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 Les Gestes d'Henri de Champagne

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Henri de Champagne

Henri de Champagne

PREUX CHEVALIER
L'honneur en armure, La bravoure en bouclier, La gloire en étendard

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Date d'inscription : 10/12/2012
Localisation : Entre mes terres de Champagne, celles de mon frère à Blois, la cour de Louis VII et Châteauroux

Feuille de route
Mon coeur est: tout dévoué à ma famille et à mon honneur
Je suis né à: Vitry (Champagne)
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MessageSujet: Les Gestes d'Henri de Champagne   Les Gestes d'Henri de Champagne EmptyLun 10 Déc - 22:24

Henri de Champagne  a  dit:
Henri de Champagne

« Ne plaise à Dieu ni à ses très saints anges que par moi la France perde sa gloire. Plutôt la mort que la honte »
[La Chanson de Roland]


Je m'appelle Henri de Blois-Champagne et suis né en 1127, je suis donc âgé de 24 ans, à Vitry (Champagne), je suis donc Français. Pour de nombreuses raisons que je vous exposerai plus tard, je suis fidèle à Louis VII mais surtout à ma famille. Pour ce qui est de mes sentiments, bien que je n'aime pas en parler ainsi, je suis célibataire. Mon visage? Il s'agit de Peter Mooney trouvé sur Echo des Plaines LJ
Derrière l'écran il y a Adeline, j'ai 20 ans, je travail/fais des études de histoire/histoire de l'art. J'ai connu le forum via SOURCE je ne dévoile pas mes sources, et je pense qu'il est formidable, évidemment. Je suis plutôt active, je fais de mon mieux pour y arriver. Et pour finir vive Henri :king:


    Halte-là, voyageur ! Dis-nous donc qui est ton maître, et les raisons qui t’ont poussé à lui prêter allégeance ! Est-ce par conviction, par intérêt, par obligation ?
    Voyageur ? Est-ce donc ainsi que tu t'adresses à Henri, comte de Champagne qui ne revendique nul maître, nul joug sinon l'obéissance que chacun doit à son Seigneur ? Bien malin celui qui pourrait me dicter ma conduite et je ne dois mes terres qu'à l'héritage de mon père et à la puissance de mon lignage et non à un seigneur à qui j'obéirais les yeux fermés. J'ai certes promis fidélité au premier d'entre nous, au roi Louis VII lui-même mais je ne le suis que pour mieux le conseiller ou plutôt le guider et parce que cela sert les intérêts de ma famille. Se rapprocher du roi Louis, c'est surtout s'approcher d'un pouvoir auquel j'aspire et dont je sais avoir les capacités pour l'exercer. Mais j'ai aussi un pied hors du royaume de France, depuis que j'ai prêté hommage à l'empereur Conrad III de Hohenstaufen, un lointain parent de ma mère, pour mes terres situées dans le saint empire romain germanique, me permettant de jouer à mon aise de ma place d'arbitre entre ces deux puissances.

    Si une guerre venait à éclater entre l’Aquitaine, la France, la Normandie et l’Angleterre, que ferais-tu ? Prendrais-tu part au combat ? De quel côté ? Ou bien resterais-tu à l’écart ?
    Je serais bien en peine de dire que je ne prendrais pas part au combat... Si la Champagne, tournée vers l'Est et vers la Bourgogne, n'a pas d'intérêt direct dans une telle guerre... J'ai du sang blésois et anglais par mon père, ce sang qui fait de moi cet être passionné et querelleur à l'image de mon père qui ne s'est jamais laissé marcher sur les pieds ! Et pour dire vrai, je me trouverais dans une drôle de situation : Étienne de Blois, le roi d'Angleterre, est mon oncle, Eustache de Boulogne mon cousin direct, Henri Plantagenêt, le duc de Normandie est un ami d'enfance et un cousin, j'ai des amitiés avec des Aquitains tandis que Louis VII est mon seigneur et celui que je sers. Autant dire que je sais bien que si la guerre venait à éclater, je serais sollicité de toute part, l'ost que je dirige est l'un des plus important du royaume en terme d'effectifs. Et je saurais voir où se trouve mon intérêt et qui se montre le plus offrant.

    Toutes ces alliances, ces mariages… Qu’en penses-tu ? Servent-ils tes intérêts ? Ou chercherais-tu à les rompre ?
    Je ne chercherais même pas à contester les alliances et les mariages qui se font et se défont... Toutes nos politiques reposent dessus ! Pour le moment, je ne suis toujours pas marié ni même fiancé car je n'ai pas encore trouvé le bon parti, la femme idéale qui serait à la fois un soutien, une amie et une bonne mère pour mes futurs enfants. Mais je sais bien que j'épouserai une femme digne de mon rang qui ne pourra qu'apporter surcroît de puissance et de richesse à ma famille. L'amour ? Voilà un sentiment qui n'a pas grand-chose à voir là-dedans... Il doit toujours s'incliner face à notre devoir et à notre honneur. C'est bien ce que j'essaie d'expliquer à mon frère cadet Thibaud lorsqu'il rechigne à faire la cour à Sybille de Déols.

    Enfin, dis-nous un peu : plutôt bal ou plutôt tournoi ? Plutôt guerre ou plutôt paix ? Plutôt amour courtois ou plutôt croisade ?
    En voilà des questions bien compliquées ! Aucun de ces termes ne s'excluent l'un l'autre, chacun est nécessaire pour l'harmonie de notre société. Je suis un homme du monde, j'ai été élevé comme tel, et malgré les commandements de l’Église, j'apprécie autant les bals que les tournois, les uns nous permettent de converser et de nous amuser avec les dames, les autres de montrer notre valeur et notre courage. J'ai longtemps été un fervent adepte des tournois dans lesquels j'avais un certain succès, maintenant j'ai tendance à laisser mon frère cadet et mes chevaliers combattre sous mon étendard même si je n'hésite pas à reprendre les armes lors des mêlées. Je suis un partisan de la guerre lorsqu'elle est juste et nécessaire, quand nos intérêts sont menacés, quand notre honneur doit être défendu mais elle doit toujours mener à la paix qui est l'objectif ultime de tout bon gouvernement. On ne peut donc comparer les deux, la guerre est un moyen, la paix un but. Grâce au ciel, j'ai pu participer aux batailles les plus justes qu'un bon Chrétien puisse mener en cette terre, j'ai combattu les Infidèles et j'ai toujours considéré cette mission comme sacrée, nous nous devons d'aller libérer le tombeau du Christ. Cela non plus n'exclut pas de se complaire parfois dans des ébauches d'amour courtois mais si j'aime la littérature et la poésie, je ne l'ai jamais utilisée pour plaire à une dame !




Dernière édition par Henri de Champagne le Mar 11 Déc - 0:55, édité 3 fois
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MessageSujet: Re: Les Gestes d'Henri de Champagne   Les Gestes d'Henri de Champagne EmptyLun 10 Déc - 22:54

Henri de Champagne  a  dit:
Il était une fois, il y a fort longtemps...




