seulement qu’elle fut certaine qu’on l’avait assez éloigné, la dame de Déols mit à nouveau pied à terre, confiant les rênes de sa monture sans lui jeter un regard à Valençay qui s’était précipité pour l’aider à descendre.
« Je suis désolée, ma dame, lui lança alors Henri qui tentait de se débarrasser du sang dont il était à moitié couvert sous les yeux affolés de dame Quéruel, j’ai perdu le contrôle de ma monture et le seigneur de Loches, trop prompt à vouloir se couvrir de gloire, a préféré l’attaquer seul.
- Un regrettable accident, en effet… marmonna Sybille en ignorant les commentaires de dame Quéruel alors que son regard passait du comte aux Lochois qui commençaient à se disputer sur la succession de leur maître. Un accident qui nous laisse un corps sur les bras, ajouta-t-elle en levant les yeux au ciel, visiblement agacée, sans prendre la peine de feindre du chagrin ou du regret, pas plus que son expression ne pouvait laisser songer au comte de Champagne qu’elle croyait un mot de son histoire.
- Que pensez-vous de rendre le corps à celui qui l'avait envoyé ici ? Il lui accordait visiblement la plus grande confiance pour vouloir vous voir l'épouser et vous confier entre ses mains, il voudra lui faire de grandioses funérailles, je n'en doute pas. Quel malheureux destin que de celui que de laisser la vie alors qu'on pense atteindre à la réjouissance suprême ! »
La dame de Déols hocha la tête, mais n’en haussa pas moins un sourcil, et dévisagea un instant Henri qui ne se donnait pas plus de peine qu’elle pour avoir l’air totalement innocent, même si elle était visiblement la seule à se douter de quoi que ce soit.
« Il n’était visiblement pas digne d’une telle confiance, intervint Amaury d’Issoudun avec un sourire vaguement moqueur, prompt défendre sa dame contre les insistances du Lochois.
- Veillez à ce que ses compagnons prennent sa dépouille en charge, se contenta de répondre Sybille en s’adressant à Jehan qui les avait rejoint après avoir confié Aymeric à quelques dames de Châteauroux. Nous n’allons pas nous en encombrer ici, et je doute que ces seigneurs (elle désigna les Lochois) aient envie de s’attarder plus longtemps désormais, ajouta-t-elle, songeuse.
- Ne pensez surtout pas que vous êtes une mauvaise hôtesse, lança alors le comte de Champagne, c'est là chose courante, hélas, pour les seigneurs qui se montrent peu prudents avec des bêtes plus féroces et plus opiniâtres qu'eux. Cela est même arrivé à notre bon roi Louis V, après tout...
- Quel terrible hasard, n’est-ce pas le roi que vous évoquiez tout à l’heure ? répliqua-t-elle avec ironie. Le seigneur de Loches n’était certes pas roi, il avait bien autre chose en tête que du gibier…. »
Et c’est sur un dernier regard appuyé en direction du comte qu’elle se dirigea vers l’escorte lochoise afin de leur adresser quelques paroles de circonstances et de s’assurer qu’ils repartiraient bien avec le corps.
 
Elle discuta quelques instants avec eux, avant d’être interrompue par Aymeric qui avait réussi à échapper à la surveillance des dames (heureusement, on avait réussi à dissimuler vaguement la dépouille) et courait vers sa mère demandant à voir l’ours. Il la tira si bien par la main qu’elle dut céder et abandonna les Lochois qui semblaient de toute façon plus préoccupés par leur dispute pour suivre son fils vers le petit groupe qui s’était formé autour de l’ours et de Gauthier de Brienne qui, après avoir été soigné avec beaucoup d’attention par Cyrielle, se faisait un plaisir de montrer ses blessures en décrivant sa longue bataille avec la bête féroce et assoiffée de sang sur laquelle il avait désormais le pied. Sybille esquissa un vague sourire avant de réaliser qu’Aymeric l’avait ramenée auprès d’Henri, lui aussi à proximité de l’ours.
« Les dames disent que vous aussi vous avez combattu l’ours, mon parrain ! lança le petit garçon en ouvrant de grands yeux, avant de poursuivre dans un babillement plein de questions et d’exclamations admiratives. »
La dame de Déols, voyant qu’on se préparait à repartir puisque la chasse avait visiblement tourné court, voulut aller s’en préoccuper quand la silhouette de Valençay se dessina à ses côtés, et comme Aymeric, quoi qu’il discutât avec Henri, n’avait toujours pas lâché sa main, elle se tourna vers lui.
