1121
C'est au plus fort de l'hiver que naissent les deux derniers membres de la famille Fergusson, Jan précédant de quelques minutes sa sœur jumelle Sunniva. Originaires de Bergen depuis des générations, les Fergusson sont célèbres pour créer des bijoux raffinés que toutes les grandes dames et les seigneurs de Norvège veulent arborer. Jan et Sunniva sont déjà précédés de sept frères, dont les naissances ont été très rapprochées et assez éloignées de la leur ; ainsi l'aîné, Olaf, a déjà dix-neuf ans et est marié, alors que le benjamin, Halvard, a presque dix ans. Cette grossesse tardive fait le bonheur de la famille surtout qu'elle amène deux rejetons au lieu d'un seul attendu, en plus de la seule fille de la fratrie.

1125
Assis près du feu, Jan et Sunniva écoutent, captivés, l'histoire racontée par leur frère Leif. Affaiblie par sa grossesse survenue à plus de quarante ans, leur mère est morte quelques mois après leur naissance. C'est Leif qui s'occupe principalement de leur éducation ; en effet, il est né avec une malformation de la main droite, celle-ci n'ayant la forme que d'un moignon surmonté d'un pouce, handicap qui l'empêche d'apprendre le métier de joaillier comme ses frères. Son père lui fait sentir quotidiennement la honte d'être un poids mort pour la famille et Leif tente d'oublier le mépris qu'il suscite par les histoires fantastiques qu'il invente. Habile conteur, il fait le régal des deux plus jeunes de la famille. Leur héros de son épopée est un lointain ancêtre que l'on surnommait Erik l'Ours et qui était réputé pour être un féroce guerrier. Ses péripéties imaginaires captivent Jan qui se sent très fier d'avoir du si noble sang coulant dans ses veines. Il rêve de batailles et de gloire, il veut se battre pour l'honneur de son seigneur, et non fignoler des babioles comme son père a l'air de vouloir l'y obliger. C'est tout décidé : il sera soldat et on chantera ses aventures durant des siècles.

1128
Couvert de boue et une large ecchymose à la joue, Jan tente de rentrer discrètement sans se faire remarquer de son père, qui discute de sa dernière commande avec Olaf. Le jeune garçon se précipite à l'étage où Leif l'attrape pour l'aider à se décrasser. Jan n'a pas abandonné sa volonté d'être un guerrier, loin de là. Son père et ses frères tentent de lui apprendre le métier de joaillier ou à défaut, de l'éduquer suffisamment pour qu'il exerce un métier plus intellectuel et oublie ses aspirations ; mais Jan n'est pas du genre à renoncer facilement et son idée fixe est impossible à déraciner. Sa famille est trop débordée par son travail ou ses préoccupations personnelles, tous ses frères sauf Leif étant mariés ou en passe de l'être, pour faire attention à lui et le recadrer correctement. Il y a des avantages certains à être le petit dernier ! Jan est doté des cheveux roux et du tempérament ardent des Fergusson. Aucune des punitions infligées par son père n'a pu le dévier de la voie qu'il s'était choisie. Il a donc décidé de devenir le page d'un de ses beaux-frère, guerrier du jarl. Il fait de son mieux pour s'entraîner et devenir plus fort.

1130
Ce fut un triste été que celui de 1129. Leif, qui a toujours été de constitution fragile, succombe d'une pneumonie. Jan a toujours été très proche de son frère qui l'a pratiquement élevé, lui et sa sœur. Cette perte rapproche les deux jumeaux qui deviennent encore plus liés qu'avant.
Cette année, Jan décide également de passer à l'action. Son beau-frère ne lui suffit pas ; il veut devenir l'un des meilleurs soldats de Norvège et il décide donc de passer dans la cour des grands. Son objectif ? Ni plus ni moins que de recevoir l'entraînement du redouté Njall surnommé « le Berserker ». Ce célèbre guerrier, au service du roi Sigurd Ier, terrifie par son caractère épouvantable et son apparence horrible, défiguré lors de la croisade norvégienne où il a accompagné son roi. Pour Jan, c'est là le maître idéal. Malgré le désaccord exprimé par Sunniva et celui de sa famille – lassée d'essayer de le recadrer – Jan va voir Njall et tente de le convaincre de le prendre comme écuyer. Njall l'envoie paître sans cérémonie mais Jan est tenace. Finalement, l'entêtement du jeune garçon impressionne le Berserker qui accepte de le prendre sous son aile.