La voiture filait à toute allure en direction de Lagny-sur-Marne et tressautait au fur et à mesure des cahots de la route. Mais la jeune fille, assise à l'arrière, peu attentive au paysage qui défilait derrière la vitre, restait penchée sur le livre qu'elle lisait, combien même les lignes bougeaient devant ses yeux. Elle hocha à peine la tête quand ses parents lui annoncèrent qu'ils allaient bientôt arriver. Sur la couverture de l'ouvrage qu'elle tenait entre les mains, une enluminure représentait un cheval lancé au galop, portant un chevalier tout d'armure revêtu brandissant une épée devant lui. Mais son visage était recouvert d'un heaume en forme de gueule de loup, cachant des traits qui auraient pu le distinguer. Et quelque part, c'était le symbole de tout ce que la jeune fille si attentive trouvait frustrant dans son livre. Depuis qu'elle avait commencé sa lecture, défilaient devant ses yeux des noms de personnages, les noms de ces hommes qui avaient levé des troupes pour faire des sièges, s'emparer de donjons, brûler des récoltes et massacrer des paysans, les noms de ces femmes, fières et impétueuses qui dirigeaient les familles d'une poigne de fer, combattaient pour récupérer leur héritage et dont on se disputait la main. Mais aucun d'entre eux n'avait de visage. Ils n'étaient qu'une foule d'anonymes dont on ne connaissait que les signatures en bas des actes et des figures qu'évoquaient parfois les trouvères. A quoi ils ressemblaient vraiment, ce qu'ils pensaient, ce qu'ils ressentaient, tout cela était perdu à jamais. Il y avait une distance incommensurable avec eux, un fossé que rien ne permettait de franchir car il manquait les moyens de comprendre ce à quoi ils aspiraient. La jeune fille, plongée dans ses pensées, tourna une page et lut « Henri Ier de Champagne 1127-1181 à Troyes, dit le Libéral », suivi de quelques lignes de biographie, n'annonçant que des faits bruts, des guerres, une croisade, un mariage, une régence. Cet homme resterait à jamais un total étranger, deux dates, un surnom, un résumé dans un livre. Mais qu'avait-il espéré ? Pour quelle raison pensait-il vivre chaque jour, quel sens donnait-il à son existence ? Qui avait-il détesté ? Qui avait-il aimé ? Son cœur avait-il souffert ? Qu'est-ce qui lui avait causé de la joie ? Pourquoi souriait-il ? Autant de questions qui resteraient sans réponse. La jeune fille, agacée, ferma son livre d'un coup sec alors que la voiture ralentissait enfin avant de se garer sur le bord d'un chemin de terre à proximité de l'abbaye médiévale qu'ils étaient venus visiter.
Elle bondit de l'automobile avant ses parents et s'approcha du bâtiment, en admirant le fronton et les volutes taillés dans la pierre. Mais un bruit étrange lui fit dresser l'oreille. Des claquements de sabots qui résonnaient derrière elle... Elle se retourna mais il n'y avait que ses parents qui cherchaient leur guide de visite. Pourtant... Troublée, elle laissa son regard vagabonder sur les alentours et son cœur bondit lorsqu'elle crut distinguer des ombres flotter non loin du portail. Et si après qu'elle se soit frotté les yeux, ces dernières avaient disparu, les échos d'une vieille conversation flottèrent jusqu'à elle.
Parfois les murs gardent les traces d'un passé à jamais révolu. Il suffit de tendre l'oreille.
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MessageSujet: Re: Les Gestes d'Henri de Champagne   Les Gestes d'Henri de Champagne EmptyLun 10 Déc - 22:58

Henri de Champagne  a  dit:
PARTIE I
(1127-1141)




« Qui vit de l'intelligence est heureux, il n'est plus dans l'ombre ; il habite la lumière »
[Bernard de Clairvaux]

