- Un fils monseigneur ! C'est un fils !
Une servante venait de sortir de la chambre de l'accouchée avec un sourire heureux sur le visage. La naissance d'un enfant, et en particulier d'un fils qui pourrait porter l'épée et l'honneur de sa famille, était toujours un événement heureux dans les grandes maisonnées. Mais Emma du haut de ses quatre ans n'en avait pas conscience. Elle ne savait pas pourquoi tout le monde s'agitait ainsi autour de la chambre de sa belle-mère, qui depuis quelques heures s'y trouvait enfermé et poussait des hurlements digne d'un cochon que l'on égorgeait. Chose insupportable pour l'enfant discrète qu'était l'héritière de Beaugency et qui préférait bien largement le calme de sa chambre aux agitations des servantes. La petite fille baissa cependant les yeux, les lèvres et le visage clos, restant auprès de son père : Raoul de Beaugency qui avait le visage beaucoup moins tendu à l'annonce de la nouvelle. Ce dernier demanda d'une voix ferme
- Comment se porte dame mon épouse ?
- Bien monseigneur, elle est simplement épuisée. Mieux vaudrait la laisser se reposer.
Emma les regardait tout deux en fronçant légèrement les sourcils. Elle ne comprenait pas la situation et pourquoi son père semblait avoir été mort d'inquiétude. Jamais elle ne l'avait vu ainsi, ce n'était pas un homme à montrer ses faiblesses sans que la situation ne l'exige. L'enfant mit doucement sa petite main dans celle de son géniteur, puis le regarda sans piper mot. Elle ne comprenait pas, mais elle savait qu'il avait besoin de soutien, elle l'avait ressentit.
- Merci. Nous irons la voir dès demain. Allez coucher Emma, elle verra son frère dès demain.
Un frère ? Depuis quand avait-elle un frère ? Décidemment elle ne comprenait vraiment rien du tout.  


Relevant ses jupes légèrement au-dessus de sa cheville, Emma marchait rapidement dans les couloirs de la demeure, cherchant à rattraper le petit garçon qui venait de quitter la chambre de la morte, les larmes aux yeux. A respectivement six et quatre ans, les deux enfants étaient proches et plus encore depuis que la mère de Lancelot était tombée gravement malade. Les mots de son père restait gravé dans son esprit
- Occupe toi de lui comme sa mère le ferait. Il est ton sang.
La petite fille s'était contentée d'opiner comme elle le faisait habituellement, sans oser contester la demande du seigneur de Beaugency. D'une certaine manière elle l'avait toujours un peu craint, de part sa présence et de part sa stature, cela ne l'empêchait guère de l'aimer et Raoul lui portait une grande affection, même s'il ne le disait jamais. Elle était son héritière après tout.
Emma arriva devant la porte des appartements de son frère et frappa doucement avant d'y entrer et de le prendre contre son coeur tandis que l'enfant se débattait farouchement
- Laissez-moi tranquille Emma !
La douce le serrait pourtant aussi fermement que le pouvait ses bras pâles et frêles tandis que les défenses du bambin se relâchait, se laissant aller au chagrin.
- Je vais m'occuper de vous Lancelot... Je ne pourrais remplacer votre mère, mais je serais capable d'aider père à vous élever.
Et elle tiendrait cette promesse. Occupe toi de lui comme sa mère le ferait. Il est ton sang. Emma ferma les yeux.


- Qu'avez vous donc Emma ? Vous êtes malheureuse de ne pas pouvoir nous accompagner à la chasse ? Si vous étiez née garçon, peut être que père aurait accepté. Mais votre mère était incapable de lui donner un fils visiblement.
Ce petit ingrat, ce petit morveux. N'avait-il donc pas honte de s'adresser ainsi à elle qui l'avait quasiment élevé comme son fils ? La jeune fille avait tenté de retenir cette gifle qu'elle contenait depuis déjà quelques mois, supportant les caprices et les attaques de son frère de 12 ans, se contentant de répondre avec verve. Mais aujourd'hui c'était la phrase et la remarque de trop. Son bras pris de l'élan puis sa main s'écrasa avec violence sur la joue de son petit frère qui, ne l'ayant pas vu venir et surpris de la force de sa soeur, finissait au sol hébété portant la main à sa joue.
- Vous venez de me frapper ?
Emma tremblait tout simplement de rage devant lui, retenant à grand peine des mots qui ne rêvaient que de franchir ses lèvres. Lancelot avait toujours été difficile avec elle, mais il s'était vraiment montré méprisant qu'après avoir eu une discussion en privé avec leur père et elle pensait connaître le sujet de la discussion... Elle n'arrivait pas à lui répondre tandis qu'il se relevait la repoussant s'approchant dangereusement de sa soeur.
- Ne me touchez plus jamais.
La jeune fille lui jeta un regard noir sifflant entre ses dents.
- N'oubliez pas quel est votre place Lancelot. Et à qui vous devrez faire allégeance quand malheureusement père quittera ce monde.
Elle ne lui jetait même pas un regard, ne l'entendait pas répondre tandis qu'elle lui tournait ostensiblement le dos, quittant la cour de la demeure d'un pas rageur.