1133
Être écuyer de Njall le Berserker est loin d'être de tout repos ! C'est un maître incroyablement exigeant, toujours insatisfait, qui pousse Jan dans ses retranchements et l'oblige à donner le meilleur de lui-même. Le guerrier ne l'a cependant pas renvoyé, il doit donc entrevoir du potentiel chez son écuyer. L'opiniâtreté de Jan compense son physique au début peu adapté à ses aspirations. Il est loin d'être le colosse qu'est Njall. Grand mais plutôt mince, il travaille d'arrache-pied pour forcir son physique et apprendre à tirer parti de sa vitesse et de son agilité. Le Berserker a beau être un maître grognon et tyrannique, Jan en vient à l'apprécier, surtout quand, dans ses quelques bons jours, il lui raconte ses souvenirs de la Terre Sainte. Jan est fasciné par ces récits et rêve de prendre part à une croisade, lui aussi. Mais la Norvège est plus préoccupée par les guerres de succession à la mort du roi Sigurd qu'à reprendre la Terre Sainte aux Infidèles...

1137
Le Berserker est mort. Son corps gît au milieu de tant d'autres sur le champ de bataille. Le vieux guerrier a fait son temps.
Jan et lui ont participé à de nombreuses batailles pendant la guerre civile qui déchire la Norvège. Cela a contribué à forger la volonté et l'habileté de Jan, ainsi que sa réputation. Malgré son jeune âge, il est déjà bien connu des champs de bataille, et pas uniquement comme apprenti du Berserker. Il a su prouver sa valeur et continue de donner le meilleur de lui-même pour progresser encore et toujours et forcir sa renommée.
Jan s'approche du corps de son vieux maître et écarte ses doigts raidis pour ramasser son épée. Njall le Berserker était réputé pour être le plus grand guerrier de Norvège. Son remplaçant sera Jan Fergusson, qui en fait le serment devant le cadavre de son maître.

1139
C'est jour de fête et Jan est au centre de toutes les attentions, néanmoins il manque d'enthousiasme pour quelqu'un dont on est en train de fêter le mariage ! Il n'a aucune envie de fonder un foyer et n'aspire encore qu'à la guerre et au combat. Néanmoins, on ne lui a pas vraiment laissé le choix ; lorsque l'on vous propose une alliance avec une des plus vieilles familles nobles du pays, cela ne se refuse pas ! C'est du moins l'avis de son père qui lui a mis la pression pour qu'il accepte d'épouser Ottilie Thorsen, fille du jarl Stig, de la cour de Norvège. Jan étant le dernier fils à marier de la famille Fergusson – même Sunniva est déjà mère – le voici donc contraint de se plier pour une fois aux obligations familiales. Son implication frise le zéro si bien qu'il n'avait même jamais vu Ottilie avant ce jour. Elle n'est pas très jolie, en plus, contrairement à ses trois autres sœurs, ce qui peut expliquer pourquoi elle contracte ce qui peut être vu comme une mésalliance. Ceci dit, elle a l'air aussi ravie que lui de ce mariage et il la voit faire quelques efforts pour avoir l'air au moins un peu enthousiaste. Cela a le mérite de l'amuser... Il se console également en se disant qu'il tire également avantage de cette alliance, car son beau-père le prend à son service. Jan est au moins content de pouvoir mettre son épée au service de quelqu'un qu'il en estime digne.