« Vous vouliez me parler de quelque chose, monseigneur ? demanda-t-elle en se souvenant vaguement de leur conversation interrompue. »
Mais l’homme semblait avoir perdu de sa superbe et à cette question, il pâlit légèrement et en jetant un regard à la fois méfiant et effrayé vers le comte de Champagne, balbutia quelques mots incompréhensibles avant d’assurer qu’il ne s’agissait de rien d’important. Sybille, qui se doutait des vues du seigneur sur sa mains et ses terres, arqua un sourcil, dévisagea un instant Henri, puis le laissa balbutier seul en songeant, non sans ironie, que cet « accident » aurait peut-être pour mérite de lui apporter un peu de paix pour les semaines à venir au moins. Après tout, elle n’avait que faire d’une réputation de veuve noire s’il fallait cela pour qu’on la laisse disposer de ses domaines à sa guise, car si personne (excepté Valençay) n’avait l’air de se douter de la responsabilité d’Henri et de ses hommes,  c’est toujours en voulant lui demander sa main que Loches était mort.
« Ma dame, ma dame ! appela soudain un garde qui accourrait (et semblait tout juste sortir de la forêt, ce qui commença à inquiéter Sybille sur l’incapacité de ses hommes). J’ai tout vu, je peux dire tout ce qui s’est passé ! »
A ces mots, un murmure secoua l’assemblée qui se détourna même de Gauthier pour porter son attention sur le garde essoufflé. La dame de Déols resta surprise un instant, puis ayant encouragé l’homme à parler, glissa un regard à Henri semblait soudain avoir pâli.
« J’étais dans le groupe des rabatteurs, mais je… je suis resté à l’écart, et j’ai vu le comte de Champagne et le seigneur de Loches seuls s’attaquer à l’ours ! Ils ont combattu bravement, mais la bête était féroce et c’est elle qui a attaqué le seigneur de Loches. C’est l’ours qui l’a tué ma dame ! »
Et le garde fier d’avoir attiré l’attention de continuer en encensant littéralement la bravoure du comte et de son compagnon de Brienne qui s’étaient porté respectivement au secours du Tourangeau et contre l’ours. Sybille le dévisagea froidement, en songeant qu’elle avait face à elle un naïf, doublé d’un imbécile.
« Merci, le coupa-t-elle, nous avons déjà eu cette histoire. Il est temps de rentrer à présent. »
A nouveau, elle se tourna vers Henri, lui lança un regard entendu, et présida au départ. Il était en effet plus que temps de rentrer, de se débarrasser des Lochois dont les disputes ne présageaient rien de bon et éventuellement, de tirer les choses au clair.
 
Le retour fut rapide, malgré ce que l’on avait à transporter, et bientôt les murailles de la forteresse s’imposèrent aux chasseurs qui n’avaient comme prises qu’un cerf, un ours, un menu gibier ramené par les faucons et un seigneur à la dépouille méconnaissable. On laissa les domestiques s’occuper des premiers, et les gens des Lochois prendre soin du second car faute de pouvoir se mettre d’accord sur des questions de succession, les chevaliers du cadavre avaient au moins décidé qu’il convenait de le ramener avec eux afin de lui faire les funérailles qu’il méritait, sans apporter plus de précision d’ailleurs sur ce qu’ils pensaient des mérites de leur seigneur. Ayant envoyé des émissaires en avance prévenir de leur départ, ils furent rapidement prêts à quitter Châteauroux, au plus grand soulagement de Sybille qui, en voyant l’escorte s’éloigner, se sentie libérée d’un poids qui ne viendrait plus l’encombrer. Restaient les Champenois, en plein préparatifs de départ également, malgré les récriminations d’Aymeric qui réclamait à grand renfort de moues boudeuses les quelques passes d’arme que lui avait promis son parrain, et celles de Guillaume qui avait fini par échapper à sa gouvernante et jugeait visiblement bon d’imiter son grand frère. Ils se trouvaient alors dans la grande salle dans laquelle s’était tenu le banquet qui avait mené à la perte de Loches. La dame de Déols, assise sur une fauteuil, observait les deux enfants du coin de l’œil, songeuse. Elle ne doutait pas un instant de ce qui s’était véritablement passé dans la forêt, quoi que les blessures de Loches plaidaient assez ouvertement pour la responsabilité de l’ours. Elle n’avait pas la moindre envie de savoir comment le comte et ses hommes s’y étaient pris pour parvenir à leurs fins alors qu’une chasse reposait sur tant de paramètres aléatoire, en revanche elle se prit à penser qu’il lui faudrait découvrir d’où Henri tirait ses informations, ce à quoi elle décida de s’atteler dès le départ du jeune homme et de son escorte. Ce qui l’intriguait le plus, c’était jusqu’à quel point les choses avaient été planifiées, mais c’était hélas une question à laquelle elle savait qu’elle n’aurait pas réellement de réponse. Elle finit néanmoins par se lever pour se diriger vers Henri que ses deux enfants avaient fini par retrouver. Elle les envoya à la recherche de Phénix qu’on  n’avait pas vu depuis quelques minutes et d’un regard, signifia à Jehan qui s’approchait qu’il pourrait revenir lui parler plus tard.