- Prévenez le comte que ses fils et le père Bernard sont arrivés, lança le moine juché sur son âne à deux frères lais qui rentraient dans l'abbaye de Lagny avant de se retourner vers celui qui avait chevauché de concert avec lui pendant tout le voyage : ah, je ne suis pas mécontent que ce soit terminé, les cahots de la route ne sont plus de mon âge.
- Plus les années passent et plus vous me paraissez vigoureux, mon père, répliqua celui-ci d'un ton amusé.
Henri de Blois-Champagne quitta sa selle pour se laisser glisser au sol alors que des membres de sa troupe aidaient Bernard de Clairvaux à faire de même. Mais s'il avait répondu une boutade, il jeta un regard sur son compagnon et ne put que constater que le corps du moine était en effet de plus en plus marqué par la vieillesse. Il était loin le temps où il écoutait les sermons enflammés de celui qui avait été une sorte de précepteur pour lui et qui l'avait guidé sur la voie de la bonne foi. Plus qu'un maître, un second père même, le comte Thibaud avait souvent été occupé à guerroyer quand Henri était jeune. Mais si le pas de Bernard était devenu hésitant, si sa silhouette décharnée semblait pouvoir s'envoler à chaque coup de vent, l'esprit que recelait ce corps faible était toujours plus vif, piquant et inflexible. Tous, dans ce royaume, craignaient les flèches et la morale de ce vieux moine qui pouvait se montrer aussi sévère que généreux comme le savait pertinemment Henri car il était déjà ainsi à l'époque où, enfant, il avait été placé entre ses bras. C'était quelque part rassurant de voir que certaines personnes ne changeaient pas.
Pendant que les portes du monastère s'ouvraient sur eux, Henri marqua un temps d'arrêt pour permettre à son frère cadet Thibaud de le rejoindre. Le regard qu'ils échangèrent montrait leur complicité et toute la confiance qu'ils vouaient l'un à l'autre mais Henri lut également une certaine appréhension dans celui de Thibaud. Il lui serra affectueusement l'épaule.
- Nous y voilà, murmura-t-il en avançant à son tour.
Ils pénétrèrent d'un même pas dans l'abbaye mais Bernard, qui n'avait pas attendu et avait déjà reçu les instructions du comte interpella uniquement Henri. Celui-ci prit une grande inspiration et, un léger sourire aux lèvres, se retourna vers son frère qu'il devait abandonner à l'entrée avec le reste de leurs chevaliers. Thibaud paraissait terriblement isolé dans cette troupe joyeuse, le visage sombre mais Henri fit un signe pour le rassurer. Ils n'avaient pas réellement grandi ensemble malgré leurs deux années d'écart mais un lien indéfectible existait entre eux. La certitude sans doute qu'ils avaient les mêmes intérêts à cœur, qu'ils partageaient les valeurs que leur père leur avait transmis, le courage, l'honneur, la largesse. Qu'ils étaient du même sang. Jamais ils n'auraient pu se trahir l'un l'autre et au moment où Henri emboîta le pas au père Bernard de Clairvaux pour aller rejoindre le comte, s'il devait laisser Thibaud derrière lui, comme il l'avait toujours fait dans son enfance car lui était l'aîné et le véritable héritier, il savait qu'il défendrait son frère comme toujours.
Thibaud IV de Blois les attendait dans une pièce sombre et si Henri pensait le trouver changé, il n'en était rien. Bien sûr la fatigue creusait ses traits, lui qui avait pourtant été si vaillant et plein d'énergie. Henri avait beau chercher dans sa mémoire, jamais il ne se souvenait d'un moment où son père s'était laissé abattre par les circonstances. Tout, même les mauvaises nouvelles, agissait comme des coups de fouet qui le poussaient à aller toujours plus loin. Mais si Thibaud était malade et si, malgré le secours qu'il était allé chercher dans cette abbaye, il ne lui restait sans doute que peu de temps à vivre, il restait cet homme décidé qui gardait le menton haut devant ses invités. Ses yeux continuaient à briller de cette lueur de l'ambition et de la convoitise. Quand il était enfant, Henri était terrifié par ce père exigeant. Toujours Thibaud avait exigé le meilleur de son héritier, toujours il avait voulu qu'il se surpasse. Il lui avait donné des maîtres d'armes qui lui avait appris l'art du combat mais ce n'était pas tout, il avait demandé à des clercs et à son ami abbé de Clairvaux d'en faire un garçon instruit. Quelque part, si Henri savait à la fois mener à bien des stratégies sur le champ de bataille, manier l'épée dans les tournois et lire à la perfection le latin – ce qui ne manquait pas d'étonner ses compagnons quand on le voyait un livre d'histoire antique à la main, c'était à ce père imparfait, impatient qu'il le devait, bien plus qu'aux maîtres eux-mêmes ou qu'à sa mère, une solide Germanique qui avait donné onze enfants à son époux et s'était chargée de l'éducation des filles dont la plus jeune n'avait que neuf ans. Mais si Henri avait été le préféré, il savait bien qu'il ne faisait que parti d'un plan plus vaste que son père avait mis en œuvre tôt. Une pièce d'un échiquier qu'on pouvait modeler à son aise et qui réussirait là où lui aurait échoué. Qui terminerait ce qu'il avait commencé. Dans cette quête, les autres enfants n'étaient que des pions à marier ou des alliés.
- Mon fils, souffla Thibaud de Blois en voyant Henri devant lui alors que Bernard, silencieux, s'installait dans un coin de la pièce, me voilà heureux de te voir, il est grand temps que nous ayons une discussion. Tu es bien le seul qui respectera à la lettre mes volontés, je le sais.
- Vous savez que nous avons les mêmes volontés, répliqua Henri en croisant les bras mais se départir d'un sourire qui rendait son attitude chaleureuse.
Un éclat passa dans les yeux de son père et son visage s'éclaira, lui rendant momentanément l'apparence de la jeunesse.
- Ton fils a été forgé à ton image, intervint le moine soudainement.
Henri se détourna un instant pour voir la silhouette blanche se recroqueviller et songea qu'en effet, il partageait l'ambition dévorante de son père même s'il était plus mesuré. Il avait appris avec le temps que les objectifs tus sont ceux que l'on atteint le plus facilement. Mais cependant, cette ambition, cette envie d'être un puissant seigneur, un parfait chevalier... Ce n'était pas réellement Thibaud qui les lui avait apportés.
Il ne se souvenait plus de l'âge qu'il avait alors. Sans doute moins de dix ans, il venait de terminer un entraînement à l'épée de bois quand il avait décidé de monter dans l'appartement des femmes. Il n'avait pas vraiment le droit de le faire, ses sœurs étaient occupées à apprendre à coudre mais l'une de leurs amies, son nom échappait désormais à sa mémoire, lui avait promis un baiser s'il venait. Il s'y était rendu avec la plus grande curiosité, un peu gauche dans cet endroit entièrement dévolu à celles qui demeuraient bien mystérieuses pour un petit garçon comme lui. Il s'était trompé de porte pour pénétrer dans une vaste chambre vide d'occupant, un peu sombre à cause de l'étroitesse de l'ouverture de la fenêtre. Au sol, se trouvait dessinée une immense carte du monde tel que ses précepteurs le lui avait montré, centrée sur Jérusalem. Il s'était avancé jusqu'à poser les pieds sur le royaume de France et avait levé le nez. Le plafond était tapissé d'étoiles, de planètes et de signes du zodiaque. Et sur les murs... Des tentures de divers épisodes bibliques et mythologiques. L'une d'elle avait attiré son attention. Elle représentait des scènes de combat, des chevaliers qui pourchassaient leurs ennemis. Il s'était approché pour passer la main sur les fines broderies des chevaux et des écus. « Que fais-tu ici ? Qui t'a donné l'autorisation d'entrer ? », avait grondé une voix terrible. Le cœur battant, Henri s'était retourné pour faire face à sa grand-mère. Évidemment, il n'y avait que la comtesse Adèle, la personne la plus lettrée qu'il connaissait pour vivre dans une telle pièce. Elle s'était radoucie en voyant l'identité de l'intrus et avait fini par le rejoindre devant la tenture qui le fascinait tant. « Tu vois, avait-elle dit en lui désignant des scènes, mon père Guillaume de Normandie a été spolié de son héritage, il a rassemblé ses hommes et il est parti reprendre la terre qu'il avait reçu. Il a traversé la mer, affronté des dangers par dizaines mais jamais il n'a reculé et en posant le pied en Angleterre, il a fait de ce royaume le sien. On l'appelle Guillaume le Conquérant. Tu as son sang qui coule dans tes veines. Quoi que tu fasses, quoi que tu choisisses, montre toi digne de lui ».
Plutôt la mort que la honte. Plutôt la guerre que l'honneur blessé. C'était une leçon que Henri avait retenue et qu'il mettait en pratique. Il rejeta les souvenirs de cet épisode pour revenir à l'instant présent. Cela faisait désormais bien longtemps qu'Adèle d'Angleterre était morte mais son fantôme était de ceux qui reviennent souvent vous hanter.
- J'ignore si tous mes fils sont à mon image, répondait Thibaud de Blois, mais ce que je sais c'est qu'on peut parfois se tromper sur ceux qui sont chers à notre cœur. Combien de fois ai-je du perdre mes illusions...
Il s'interrompit, comme s'il revivait ces événements douloureux puis releva les yeux sur son fils. Henri savait bien à quoi il faisait allusion. En 1135, à la mort du roi Henri Ier d'Angleterre, il était le premier descendant mâle de Guillaume le Conquérant, celui à qui aurait du échoir le trône. Il avait alors amené son fils avec lui en Normandie pour négocier avec la fille du défunt, Mathilde qui se faisait appeler l'Emperesse depuis son mariage avec l'empereur du Saint-Empire. Henri, encore tout jeune, n'avait pas compris les discussions qui l'entouraient mais il restait là, le torse bien droit, à côté de son père, heureux de participer à ce qui semblait quelque chose de bien grave. Robert de Gloucester, le père de ce William qu'il avait rencontré à l'époque et qu'il serait amené à revoir bien plus tard, avait proposé la Normandie à Thibaud de Blois si celui-ci laissait l'Angleterre à Mathilde et à son fils encore bébé. Henri, qui connaissait son père mieux que quiconque, savait qu'il allait accepter. Mais tout avait basculé au moment où un messager s'était avancé au milieu de la table des discussions. Il venait faire une annonce de la part d'Etienne de Blois, le frère cadet de Thibaud et donc le cousin de Mathilde. Étienne avait profité de l'inattention de son aîné pour s'emparer de l'Angleterre et les seigneurs venaient de lui prêter hommage. Jamais Henri n'avait vu son père dans une telle rage. Rentré dans sa tente, Thibaud avait tempêté et sa colère s'était dirigée vers les objets qui l'entouraient sans prêter garde à son fils, mort de peur et aux serviteurs médusés. Il avait fait confiance à Étienne. Ils avaient été inséparables dans leur jeunesse, faisant tous les mauvais coups ensemble et là... C'était une trahison.
Thibaud de Blois n'avait jamais pardonné mais avait accepté de renoncer à déloger son frère par les armes contre une grosse somme d'argent, un lourd tribut qui évitait à Étienne de se retrouver face à une coalition entre Angevins et Blésois. C'était un moindre mal.
- Jamais je ne trahirais ce que vous pourrez me confier, mon père, affirma Henri d'un ton décidé et clair.
Décroisant les bras, il s'assit en face de son père et le fixa droit dans les yeux pour attendre la suite. La conversation allait être longue.
- Tes frères Thibaud et Étienne sont des faibles mais je sais que tu feras tout pour ne pas me décevoir. Comme tu l'as toujours fait.
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Henri de Champagne

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MessageSujet: Re: Les Gestes d'Henri de Champagne   Les Gestes d'Henri de Champagne EmptyLun 10 Déc - 23:05

Henri de Champagne  a  dit:
PARTIE II
(1142-1146)




« « L'homme a beaucoup appris qui a beaucoup souffert » »
[La Chanson de Roland]