1142
De combat en conquête, Jan s'est forgé une solide réputation et on célèbre sa bravoure et son habileté de soldat, ce qui n'est pas pour lui déplaire. On parle de lui comme étant le meilleur guerrier de Norvège et savoir qu'il a réussi à tenir la promesse posthume faite à son maître le motive, le poussant à se dépasser plutôt que de reposer sous ses lauriers. Servant du très jeune roi Inge Ier, il ne s'implique que peu dans les intrigues politiques malgré le statut de son beau-père, préférant réserver son énergie aux champs de bataille. Connu par ses pairs pour sa loyauté et son sens de l'honneur ainsi que sa droiture qui forcent au respect, Jan est aussi quelque peu craint pour son caractère fier et ombrageux. Froid et sévère, d'une discipline de fer, il s'emporte facilement et fait montre de passion dans tout ce qu'il entame. Très entier, il n'est guère mesuré et ne fait jamais les choses à moitié. Conscient d'être trop belliqueux, il essaye de se tempérer mais encore jeune, il a du mal à se brider.
Sur un plan plus personnel, son mariage lui cause bien du fil à retorde ! Intelligente, perspicace, aussi têtue et passionnée que lui, Ottilie est incontrôlable et les disputes conjugales sont fréquentes. Elle n'en fait qu'à sa tête et son époux n'arrive pas à la faire rentrer dans le moule d'épouse obéissante qu'il veut qu'elle endosse. Elle le traite en égal alors qu'elle devrait lui être soumis et il trouve cela extrêmement irritant, surtout qu'elle a du répondant et qu'elle n'hésite pas à le moucher sans cérémonie ! Elle lui tape sur les nerfs mais quelque part il admire son indépendance et sa vivacité d'esprit. Quand il n'est pas chez lui, elle lui manque énormément mais dès qu'il rentre, elle l'énerve et le fait tourner en bourrique. Amoureux, Jan ? Jamais il ne l'admettrait et sûrement pas à la principale concernée ! Mais elle met un piment certain dans sa vie, cela il ne peut le nier !

1146
Au faîte de sa gloire, Jan est durement frappé par le destin. Ottilie vient de mourir en donnant naissance à leur enfant. La petite Isbjorg, trop faible, rejoint sa mère dans la tombe une semaine plus tard. Cette double perte plonge Jan dans un profond désarroi. Ne supportant plus de vivre seul dans sa maison désormais bien vide, il se réfugie chez Sunniva avec laquelle il a toujours garder des liens profonds et qui est la seule à pouvoir lui apporter un peu de réconfort. Parallèlement, le jarl Stig Thorsen lui parle de l'appel à la croisade lancée en France. Très croyant, il propose à Jan, son meilleur guerrière, d'aller défendre la chrétienté. Celui-ci y réfléchit sérieusement, se rappelant quand, encore jeune garçon, Njall le Berserker lui parlait de ses exploits en Terre Sainte lors de la croisade norvégienne. Mais Jan n'est plus avide de gloire. Il pense que son deuil est une épreuve que Dieu lui envoie et compte se racheter en combattant en son nom. Il espère ainsi apaiser son âme.