« Vous nous quittez bien vite, après un si grand détour pour vous rendre sur les terres de votre frère, lança-t-elle au comte alors lorsqu’ils furent seuls. On croirait presque que vous n’avez le déplacement que pour assister aux événements d’aujourd’hui. »
Elle esquissa un rictus, le temps pour un jeune domestique de passer devant eux, visiblement à la recherche de quelques chose, tandis que Guillaume et Aymeric tentaient, à quelques pas de là, de débusquer le chaton roux de sa cachette.
« J’espère que vous ne traitez pas tous les affronts, ou tout vos rivaux de la même façon, reprit-elle, brusquement plus sérieuse. Et que vous savez avoir l’air plus innocent. »
Sybille se tut à nouveau, interrompu par un jeune homme qui vint annoncer à Henri qu’ils étaient prêts à partir, puis profita d’un dernier instant de répit pour lui glisser :
« Je dirai à votre cousin Plantagenêt qui ne manquera pas de me demander des comptes que vous le saluez. »
Là-dessus, elle s’arma de l’un de ses sourires indéfinissable puis raccompagna le comte et ses compagnon jusqu’à leur monture, non sans surprendre le regard entendu que Cyrielle semblait lancer à Gauthier de Brienne, déjà monté sur son cheval malgré son bras blessé. Là encore, c’est songeuse qu’elle observa la petite troupe champenoise s’éloigner, avant de s’en retourner à ses appartements et, lasse, de se laisser tomber sur son lit. Du coin de l’œil, elle vit le bestiaire que l’on avait déposé sur un pupitre de bois, ouvert à la page où on l’avait consulté la veille, et malgré son agacement devant les évènements de la journée, esquissa un sourire, avant de laisser sa tête retomber sur la couverture. Une chose, une fois de plus, était évidente : dans cette petite joute qu’ils se livraient, Henri de Champagne et Sybille de Déols étaient loin d’en avoir terminé.