Ne pas décevoir son père ? Henri s'y était toujours efforcé en effet mais s'il soutint le regard de Thibaud de Blois au moment où celui-ci prononçait ces paroles, un sentiment de honte l'étreignit brusquement. La première fois où son père lui avait confié une mission, la première fois où il avait pu tenir les armes pour défendre son honneur et sa famille, il avait échoué et avait déçu tous ceux qui croyaient en lui. Son père ne le lui avait jamais reproché clairement mais il y avait eu quelque chose quand Henri lui avait annoncé sa défaite, un éclat dans ses yeux qui n'avait laissé aucun doute. Et Henri crut lire cette rancœur silencieuse, dissimulée dans le ton de la voix de Thibaud. Bernard de Clairvaux lui avait pourtant répété de nombreuses fois que ce n'était pas de sa faute mais rien n'y faisait, Henri lui-même ne se pardonnait pas. Comment pouvait-il donc penser que l'inflexible comte l'avait fait ?
- J'ai entendu dire que le roi allait se séparer de la reine Aliénor..., annonça soudain Thibaud IV, comme si ses pensées avaient suivi le même cheminement que celles de son fils.
- Les rumeurs pénètrent même dans les monastères, constata Bernard, de manière sombre, certains princes sont toujours persuadés de pouvoir se délier des engagements pris devant Dieu.
- Ce n'est pas une rupture de mariage que le roi devrait rechercher... Aliénor ne mérite que de rejoindre ma sœur dans un couvent, lâcha Thibaud avec une certaine amertume.
Tout avait en effet commencé ainsi, Henri s'en souvenait très bien. Avant l'intervention de la reine, Thibaud de Blois-Champagne et Louis VII ne se vouaient qu'une guerre froide faite de provocations sans que l'un des deux ne finisse par lever son ost. A l'époque, Henri était encore jeune, il ne comprenait pas réellement les enjeux mais avait bien compris que les noms de « Reims » et « Langres » revenaient souvent dans la bouche du comte. Ces villes épiscopales situées au cœur du domaine de Thibaud avaient toujours été un enjeu avec le roi. Celui qui arrivait à placer son candidat à leur tête pouvait espérer avoir leur contrôle et profiter d'une partie de leur richesse. En 1138, Louis avait soutenu un candidat de Cluny plutôt que celui défendu par Bernard de Clairvaux et son ami Thibaud. Le même problème s'était répété en 1141. Henri vivait alors avec le reste de sa fratrie et s'il était l'aîné et avait le plus d'obligations en raison de son éducation stricte, il gardait un bon souvenir de cette période où il accompagnait sa mère de châteaux en donjons fortifiés. Parfois un exilé fuyant la colère du roi venait trouver refuge chez eux et Mathilde de Carinthie qui n'avait que faire des avis d'un roi qu'elle n'avait vraiment considéré comme le sien les recevait bras ouverts. Entre deux entraînements, Henri retrouvait ses frères Thibaud et Étienne pour s'amuser, Guillaume et Hugues étaient encore trop jeunes pour trouver un quelconque intérêt à ses yeux. Parfois leurs sœurs Marie et Isabelle, échappant à la surveillance de leur mère, les rejoignaient. Mais la place prééminente que l'on avait accordé à Henri dès son jeune âge avait creusé un fossé entre eux. Tous les quatre, s'ils étaient promis eux aussi à des destinées exemplaires, Marie devant épouser le duc de Bourgogne et Isabelle le duc d'Apulie, avaient gardé l'insouciance de leur jeunesse. Henri avait déjà le poids des responsabilités sur ses épaules et ne pouvait faire de bêtises ou se montrer taquin sans penser aux conséquences. Il était le préféré de ses parents, même de Mathilde qui ne montrait guère de signes d'affection envers ses enfants mais faisait confiance à celui qui était le plus réfléchi de ses fils, et sans doute à la fois jalousé et admiré du reste de la fratrie.
La cour tenue par Mathilde était brillante même si de nombreux artistes étaient partis suite à la mort d'Adèle d'Angleterre. La comtesse était bien moins sensible aux belles lettres et à la poésie que sa belle-mère mais elle tenait à être bien entourée d'autant qu'étant régulièrement enceinte, elle ne pouvait pas accompagner son époux dans les chasses ou les campagnes. Henri n'avait jamais réellement compris sa mère et encore à l'heure actuelle, il était incapable de savoir ce qu'elle désirait ou espérait. Mais avec le recul des années, il se disait que cette femme qui ne haussait jamais la voix ou ne fronçait jamais les sourcils avait été le parfait complément de son passionné de mari. Derrière sa façade impassible ou son sourire absent, se dissimulait une femme qui avait apporté sa pierre à l'édifice, qui avait régné sur sa maisonnée d'une main de maître pendant que Thibaud guerroyait et qui avait servi le prestige de sa famille en attirant les chevaliers de toutes les régions pour ses tournois. Celle qui avait tout rendu possible finalement. Toutefois, elle restait pour lui une étrangère, uniquement celle qui lui avait donné le jour et qui n'avait daigné que lui jeter des coups d’œil depuis.
Mais si Henri savait déjà ce qu'on attendait de lui, à seize ans, il n'était qu'un jeune homme impatient de faire ses preuves. Toute sa vie, on l'avait préparé à mener une troupe, à combattre au sein d'une mêlée. Il était encore assez jeune pour croire tout ce qu'on lit dans les livres, pour penser que la guerre n'était qu'un moyen de s'attirer les honneurs et la gloire. Que chaque chevalier, et il avait tellement voulu être un de ces êtres d'exception !, y montrait sa valeur et son courage. Alexandre n'était-il pas allé jusqu'en Indus, volant de victoire en victoire ? Et comme tout bon chef militaire, il voulait avoir des hommes sur qui il pouvait compter comme eux pouvaient compter sur lui pour s'épauler pendant le combat... Des personnes qui seraient plus que des amis car ils auraient fait face à la mort ensemble. Déjà, Henri rêvait de brandir l'étendard de son père sur les places conquises et de lui livrer les prisonniers à rançonner qu'il aurait fait. Mais en 1143, les circonstances avaient décidé de démontrer au jeune Henri que la guerre était plus faite de cris, de sang et de pleurs que d'exploits. Et même le frisson que l'on ressent à la description de gestes héroïques dans un livre ne peut égaler le dégoût, la nausée qui monte en soi lorsque l'on fait face pour la première fois à un village dévasté, à des cadavres non encore refroidis, à ces drapeaux sanglants qui gisent encore sur le sol. Peut-être était-ce différent pour ceux qui savouraient une victoire. Mais lui, il n'avait même pas eu l'occasion de combattre pour tenter de faire fléchir le destin.