1147
Installé à la poupe du drakkar qui l'emmène loin de chez lui, Jan traverse la mer du Nord, commençant un long voyage vers Jérusalem. Il a finalement suivi le souhait du jarl Stig et doit rejoindre en son nom et en celui du roi le convoi français au côté duquel il se battra. Son départ a été quelque peu précipité et le bouillant Jan est toujours fou de rage en repensant au tour pendable qu'on lui a joué.
L'une des sœurs d'Ottilie, Hilde, a des vues sur lui depuis son mariage. Exceptionnellement belle, elle a toujours su avoir ce qu'elle voulait et a donc naturellement tenté de le séduire. Aussi a-t-elle mal pris que Jan la rejette sans cérémonie. Comment pouvait-il lui préférer sa sœur si ordinaire ? Rancunière et peu habituée à ce qu'on lui dise non, Hilde a retenté sa chance à la mort d'Ottilie, avec pour résultat un renvoi encore plus violent que le premier, Jan prenant pour une profonde insulte que cette femme le croit si peu doté de cœur pour se jeter dans les bras d'une autre alors que son épouse repose depuis peu dans la tombe ! Furieuse, Hilde a décidé de se venger – du moins c'est ce que Jan suppose, ne voyant pas qui d'autre a pu répandre de si odieuses rumeurs sur son compte. En effet, le bruit a couru que Jan et Sunniva entretenaient une relation incestueuse. Bruit entretenu par le fait que le guerrier vivait chez sa jumelle depuis la mort de sa femme et que les deux ont toujours été extrêmement proches. Jan n'a d'abord accordé aucune attention à ces accusations mensongères, mais ces dernières ont continué de prendre de l'ampleur. A tel point que Sunniva, très éprise de son mari et craignant que ces rumeurs ne mettent à mal son mariage, demande à Jan de quitter sa maison et de ne plus la revoir pour l'instant. Furieux, Jan n'a pas compris l'attitude de sa sœur, qui à son avis ne fait que confirmer ce que répandent les mauvaises langues. Ces rumeurs ont fini par rendre insupportable sa vie en Norvège, ternissant son image et l'obligeant à hâter son départ pour Jérusalem. Il a l'impression de fuir et cela ne lui plaît guère mais il ne voit pas vraiment d'autres solutions. Il se sent soudain très seul car on lui a enlevé toutes les personnes qui comptaient vraiment pour lui – Leif, Njall, Ottilie et maintenant Sunniva qui se détourne de lui. Sa terre natale pour laquelle il aurait donné sa vie le traîne dans la boue. Jan en vient à espérer que la croisade lui permettra de se racheter d'une manière ou d'une autre car il a dû offenser Dieu d'une manière ou d'une autre pour qu'il ait à faire face à toutes ces épreuves.

1148
Le climat en Terre Sainte est absolument épouvantable ! Jan regrette les rigueurs de sa Norvège natale et s'habitue tant bien que mal à la chaleur qui règne dans ce pays qu'il découvre. Après avoir traversé toute l'Europe, il rejoint finalement le cortège français à Constantinople et attend les combats avec impatience. Outre le climat, il a du mal à s'intégrer aux forces françaises, ne parlant pas un mot de leur langue. Il fait de son mieux pour essayer d'apprendre rapidement le français mais sa présence suscite l'étonnement et la méfiance de la part des croisés et il essaye tant bien que mal de se faire accepter.

1149
L'armée française, vaincue, rentre chez elle, et avec eux Jan. Ses aventures en Terre Sainte ne se sont pas déroulées comme prévu loin de là. Les croisés n'ont remporté aucune bataille, à la grande frustration de Jan. Cependant, il a eu l'occasion de faire preuve de sa bravoure et de ses compétences plus d'une fois. Les combats lui ont permis de se racheter, du moins l'espère-t-il, et même si la défaite a été au rendez-vous, il a l'esprit plus apaisé qu'en quittant la Norvège. Il a donné le meilleur de lui-même et a combattu avec bravoure et s'en estime satisfait. De plus, il a fait une alliance inattendue. Assistant à une tentative d'assassinat, il sauve la victime qui s'avère être le roi Louis VII. Ce dernier a vu l'intervention de Jan comme un signe divin et insista pour prendre le norvégien à son service. A la fin de la croisade, il le prie de rentrer avec lui en France et Jan décide d'accepter. Sans aucune attache, il n'est pas encore prêt à rentrer en Norvège. Voyant la proposition du roi comme un signe, il part avec les autres croisés pour la France.

1151
Jan ne se sent pas à l'aise à la cour de France. Il s'y sent toujours étranger, malgré l'amitié que le porte le roi et la loyauté qu'il éprouve à l'égard de celui-ci. Sa volonté de servir Louis à tout prix l'aide à se faire sa place dans un pays où il se sent mal à l'aise. La Norvège lui manque mais il n'est toujours pas décidé à rentrer. Pour le moment, il reste en France ; après toutes ces batailles durant la croisade, la mort d'Ottilie, les fausses rumeurs, Jan aspire à un peu de calme. Les dernières années ont apaisé son caractère. Plus posé, moins emporté, Jan devient aussi plus froid et rigide. La guerre a décidément l'art de changer à jamais les hommes.