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Henri de Champagne

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MessageSujet: Re: Qui va à la chasse peut y perdre plus que sa place / Henri & Sybille   Qui va à la chasse peut y perdre plus que sa place / Henri & Sybille EmptyLun 8 Juil - 1:10

Henri de Champagne  a  dit:
Il avait finalement suffi d'une rencontre avec le souverain des forêts prêt à tout pour défendre chèrement son territoire pour que la chasse organisée par la dame de Déols bascule dans l'horreur – même si Gauthier de Brienne à quelques pas de son seigneur, le comte de Champagne, soulignait avec d'autant plus de complaisance la noirceur de la toison de l'ours, sa haute stature et ses griffes acérées comme si c'était là un démon réincarné que c'était lui qui avait mis fin à son règne de terreur. Peu de temps auparavant, encore, on plaisantait, le cœur léger, du moins du côté des Champenois car c'était plutôt la concentration et la perplexité qui dominaient respectivement chez les vassaux de Geoffroy de Loches et ceux de Sybille de Déols. Rien ne semblait pouvoir laisser présager que c'était la mort que l'un des chasseurs allait finir par débusquer derrière des fourrés et qu'elle allait frapper d'un geste sûr – aussi sûr qu'une dague que l'on enfonce dans la gorge de l'un de ses ennemis, car elle était connue pour être impitoyable cette mort que l'on trouvait aussi bien aux côtés des berceaux que des longues files de pèlerins qui se rendaient à Saint-Jacques ou Jérusalem, compagne silencieuse mais toujours bien présente ce qui expliquait peut-être pourquoi ni la surprise ni la tristesse ne se lisaient sur aucun des visages qui se penchaient sur le corps déformé de celui qui avait été seigneur de Loches. Étrange de penser que la veille encore, l'homme en question s'imaginait trôner à la place qui avait été celle d'Abo de Déols et régenter ces terres où il était finalement mort en étranger, comme si on avait voulu se débarrasser de l'intrus avant qu'il ne tente vraiment d'exercer sa poigne sur les environs. Si aucun signe clair n'avait indiqué que c'était là le destin de Geoffroy, ce n'était pas entièrement le hasard qui avait permis d'arriver à cette conclusion qui rappelait à chacun à quel point sa propre existence était fragile car on avait tout fait pour mener le seigneur de Loches, le protégé du comte d'Anjou jusqu'à cette mort, jusqu'à ce qu'il se mette en tête de la combattre et la véritable leçon que bien peu dans la petite troupe étaient capables de tirer était sans doute qu'il ne fallait pas s'en prendre aussi ouvertement au comte de Champagne car on risquait de le payer très cher. Parmi ces derniers, Sybille de Déols faisait planer son regard bleu impérieux sur la scène qui l'entourait et Henri de Champagne se sentit plusieurs fois observé avec suspicion par la maîtresse des lieux. La jeune dame avait pourtant gardé le contrôle un certain temps et avait rappelé à tous qu'elle se trouvait chez elle en tuant ce cerf de sa main sans trembler un instant mais la situation avait fini par lui échapper au profit d'un bal savamment orchestré par les vassaux du comte, une pièce de danse dont on avait élaboré les pas dans la nuit, au clair de lune, autour d'une seule bougie et qui l'avait laissée à l'écart ce qu'elle ne devait guère apprécier comme Henri l'imaginait pour l'avoir visitée à plusieurs reprises depuis deux années et en conséquence la connaître assez bien. Tout comme elle n'allait pas apprécier de devoir assumer les conséquences de cette farandole mortelle. Quelle était la part de hasard dans le décès tragique du seigneur de Loches ? Était-ce déjà tout écrit et tout décidé ou les actes des hommes pouvaient-ils infléchir les décisions divines ? Henri de Champagne l'ignorait mais ces questions étaient désormais loin de ses préoccupations immédiates, il aurait grand temps de se repentir quand il devrait face à un Bernard de Clairvaux qui lui rappellerait qu'un bon seigneur ne se met jamais en colère, qu'un bon chevalier respecte Dieu et ne s'en prend jamais aux innocents et qu'un bon comte se montre toujours bon et juste, tous ces commandements qu'il avait juré de respecter et qu'il venait de bafouer par honneur et peut-être également pour quelque chose de plus fort sur lequel il ne parvenait pas à mettre de mots mais qui le poussait toujours à se mettre à son avantage sous les yeux de Sybille de Déols et qu'il imaginait devoir aux intérêts de son frère. Cruel aveuglement qui n'aurait pas fini de leur causer des problèmes mais en cet instant précis où la troupe des chasseurs parvenaient à la clairière où les dames s'étaient rassemblées et où on avait déposé le corps sans vie du Lochois, Henri ne songea qu'à un seul sentiment qui dominait sur les autres, celui de son triomphe.