Tout s'était précipité lorsqu'à la demande d'Aliénor d'Aquitaine et avec la bénédiction de Louis VII, l'un des plus grands seigneurs du royaume, un proche du roi, Raoul de Vermandois avait répudié son épouse pour pouvoir se marier avec la propre sœur d'Aliénor, Pétronille. Sauf que l'épouse en question n'était autre qu'Eléonore de Blois, la sœur de Thibaud, lequel prit l'affront pour personnel. En quelques semaines, les armées avaient été levées et la Champagne, puisque c'était dans ce comté qu'allaient se dérouler les hostilités, mise sur le pied de guerre. Henri avait vu arriver avec émerveillement tous les vassaux de son père avec leurs chevaliers aux armures étincelantes, leurs étalons fougueux, piaffant d'impatience, tous prêts à en découdre. Et enfin son père lui avait confié le plus grand honneur qu'il aurait pu lui faire. Une troupe à commander et deux châteaux à défendre face à l'arrivée de l'ost de Louis VII, Vitry et Bar-sur-Aube. Rien n'aurait rendu plus fier Henri et malgré son jeune âge, il prit les choses en main avec grande responsabilité. Il savait bien que si on lui avait donné ces deux villages fortifiés, c'était bien qu'on pensait que le roi attaquerait ailleurs mais il se sentait enfin prendre part à quelque chose de grand, qui le dépassait. Enfin, se montrer digne de son père en montrant au roi que les Blois ne s'en laissaient pas compter !
Il se souvenait de cette journée comme si c'était hier. Le soleil était haut dans le ciel et les chevaliers souffraient de la chaleur mais derrière les soupirs et les plaisanteries, on sentait l'impatience des combats, un frémissement qui parcourait les rangs. Des espions étaient venus annoncer qu'au dernier moment, Louis VII avait décidé de se tourner vers Bar-sur-Aube aussi Henri sentait l'excitation le pénétrer. Il n'avait pas peur, c'était là un sentiment qu'il ne ressentait que très rarement car il avait confiance en lui-même et en ses capacités. Et en celles de ses hommes. Comment une troupe pouvait-elle passer le barrage menaçant qu'ils formaient ?
- Monseigneur, monseigneur !
Un messager arrivait au galop, faisant froncer les sourcils à Henri. L'expression du visage de l'homme ne le rassura pas et lorsque celui-ci arriva à sa hauteur, Henri se pencha pour attraper les rênes du cheval :
- Et bien parle !
- Les troupes royales... Elles ont détourné chemin, elles sont à Vitry !
Cette fois-ci, c'était une sourde angoisse qui était née dans le cœur du jeune homme. Faisant faire volte-face à sa monture, il la lança sur le chemin de la ville qu'il avait délaissée. Une telle erreur pouvait encore être rattrapée si seulement ils arrivaient à temps ! Mais le mauvais pressentiment du fils du comte se confirma quand ils arrivèrent à la vue du donjon. De la fumée s'en échappait et déjà des pierres s'écroulaient dans un bruit épouvantable. Un instant, Henri fut saisi. C'était là l'endroit où il était né, où il avait vécu une partie de son enfance et on le détruisait sans pitié. Bientôt la demeure familiale ne serait que tas de ruines. Il savait que le roi avait pour habitude de raser les châteaux de ses vassaux infidèles qu'il saisissait mais le fait de le voir de ses propres yeux changeait tout. Il s'approcha encore plus pour voir que ce n'était pas le seul endroit qui brûlait, sporadiquement de la fumée surgissait çà et là. Ils étaient désormais à vue et les chevaliers de Louis se mirent peu à peu en formation de bataille en distinguant la bannière du comte de Blois-Champagne qui flottait en vent. Mais Henri n'en avait que faire car il venait de voir une scène qui déchira son cœur... L'église, ils avaient mis le feu à l'église elle-même, à la demeure de Dieu ! Une impression de malaise s'empara de lui lorsqu'il constata que les rues du village étaient entièrement vides à l'exception de ces soldats qui pillaient méticuleusement et lâchaient à peine les coupes finement ouvragées, aux armes de Thibaud IV pour se saisir de leurs épées et de leurs lances.
- Les habitants s'étaient tous réfugiés dans l'église pour chercher la protection divine, murmura le messager d'une voix étranglée.
Henri l'avait compris dans un éclair et un sentiment de profond dégoût s'empara de lui. Sans réfléchir, il arrêta son cheval et descendit de selle, laissant tomber son épée au sol. Il sentit une rumeur d'incompréhension parcourir ses propres rangs ainsi que ceux des ennemis. Levant son heaume, seul, il fit face à la troupe et lui hurla, la voix tremblante, le poing levé, brûlant de colère :
- Monstres ! Monstres ! Est-ce donc là la guerre que vous menez ? Où se trouve la gloire de massacrer des paysans et des artisans dans l'enceinte sacrée de la maison de Dieu ? Où se trouve la prouesse de tuer des femmes et des enfants, des homme désarmés ? Monstres ! Je m'en remets à Dieu de votre châtiment !
Une à une, pendant le discours haché, les épées françaises s'étaient baissées et le silence s'était fait. Seules les flammes continuaient de crépiter. Vision d'Enfer.
- J'ai toujours déconseillé à la reine de trop se mêler de politique, sa fierté lui causera bien des malheurs, prophétisait Bernard de Clairvaux, d'un ton amer, ramenant brusquement Henri à la réalité de l'abbaye de Lagny en l'année 1151, j'ai fait de mon mieux pour permettre à Louis et Aliénor de suivre le chemin que nous a désigné le Christ mais elle n'écoute pas les paroles sages.
De nouveau, le jeune homme détourna son regard de son père pour le poser sur son précepteur. Il avait du mal à distinguer le crâne rasé de Bernard mais sa silhouette blanche s'était redressée sur son séant. Quelque part, le manque de reconnaissance de la reine pour l'abbé laissait Henri pensif. Bernard, après l'épisode tragique de Vitry leur avait tous offert une rédemption. A Louis VII qui, devant le scandale, son excommunication par le pape et l'interdit jeté sur le royaume, avait été obligé de signer la paix avec Thibaud, laissant ce dernier vainqueur. A lui-même surtout.
C'était pour Pâques, à Vézelay. Henri se souvenait d'avoir été mal à l'aise de devoir partager les repas du roi qui se trouvait là également mais Louis paraissait entretenir des remords sincères. Entre deux cérémonies religieuses pour célébrer la résurrection, Bernard de Clairvaux était monté sur la colline, le seul endroit où toute l'assemblée de seigneurs et de chevaliers dont les étendards rendaient la foule chatoyante pouvait le voir et l'entendre. Rien ne pourrait effacer de la mémoire d'Henri cette figure revêtue de la robe blanche des cisterciens qui avait levé les mains vers les fidèles, brandissant des croix et prononçant d'une voix terrible « Edesse est tombé, Edesse est profané et si les chevaliers de France, au lieu de s'éprouver entre eux, ne consacrent pas leur bras à combattre l'Infidèle comme le demande notre Seigneur, demain le tombeau du Christ sera entre les mains des hérétiques, demain le tombeau du Christ sera détruit » ! Bernard suppliait, ordonnait, pleurait, tonnait et c'était partout des clameurs et des cris de guerre qui lui répondaient. Tous, sans exception, avaient été enflammés par ces paroles, ce discours inspiré du ciel. « Montjoie ! Montjoie ! ». Henri n'entendait plus le son de sa propre voix. Dès que Bernard s'était tu, à l'image du roi et de milliers d'autres chevaliers, le jeune homme de dix-sept ans s'était empressé de prendre la croix.
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Henri de Champagne

