Halte-là, voyageur ! Dis-nous donc qui est ton maître, et les raisons qui t’ont poussé à lui prêter allégeance ! Est-ce par conviction, par intérêt, par obligation ? En tant que flamande, il me semble logique de voir mon allégeance aller à Thierry d'Alsace et Sybille d'Anjou, mes Seigneurs. Allégeance logique, plus obligatoire qu'autre chose. Que gagnerais-je à m'agenouiller devant d'autres seigneurs que les miens ? Rien. Aussi je préfère rester où je suis et ne point prendre trop de risques pour éviter de me voir mise en porte-à-faux. Vous l'aurez, dès lors, sans doute déjà compris : sous mes dehors de flamande loyale, mon allégeance va avant-tout à ma propre personne.

Si une guerre venait à éclater entre l’Aquitaine, la France, la Normandie et l’Angleterre, que ferais-tu ? Prendrais-tu part au combat ? De quel côté ? Ou bien resterais-tu à l’écart ? Je ferais avant tout ce qui est bon pour moi. Si cela signifie courber l'échine devant des puissances successives, peu m'importe, tant que mes intérêts sont servis. Je sais que quoi qu'il arrive, je suivrais officiellement mon mari, et ferais ce qui me chante officieusement, pour garder toujours un coup d'avance.

Toutes ces alliances, ces mariages… Qu’en penses-tu ? Servent-ils tes intérêts ? Ou chercherais-tu à les rompre ? Ma propre alliance est déjà nouée, et aucune autre ne m'intéresse véritablement, tant qu'aucune ne nuit à mon profit. Le monde peut bien être mis à feu et à sang autour de moi, tant que j'obtiens ce que je veux, peu m'importe. Certains autour de moi murmurrent dans mon dos à propos de l'absence d'héritier pour la maison de Douai... Je n'ai que vingt ans, que diable, j'ai le temps ! Et j'avoue ne pas être pressée !

Enfin, dis-nous un peu : plutôt bal ou plutôt tournoi ? Plutôt guerre ou plutôt paix ? Plutôt amour courtois ou plutôt croisade ? La dame de qualité que je suis vous répondra évidemment que j'aime les bals, la musique des troubadours et l'amour courtois, comme toute dame qui se respecte. C'est la vérité, quelque part, mais il y a autre chose : je suis fille de chevalier, et pas de n'importe quel chevalier. Quiconque a connu mon père ne sera guère surpris par le fait que j'aime les tournois, j'aime entendre parler des Croisades. La vue du sang ne m'effraie point et la guerre me fascine. Ne suis-je pas l'unique enfant du grand Gilles de Trazegnies ?