Après les réactions horrifiées des dames devant le cadavre couvert de sang, le calme revint rapidement parmi les convives qui rangeaient rapidement matériel de chasse car celle-ci venait visiblement d'être écourtée par la force des choses et il convenait désormais de rentrer à Châteauroux, le moment d'insouciance était passé. Malgré les circonstances, les Champenois demeuraient légers et entouraient à la fois leur comte qui essuyait ses mains sanglantes et assassines à l'aide de dame Quéruel et Brienne qui contait ses exploits à qui voulait l'entendre sans paraître se rendre compte que tout le monde n'avait pas eu la chance de recevoir de simples égratignures de la bête en question, formant une sorte de garde rapprochée sans en avoir l'air, face à des Lochois qui n'avaient que faire d'une éventuelle vengeance visiblement car ils paraissaient bien plus inquiets par l'absence d'héritier à Geoffroy et se demandaient ouvertement qui le comte d'Anjou allait nommer à sa place. Pendant un court instant, le regard de Henri de Champagne se promena sur ses fidèles qui étaient devenus tous ses complices, plus ou moins consciemment. Pour quelqu'un qui administrait un comté aussi grand que le sien, s'il pouvait se plaindre de défections et de trahisons, surtout sur les frontières avec l'empire de Conrad, il avait la chance d'avoir des compagnons jeunes et dévoués, l'ayant accompagné à la guerre contre Louis VII ou en croisade pour la plupart, prêts à embrasser les vues de leur seigneur corps et âme, sans les discuter, sans s'inquiéter de leurs péchés. Sans compter qu'ils venaient de prouver qu'ils étaient particulièrement doués pour être parvenus à leurs fins sans qu'aucun grain de sable (et il en aurait pourtant suffi d'un seul, aussi fin que ceux que l'on trouvait en terre sainte) ne vienne stopper la mécanique qu'ils avaient mis en route. L'unique grain de sable qui aurait pu stopper les événements, Henri l'avait sous les yeux et Sybille de Déols n'avait pas particulièrement l'air attristée par ce qui venait de se passer, seule une moue ennuyée tordait ses lèvres rosées. Depuis qu'il s'était tourné vers elle pour lui adresser quelques mots dans l'escarpement rocheux où Geoffroy et son agresseur avaient été tués, Henri avait cherché à lire les sentiments de la jeune femme dans ses prunelles si claires et pourtant si difficiles à déchiffrer. Ce n'était pas la première fois qu'il regrettait de ne pas pouvoir lire aussi facilement en elle et de ne pas parvenir à savoir ce qu'elle pensait réellement car Sybille s'était fait un point d'honneur à souffler le chaud et le froid, à avancer d'un pas pour reculer aussitôt et à arborer des expressions froides qui ne laissait que vaguement percevoir ce feu qui pouvait brûler en elle, visible uniquement quand son masque se fissurait à l'image du moment de la chasse au cerf et de sa découverte du manuscrit qu'il lui avait offert, même si après tout, c'était cette capacité-là qui faisait tout le charme de la jeune femme et la rendait exceptionnelle. Mais bien qu'il se soit attaché à la fixer droit dans les yeux, sondant ses intentions, il ne put déceler en eux aucune trace de déception ou de larmes et cela le rasséréna, peut-être plus que cela n'aurait dû. Clairement, Geoffroy s'était fait des illusions sur l'affection que la jeune femme aurait pu lui porter et sur leur éventuelle alliance, expliquant sans doute qu'elle ait laissé la chasse se dérouler selon les plans des Champenois sans protester ou paraître s'inquiéter. Elle avait été la seule à pouvoir l'empêcher mais elle s'était laissée déposséder de la maîtrise de la situation, peut-être plus volontiers qu'elle-même ne le pensait.  La seule lueur qui semblait briller dans ces yeux bleus, à part l'ennui, c'était celle du soupçon qui ne put que se renforcer au fur et à mesure où Henri lança des phrases moqueuses et ironiques à l'encontre de son rival.

Henri de Champagne n'était en effet pas particulièrement prudent mais seule Sybille de Déols et peut-être quelques-uns de ses vassaux l'écoutaient tandis que les autres commentaient avec animation si bien qu'il se sentait porté par l'adrénaline qui retombait petit à petit et par cette impression de triomphe. S'il la connaissait assez pour deviner ses sentiments derrière son masque, il supposa qu'il devait en être de même de son côté et qu'elle devait bien se douter de la raison pour laquelle non seulement il s'était rendu à Châteauroux mais aussi il s'était montré aussi joyeux. Il prenait des risques mais il ne pouvait s'en empêcher.
- Quel terrible hasard, n'est-ce pas le roi que vous évoquiez tout à l'heure ? Demanda la dame de Déols lorsqu'il avait évoqué la mort de Louis V dont on s'était ouvertement gaussé au début de la chasse sur une plaisanterie de Gauthier de Brienne, le seigneur de Loches n'était certes pas roi, il avait bien autre chose en tête que du gibier...