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MessageSujet: Re: Les Gestes d'Henri de Champagne   Les Gestes d'Henri de Champagne EmptyLun 10 Déc - 23:08

Henri de Champagne  a  dit:
PARTIE III
(1147-1149)




« Si vous souhaitez tant l'éclat, efforcez-vous d'être ce que vous voulez paraître »
[Bernard de Clairvaux]

Thibaud de Blois avait gardé un silence pensif suite aux dernières paroles de son ami Bernard de Clairvaux avant de lancer dans une phrase qui s'adressait plus à son fils qu'à l'abbé :
- Ne te fais pas de reproches, mon ami, tu as fait ton possible. Que les Aquitains quittent donc la cour s'ils le souhaitent, leur province est riche mais ils sont terriblement turbulents et de fort mauvais conseil pour le roi... Tous à l'image de leur duchesse.
- J'estime tout de même nécessaire de garder des liens avec certains Aquitains qui pourraient nous être utiles, intervint Henri d'un ton calme mais sans appel, s'attirant l'attention des deux hommes âgés.
- Je pensais que tu voulais te montrer d'une loyauté à toute épreuve au roi Louis, il risque de ne pas aimer ce qu'il verrait comme une trahison, lâcha Thibaud d'une voix qui ne laissait aucun doute sur sa désapprobation.
Henri savait que son père n'approuvait pas entièrement la place qu'il occupait à la cour et qu'il cherchait à avoir auprès du roi. Mais le comte était encore dans une logique d'affrontement et en gardait trop de souvenirs pour comprendre ce que voulait exactement son fils. Henri aurait menti en disant qu'il appréciait réellement Louis VII car la mémoire de Vitry ne pourrait jamais totalement s'éteindre et les flammes qui avaient léché le donjon et l'église brûlaient encore en lui. Mais il savait que le temps des grandes révoltes seigneuriales était terminé. Il n'y avait plus rien à y gagner sinon des terres brûlées et des routes commerciales qui faisaient pourtant la richesse de la Champagne interrompues. Puisqu'on ne pouvait rien contre ce roi sacré de Dieu, il fallait faire avec lui et se rapprocher de lui pour obtenir des avantages et des faveurs. Le roi croyait disposer quand le seigneur gouvernait à sa place. Et un jour, cela payerait au centuple, Henri en était persuadé. S'il avait été parfaitement sincère, il aurait aussi dû avouer que l'expérience de la croisade l'avait à jamais changé et avait modifié le regard qu'il portait sur le roi. Ils avaient vécu des mois ensemble sur les routes pour Jérusalem, ils avaient combattu ensemble et jamais Thibaud ne pourrait comprendre ce qu'on ressentait quand on se trouvait avec un frère d'armes.
- J'ai des amitiés avec des Aquitains que je conserverai, répéta Henri plus durement, être loyal ne signifie pas devenir aveugle. Je ne serai pas l'homme d'un parti, je veux rester un interlocuteur pour tous. N'est-ce pas l'autonomie que vous aviez toujours cherché, mon père ?
Insensible au froid qui s'était brusquement installé dans la pièce, sachant que le père Bernard était d'accord avec lui sur ce sujet, Henri eut une pensée pour une noble dame de la suite d'Aliénor. Le visage de Naëlle d'Astarac flotta un instant devant ses yeux, tout simplement parce que lorsqu'il parlait d'amitié, si son père imaginait sans doute des camaraderies avec les Lusignan ou les Parthenay, lui pensait à cette femme si fière et si forte qu'il avait rencontrée pour la première fois lors de la croisade. Elle était l'une des compagnes de la reine et à ce titre, l'avait accompagnée pour le royaume de Jérusalem. C'était dans les premières semaines qu'il avait fait la connaissance de la dame d'Astarac, quand les troupes du royaume de France s'apprêtaient à rejoindre celles de l'empereur Conrad III avec lequel on avait décidé de repousser les Infidèles, dans la vallée du Danube. Jusqu'alors, Henri, trouvant agaçant que les convois des femmes fassent ralentir l'allure, chevauchait dans les groupes de tête au milieu des barons les plus puissants de Louis VII comme le comte de Flandres, Thierry d'Alsace, un allié des Angevins, Robert de Dreux, frère du roi, Alphonse de Toulouse, Guillaume de Nevers, Hugues de Lusignan ou encore Amédée de Savoie. Mais sans trop savoir comment, il s'était un jour retrouvé en queue de cortège. Un des chevaux du convoi de la jeune femme boitait et on l'avait immobilisé le temps de lui trouver un remplaçant alors que la troupe ne s'était pas arrêtée. Henri qui bavardait alors avec les dames de la suite de Faydide de Toulouse dont l'accent méridional l'avait charmé avait aperçu les difficultés de la dame blonde, laissée sur le bas-côté mais en s'approchant d'elle, s'était vite rendu compte qu'elle ne cherchait pas de l'aide. Il lui avait donc offert ce qu'il pouvait, à savoir sa compagnie, le temps qu'elle puisse se remettre en route. Le jeune homme ne se souvenait plus vraiment ce qu'ils s'étaient dit alors mais c'était le début d'une longue amitié qui durait encore à présent. De nombreuses fois pendant la croisade, puis après à la cour, ils avaient échangé des conversations plaisantes. Loin de ces donzelles sans esprit qui formaient parfois la troupe de la reine, Naëlle était intelligente, vive et surtout elle se débrouillait seule dans l'existence avec une force d'âme qui forçait l'admiration. Au fur et à mesure, après être devenue veuve au cours de la croisade, elle s'était de plus en plus confiée à lui et Henri lui prêtait toujours, quelque que fussent ses préoccupations du moment, une oreille attentive. Il reconnaissait sa position compliquée et lui offrait un soutien discret qu'elle paraissait considérer comme bienvenu. Devoir rompre tout lien avec elle sous prétexte qu'Aliénor voulait se séparer de Louis VII lui semblait proprement stupide. Et s'il invoquait de simples raisons politiques, il savait bien qu'au fond, il lui portait surtout une affection sincère.
- J'ai appris que tu avais accueilli l'ambassadeur de Byzance, intervint Bernard de Clairvaux, loin de se douter du visage qui s'était imposé à son protégé mais qui souhaitait remettre la conversation sur un terrain moins glissant, voilà qui est une excellente initiative, je suis heureux de voir que tu as gardé de bons contacts avec les Byzantins malgré la façon dont certains chefs de la croisade se sont comportés avec eux.
- Taddeo de Dara, en effet, mon père, est venu me rendre visite dès son arrivée en France pour que je puisse l'introduire auprès du roi ce que j'ai fait. C'est un homme honorable, ambitieux et rusé qu'il ne faut pas négliger, il a toute ma considération. Et j'espère que nous pourrons travailler de concert.
- Les Byzantins ne sont pas nos ennemis, ce sont des Chrétiens, approuva Bernard de Clairvaux en reculant de nouveau dans l'ombre.
- Tu l'avais lui aussi rencontré à Constantinople ? Le questionna Thibaud, sortant enfin de sa réserve.
- Il était celui qui devait nous recevoir et organiser notre séjour. Après cinq mois passés sur les routes avec l'armée de l'empereur Conrad, je vous laisse imaginer à quel point nous avons été heureux de pénétrer dans la ville du Basileus et d'être accueillis avec la plus grande estime et la plus haute courtoisie par Taddeo de Dara. Je pense, mon père, que vous trouveriez qu'il me ressemble. Nous sommes faits du même moule, nous avons la même trempe et c'est bien pour cela que nous avons sympathisé lors de ce séjour combien même nous avons fini par nous fâcher avec Manuel Comnène.