- Le hasard en effet, j'espère que nous ne lui avons pas porté malchance, répliqua Henri de Champagne sur le même ton, se rendant bien compte que la jeune femme ne faisait que jouer la dupe mais ne cherchant guère à faire diminuer ses soupçons, ce pauvre seigneur de Loches a eu un destin bien semblable à Louis V après tout, tout deux poursuivaient une jeune lionne bien trop rapide pour eux... Ou plutôt une chimère, poursuivit-il en jetant un coup d’œil appuyée à son interlocutrice, après tout, il est bien glorieux pour lui d'avoir suivi le destin d'un roi, vous pourriez le dire à son seigneur quand il s'affligera de sa perte.
La jeune femme ne chercha pas même à répondre à ce qui ressemblait plus à une provocation qu'à des paroles de deuil et non sans avoir lancé un regard sombre à Henri, elle s'éloigna en direction des Lochois pour assurer ces fameux devoirs d'hôtesse dont Henri lui avait affirmé ne pas y manquer. Le jeune comte, quant à lui, fut entraîné vers Gauthier de Brienne qui racontait une énième fois la version tronquée de l'attaque de l'ours et après avoir écouté quelques instants les paroles grandiloquentes du jeune seigneur champenois, il loua sa capacité à se mettre en avant en oubliant fort fortuitement le rôle joué par le comte de Champagne – dont seule la monture eut le droit à un commentaire car elle était, selon le conteur, « fort rebelle et effrayée par l'ours ». Henri échangea quelques mots avec des dames de sa cour et s'aperçut à peine qu'Aymeric s'était rapproché de lui jusqu'à ce qu'il lui tire la manche pour réclamer son attention.
- Les dames disent que vous aussi vous avez combattu l'ours, mon parrain ! Lança l'enfant qui était émerveillé par la dépouille de la bête et semblait impressionné par les plaies de Gauthier.
Henri dut se mordre la lèvre pour ne pas laisser échapper un rire devant l'incongruité de la remarque et seuls ses yeux pétillants rencontrèrent ceux de Sybille qui tenait la main de son fils même si c'était visiblement plus elle qui se laissait guider avant qu'il ne s'abaisse au niveau du petit garçon pour lui faire la conversation et expliquer qu'il avait chargé l'ours une seule et unique fois, ce qui sembla en tout cas satisfaire Aymeric et lui suffire pour considérer son parrain comme un héros, ce qui était particulièrement ironique du point de vue de la situation.
- Ma dame, ma dame ! Entendit-on soudain à travers la clairière, cri qui semblait provenir d'un garde qui accourrait tout affolé, j'ai tout vu, je peux dire tout ce qui s'est passé !
Les conversations s'interrompirent en quelques instants et tout le monde se tourna vers le nouvel arrivant en se demandant ce qu'il entendait par là. Henri sentit soudain ses mains devenir moites. Il était une chose que la dame de Déols sache plus ou moins qui était le coupable, il en était une autre que de se faire accuser devant toute une assemblée, composée en partie par des vassaux de la victime. Il lança un regard mauvais à Gauthier de Brienne qui haussa un sourcil mi-perplexe mi-désolé, échappant ainsi au coup d’œil de Sybille.
- J’étais dans le groupe des rabatteurs, mais je… je suis resté à l’écart, et j’ai vu le comte de Champagne et le seigneur de Loches seuls s’attaquer à l’ours ! Ils ont combattu bravement, mais la bête était féroce et c’est elle qui a attaqué le seigneur de Loches. C’est l’ours qui l’a tué ma dame !
Le clan champenois se détendit imperceptiblement et quelques sourires moqueurs apparurent sur les lèvres des chasseurs mis au courant. Henri, de son côté, resta impassible mais il se sentait tout de même soulagé car la situation aurait été particulièrement délicate. Au moment où on se détournait du garde en question qui ne comprenait pas pourquoi on ne faisait pas plus de cas de ses informations d'importance, le jeune comte ne put s'empêcher de penser que les gardes de Châteauroux étaient décidément des incapables.