Les semaines qu'il avait vécu dans l'empire byzantin comptait parmi les plus belles de son existence. Tout là-bas n'était que merveille et grandeur comme si soufflait encore à travers les âges le reste de courage et de prestige de Rome. Art et culture y étaient développés dans leur plus extrême raffinement. Ils avaient été traités comme des princes et Henri d'autant plus qu'il avait une lettre de recommandation de Bernard de Clairvaux, un ami de Manuel Ier. C'était là qu'il était véritablement devenu chevalier sous le regard de ses deux seigneurs, Louis VII et Conrad III. Dans la demeure des héros, sur la terre de toutes les promesses, on l'avait fait s'agenouiller et après avoir juré de protéger les faibles et les volontés divines, il avait reçu l'accolade de l'empereur Manuel Comnène lui même. L'émotion qui l'avait étreint alors était indescriptible et quand il s'était relevé, il avait lu dans les yeux de tous ces hommes dont les noms résonneraient longtemps dans les chroniques qu'il était désormais l'un des leurs. Élu de Dieu et donc son plus humble serviteur. Comment l'hérésie pourrait-elle vaincre face à la fine fleur de l'aristocratie occidentale ?
La réponse était pourtant toute simple : il suffisait que surgissent les dissensions entre chevaliers. Mais Henri avait au moins la satisfaction d'avoir fait de son mieux et de s'être distingué.
- Tu fais bien de garder des relations amicales avec l'empire byzantin, approuva Thibaud de Blois, mais méfie toi tout de même de Manuel Comnène et de son envoyé, ils sont bien trop éloignés pour avoir les mêmes intérêts que nous. Et ils n'auront pas de scrupules pour arriver à leurs fins.
Henri hocha la tête sans répondre. De toute façon, son père n'avait guère envie de s'étendre sur le sujet car il poursuivit sur un autre thème :
- On m'a rapporté que tu t'étais rendu dernièrement à Châteauroux ?
- Je constate que vous êtes bien renseigné, s'exclama Henri un peu sur la défensive, en effet, je suis allé rendre visite à la veuve de mon ami Abo, j'ai promis de...
- Inutile donc de me soupçonner de vouloir t'en faire le reproche ! Un homme qui oublie ses amitiés ne mérite pas le nom de chevalier ni d'homme d'honneur.
- « Tel qui trahit se perd et les autres avec lui », glissa le père Bernard.
- Voilà qui n'est pas une citation biblique, mon père, aimez-vous donc tant la Chanson de Roland ? S'amusa Henri non sans malice.
- Les Évangiles sont vérité mais toute la vérité n'est pas dans les Évangiles, répondit l'abbé avec philosophie.
- Malgré les années, tu n'as pas oublié ta formation de chevalier, le tança Thibaud, brusquement détendu.
De toute façon, jamais Henri n'aurait songé à briser sa promesse. Abo, c'était un chevalier courageux, toujours prêt à aller en première ligne et placé sous ses ordres. Mais leur relation était vite devenue plus qu'un simple rapport entre un jeune chef militaire et un second plus âgé et plus expérimenté, ce qui aurait du générer des conflits. Au bout de quelques nuits de bivouac alors qu'ils étaient harcelés par des troupes turques, Henri et Abo étaient devenus de vrais amis et des complices. Il n'était pas rare de les entendre rire après la tombée de la nuit. Abo avait compris que le jeune homme était valeureux et qu'il ne rechignait pas à la tâche, faisant plus de gardes qu'il n'était nécessaire. Henri s'était aperçu qu'il pouvait plus compter sur lui que sur tout autre. Il se reposait sur lui et en échange, Abo distrayait ce jeune homme si sérieux pour son âge. Tous deux étaient animés par la certitude de pouvoir libérer le royaume de Jérusalem de la menace des Infidèles. Et un jour, ils avaient eu l'occasion de faire leurs preuves.
Henri n'était plus le jeune garçon impatient de 1143. Il avait grandi, il savait se montrer patient pour frapper là où il pourrait causer des dommages irrémédiables aux troupes ennemies. Une armée de Turcs se trouvait sur le bord du fleuve Méandre, empêchant l'armée croisée de le traverser. Henri les avait longuement observé avec leurs vêtements chamarrés, leurs lames courbes et leurs petits cheveux nerveux. Il avait deviné leurs faiblesses et leurs points forts. Puis un matin, au lever du jour, il avait mis son escadron en ordre de bataille en même temps que Thierry d'Alsace, le comte de Flandres et conjointement, ils avaient attaqué des Turcs qui ne s'y attendaient guère mais s'étaient défendus avec vaillance. Henri et Abo s'étaient lancés les premiers dans la mêlée mais rapidement, le jeune homme avait perdu son ami de vue. Dans ce genre de circonstances, on ne réfléchit plus, on frappe, on cherche des lignes de brèches. Henri ne sut jamais combien de temps avait duré la bataille mais les Turcs avaient fini par fuir, abandonnant leurs cadavres et leurs tentes dans lesquelles on avait trouvé un mobilier important. Pendant que ses chevaliers enterraient les morts ou s'emparaient des trésors, Henri surveillait les opérations tout en tentant d'arrêter le sang qui coulait de son bras où un cimeterre sarrasin avait percé son armure.
- Monseigneur ! Le seigneur de Châteauroux est mourant !
Henri s'était précipité sur les traces d'un de ses chevaliers qui le mena jusqu'à un corps qui gisait à terre, encore animé de soubresauts. Un instant, en voyant le visage d'Abo, ses yeux brillants, le jeune homme eut un espoir mais en posant sa main sur la poitrine de son ami, il s'aperçut qu'elle était couverte de sang. Et du sien. Des larmes emplirent ses yeux.
- Allons, Henri, ne pleure surtout pas, souffla le chevalier en s'efforçant de sourire, j'ai gagné le royaume des cieux, n'est-ce pas ?
- Tu t'es sacrifié pour la cause du Seigneur, il t'accueillera à sa droite.
Mais le sourire d'Abo s'effaça et une grimace de douleur troublèrent un instant ses traits. Lorsqu'il rouvrit ses paupières, une flamme inquiète dansait dans ses iris.
- Je laisse une épouse sur cette terre ainsi qu'un fils, un fils que j'aurais à peine connu.
- Il pourra être fier de son père.
- Je t'en prie, Henri, prends soin d'eux deux. Veille sur ma femme, elle est jeune encore, elle aura besoin d'un protecteur... Et surtout sur mon fils, mon petit garçon, tu lui diras comment j'ai repoussé les Sarrasins.
- Je te le promets.
- Je voudrais... Je voudrais que tu deviennes son parrain, tu seras le père qu'il n'aura pas. Si j'ai ta parole, je pourrais mourir tranquille.
- Pars en toute quiétude, je te le jure...
Déjà les yeux d'Abo devinrent fixes et le mouvement irrégulier de sa poitrine s'interrompit. Toute la tension qui régnait dans son corps se relâcha et Henri vit nettement le masque de la mort se placer sur son visage. Doucement, il lui ferma les yeux et murmura :
- Repose en paix, mon brave. A jamais, ici, sur cette terre promise.
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Henri de Champagne