On ne s'était pas tellement éloigné des murailles de la forteresse qui dormait tranquillement sur sa motte, vidée de tous ses occupants les plus bruyants si bien que les chasseurs firent leur retour assez rapidement, à la grande surprise de nombreux serviteurs qui avaient pensé pouvoir passer une journée tranquille. L'atmosphère, même si la mort de Geoffroy n'attristait personne en définitive, avait bien changé depuis leur départ. C'était désormais au pas qu'avançaient les chevaux, tête basse, et toute la joie et l'ambiance de réjouissance avaient définitivement disparu. Le silence avait régné une bonne partie du trajet, parfois coupé par une nouvelle version de la mort de l'ours par Gauthier – à chaque fois, l'ours était plus terrifiant et lui-même plus courageux et héroïque jusqu'à ce que son comte ne lui demande de réserver l'histoire où il faisait seul face à trois ours seulement armé d'un bâton à son retour en Champagne où il ne manquerait pas de faire tomber des dames en pâmoison. Si des rires accueillirent cette demande, Gauthier prit un air boudeur et de nouveau, les jeunes gens demeurèrent muets. Lorsqu'enfin, les hauts murs de la citadelle se renfermèrent sur eux, Henri donna rapidement des ordres pour préparer son départ et celui de ses hommes. Non seulement son frère Étienne devait s'impatienter en attendant leur arrivée à Sancerre mais il n'avait guère envie de s'attarder davantage à Châteauroux après les événements du jour alors que les Lochois s'étaient déjà éclipsés probablement dans le but d'être chacun le premier à aller réclamer le fief de Geoffroy à Henri Plantagenêt. Quand il fut certain que toute sa joyeuse petite troupe était prête à retrouver d'autres horizons même si certains déploraient de partir si tôt alors que l'on s'amusait réellement à cette cour, Henri se dirigea vers la grande salle où l'on avait banqueté pour l'annoncer à Sybille de Déols qui s'y trouvait selon les dires de Jehan d'Ambrault, l'un des rares à avoir pu le renseigner, et lui dire au revoir. La jeune femme était bien là en effet, dans cette pièce qui semblait bien vide sans les tréteaux qui avaient servi à installer les tables et sans le brouhaha qui semblait toujours persister cependant, se répercutant à travers les pierres comme tous les lais qu'on y avait déclamé, dans une agréable cacophonie. En fait de cacophonie, c'était surtout les deux enfants de Sybille qui faisaient du bruit et qui d'ailleurs, arrêtèrent le comte dans son chemin pour aller jusqu'à elle.
- Mon parrain, mon parrain, vous m'aviez promis des passes d'armes, disait Aymeric en sautillant presque sur place, se rendant  compte que cela paraissait bien compromis alors que son jeune frère, Guillaume, renchérissait derrière lui même s'il était haut comme trois pommes.
- Je crains que ce ne soit possible, répondit Henri, désolé, mais vois le bon côté des choses, tu me laisses un répit pour m'entraîner, je crois que j'en ai bien besoin pour te faire face. Guillaume, te plairait-il que je te rapporte une épée de bois à mon prochain passage comme je l'ai fait pour Aymeric ?
Les enfants allaient répondre mais Sybille s'était relevée pour s'approcher et d'un geste, les envoya à la recherche du petit chaton roux si bien qu'après avoir une dernière fois ébouriffé les cheveux blonds du petit dernier, Henri n'eut d'autre choix que de se redresser pour faire face à la jeune femme et plongea son regard brun dans celui bleu de celle-ci :
- Vous nous quittez bien vite, après un si grand détour pour vous rendre sur les terres de votre frère, lança-t-elle avec perfidie.
- Vous m'en voyez navré, ma dame, répliqua Henri sur le ton de la plaisanterie pour ne pas avoir à justifier son détour.
- On croirait presque que vous n’avez le déplacement que pour assister aux événements d’aujourd’hui.
Henri eut un sourire à cette idée, car après tout, c'était presque vrai.
- Vous m'insultez, ma dame, répondit-il néanmoins, comment aurais-je su ce qui devait se produire ? C'est mon filleul que je suis venu voir, et uniquement lui, insista-t-il non sans lui jeter un regard appuyé pour guetter sa réaction.
Elle se contenta d'esquisser une moue avant d'ajouter, abandonnant tout faux-semblants mais retrouvant par là un ton sérieux :
- J’espère que vous ne traitez pas tous les affronts, ou tous vos rivaux de la même façon. Et que vous savez avoir l'air plus innocent.
Sans disparaître, le sourire de Henri se figea et il ouvrit la bouche sans savoir réellement que dire face à une telle attaque quand il fut interrompu par un serviteur venu annoncer que les chevaux étaient tous prêts à partir. Du coin de l’œil, il attendit que le jeune garçon ait disparu pour glisser à son tour, de manière tout aussi sérieuse qu'elle mais le visage toujours illuminé par son éternel sourire, comme pour démentir ses paroles :
- Heureusement, tout le monde n'est pas assez idiot pour faire des affronts au comte de Champagne, n'est-ce pas ma dame ? J'avais pourtant prévenu Loches de ne pas s'attaquer à plus fort que lui et vous valez bien que l'on se batte pour vous. Même si vous nous avez aisément démontré que vous savez très bien achever vos proies.
Il venait d'avouer à demi-mots mais c'était néanmoins un aveu. Il garda un instant le silence, voyant que les enfants s'approchaient, ayant enfin réussi à récupérer leur chat, mais sans baisser un instant le regard ni le menton. Il assumait ce qu'il avait fait, surtout devant Sybille qu'il imaginait et plutôt espérait être satisfaite de ce nouvel état des choses. Sa réputation de veuve noire écartait en tout cas les indésirables.
- Je dirai à votre cousin Plantagenêt qui ne manquera pas de me demander des comptes que vous le saluez.
- Il en sera sans aucun doute ravi, répondit Henri dans un éclat de rire avant de retrouver son sérieux pour lancer : quant à moi, je ne manquerais pas de relater ces événements à mon frère de Blois et de lui passer le bonjour de votre part !

Sur ces paroles aimables, les deux jeunes gens se rendirent dans la cour où les compagnons de Henri, dans un joyeux brouhaha qui lui rappelait le reste du voyage et l'insouciance qui les avait accompagné, étaient déjà sur leurs montures. Le comte salua les enfants en promettant de revenir bientôt puis Sybille de Déols comme si leur conversation n'avait jamais eu lieu ou du moins n'avait pas eu pour sujet ce qui ressemblait tout bonnement à un meurtre. Enfin, il se hissa à son tour en selle et ce fut pour les Champenois le signal du départ, dans un petit trot dynamique. Personne ne se retourna excepté peut-être Gauthier de Brienne pour des raisons très personnelles. Pendant quelques dizaines de minutes alors que le château s'éloignait lentement derrière eux, avec ses mystères et ses secrets, Henri demeura songeur. Il ne craignait ni Henri Plantagenêt ni Sybille de Déols, seulement peut-être de ne pas correspondre à ce que son précepteur avait voulu faire de lui. Mais après tout les intérêts de la famille n'étaient pas supérieurs à tout ? Ne devait-on pas faire des sacrifices pour défendre son honneur et ses couleurs ? Il était inutile de se poser ces questions, il y avait déjà répondu. Le jeune homme fut coupé dans ses réflexions par l'arrivée à ses côtés de la dame Quéruel qui avait poussé sa monture et qui souhaitait visiblement faire la conversation, ravie de retrouver la pleine attention de son chevalier de cœur. En écoutant les discussions animées et l'impatience générale de se rendre à Sancerre pour profiter des banquets et des joutes, Henri se dit que décidément, personne n'aurait pu deviner que le matin même, ils causaient la mort d'un homme. En quelques heures à peine, ils avaient tous retrouvé l’état d'esprit dans lequel ils avaient entrepris ce voyage et le séjour à la cour d'Etienne allait être animée !
- Retournerons-nous bientôt à Châteauroux ? L'interrogea Brienne en s'approchant à son tour, semblant être le seul, avec Henri, à regretter de partir aussi vite.
Le comte de Champagne ne répondit pas immédiatement mais il esquissa un sourire en coin en songeant qu'il lui faudrait bien revenir pour savoir ce que la jeune femme avait pensé du bestiaire qu'il lui avait offert :
- Probablement, Brienne. Pourquoi ? Souhaites-tu donc retrouver rapidement les lieux de ton triomphe ?
En réalité, Henri surtout espérait pouvoir y retourner très tôt mais c'était surtout parce qu'il avait l'impression que la joute qu'il avait entamé avec Sybille de Déols n'était pas terminée.

FIN
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Qui va à la chasse peut y perdre plus que sa place / Henri & Sybille

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