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MessageSujet: Re: Les Gestes d'Henri de Champagne   Les Gestes d'Henri de Champagne EmptyLun 10 Déc - 23:14

Henri de Champagne  a  dit:
PARTIE IV
(1149-1151)




« Soyez père et non tyran ; travaillez plutôt à être aimé qu'à être redouté »
[Bernard de Clairvaux]

La croisade était une expérience qui vous changeait à jamais. Henri était revenu en France en ayant l'impression qu'il avait grandi de plusieurs dizaines d'années et d'avoir accumulé plus de sagesse que certains durant toute une vie. La cour de Louis VII lui avait paru bien fade après s'être rendu à Constantinople et parfois une nostalgie le saisissait quand il était enfermé dans une des pièces de ses châteaux, occupé à lire, alors qu'il pleuvait dehors. C'était peut-être pour cela qu'il avait gardé un contact régulier avec Taddeo de Dara qui lui envoyait aussi des manuscrits de textes antiques précieux. Et quand il rencontrait des anciens camarades qui avait participé à la croisade dans les couloirs du palais de la Cité, le regard qu'ils échangeaient était sans ambiguïté. Ils se comprenaient. Ils avaient tous vu les combats sanglants contre les Sarrasins, perdu des amis chers, parfois des épouses ou des époux, terrassés par les maladies mais tous avaient participé à une guerre dont les objectifs les dépassaient, tous avaient vu les murs de Jérusalem, le tombeau du Christ, avaient approché la reine Mélisende et le jeune Baudouin III. Tous s'étaient battus pour une place au royaume des cieux.
Mais ce qui avait vraiment changé, c'était les relations que Henri entretenait avec son père. Le jeune homme avait beau n'avoir que vingt et un ans à son retour, sa victoire à Méandre l'avait couvert de gloire et il n'était plus seulement le fils du comte de Blois-Champagne. Il existait désormais par lui-même. Il avait appris à voir les défauts et les imperfections de son père, son impatience qui gâchait souvent tout, sa recherche des combats plutôt que de compromis. Et s'ils conservaient les mêmes objectifs, indiciblement Henri s'était détaché de lui pour mener sa propre route. Ses dons aux abbayes cisterciennes, sa capacité à demeurer calme, réfléchi et presque toujours souriant, même s'il restait sérieux en toutes circonstances, plaisaient. On l'appréciait. Thibaud IV lui avait alors donné les seigneuries de Vitry et Bar-sur-Aube, lui renouvelant ainsi sa confiance. Ces petites villes mêmes pour lesquelles il avait combattu des années plus tôt. Il s'était lancé dans la tâche de les faire prospérer avec enthousiasme. A Vitry, il avait lancé la construction d'un nouveau donjon, beaucoup plus majestueux et imposant que le précédent. Enfin effacer les traces. Renaître. Et pour le moment, à la grande fierté du jeune homme, le succès était plutôt au rendez-vous, la foire de Bar avait permis à la ville d'attirer des commerçants du royaume entier.
Aussi, quand il leva les yeux vers son père fatigué en cette année 1151, dans la pièce que leur avait concédé l'abbaye de Lagny, Henri songeait que cela faisait bien longtemps que son père ne l'effrayait plus.
- La veuve d'Abo de Châteauroux est née Amboise, n'est-ce pas ? Demanda Thibaud de Blois d'un air sournois.
Aussitôt, tous se crispèrent.
- Oui, elle s'appelle Sybille, elle régente le domaine au nom de son fils dont je suis le parrain, répliqua Henri qui cachait la tension qui s'était emparé de lui derrière un visage neutre à peine éclairé d'un demi-sourire.
Tous deux savaient très bien ce qui allait suivre, aussi ils se jaugèrent pendant quelques secondes avant que Henri, le premier, ne lance enfin :
- Vous gardez son père, Sulpice d'Amboise et son frère comme prisonniers à Châteaudun, n'est-ce pas ?
- Voilà qui ne te concerne pas. Sulpice d'Amboise a passé sa vie à guerroyer et à me provoquer, justice est désormais faite. Mais laisse-moi deviner, Sybille de Déols t'a demandé de sauver la tête de son père ? Est-ce que veiller sur elle signifie obéir à ses désirs ?
- Vous savez quels sont mes propres projets pour Châteauroux, riposta Henri avec vivacité, considérant l'attaque comme injuste puis se tournant vers Bernard de Clairvaux, il ajouta : mon père, venez à mon secours.
- J'ai déjà dit à ton père ce que je pensais de la question mais il refuse le compromis, expliqua l'abbé, il regrettera son attitude impropre à un bon Chrétien au moment du Jugement dernier.
- Oh je vous en prie, tous les deux, intervint Thibaud en levant les yeux au ciel, je sais bien quels sont tes projets, Henri, je les juge bons, il est temps que Châteauroux soit rajouté à notre mouvance. Mais je ne libérerais pas Sulpice d'Amboise pour te permettre, hypothétiquement, de les réaliser, je regrette.
- Père... Le fils au moins ?
- Non et je ne reviendrais pas sur cette décision, conclut Thibaud de manière tranchante en tapant du poing sur la table.
Son fils lui jeta un regard noir mais se tut. Il savait bien que son père était si borné qu'il était inutile d'insister pour le moment mais il comptait bien revenir à la charge et avec l'aide de Bernard de Clairvaux qui semblait de son avis.
Qu'allait-il pouvoir dire à Sybille de Déols ? Il aurait tellement voulu lui apporter une réponse positive ! Dès son retour de croisade, c'était elle qu'il était allé voir pour lui annoncer le décès de son époux, découvrant par la même occasion qu'elle venait d'accoucher d'un deuxième enfant dont le père ne pouvait pas être Abo. Mais il savait les séparations longues et s'était gardé de la juger même si cela n'avait pas servi l'opinion qu'il avait d'elle. Mais plus le nombre de ses visites pour voir son jeune filleul augmentait, plus il découvrait que les terres que ce dernier avait hérité de son père étaient idéalement situées non loin de Blois. Et plus il se rendait compte du caractère bien trempé de la jeune femme qui avait décidé de ne pas s'en laisser conter. Chacune de leur rencontre était l'occasion de joutes verbales. Il avait essayé de se placer en protecteur mais elle lui avait fait comprendre qu'elle ne voulait pas de lui. Il avait tenté de lui proposer de former le jeune Aymeric aux armes dans sa famille champenoise mais elle avait catégoriquement refusé, prenant le prétexte de son jeune âge. Mais Henri avait promis à Abo. Une promesse ne pouvait se rompre, n'est-ce pas ?... Était-ce seulement là la seule raison qui motivait ses allers-retours à Châteauroux ?
Lors de sa dernière venue, il avait trouvé la jeune femme blonde, petite et menue – qui aurait cru que tant de volonté pouvait résider dans un corps si frêle ? - à l'extérieur, dans une sorte de jardin en compagnie de ses deux fils. Henri l'avait saluée avant d'aller offrir un présent à Aymeric et de s'amuser quelques minutes avec lui dans un simulacre de combat au grand plaisir du tout jeune enfant.
- Vous savez qu'il se plairait en Champagne ? N'avait-il pu s'empêcher d'insister Henri, je pourrais lui offrir les meilleurs maîtres comme mes frères et moi en avons bénéficié.
- Il est encore bien trop jeune pour penser à tout cela, avait répondu Sybille, nous avons encore le temps.
Ils avaient gardé le silence quelques instants avant que Henri ne décide de proposer une idée qu'il avait eu quelques temps auparavant. Même s'il savait par avance que cela ne plairait pas à la jeune femme.
- J'ai songé à votre situation et il existe un moyen simple pour protéger l'héritage de votre fils... Un remariage. Je pense que mon frère qui va être nommé comte de Blois est le mieux à même de...
- Non.
Refus net, catégorique. La discussion n'était pas possible. Henri avait insisté lorsqu'elle avait fini par lui rappeler que leur père Thibaud gardait depuis quelques temps ses propres père et frère en otages.
- Croyez-vous que je vais épouser le fils de celui qui menace ma famille ? Ou est-ce pour vous un moyen de pression pour que j'accepte de me marier avec votre frère ?
Henri s'en était défendu mais avait du repartir bredouille. Ou presque car avant de quitter Châteauroux, il avait pensé à rendre visite à ce serviteur qu'il payait grassement pour lui rapporter ce qu'il se passait en son absence.
- Vous savez... Le s'cond fils... Quelques mois avant sa naissance, on rec'vait la visite du Planta... Plantagenêt.
- Geoffroy ?
- Non, le petit... Son fils aîné... Henri qu'il s'appelle.
Voilà une information intéressante qui lui servirait sans nul doute un jour. Sybille et son lointain cousin Henri Plantagenêt, jeune homme blond qu'il n'avait pas revu depuis des années ? Cette image le dégoûtait quelque peu mais peut-être cela expliquait les réticences de Sybille à un mariage. Elle était une femme de tête et de lettres qui se plaisait dans l'esprit courtois. Avait-elle offert son cœur ou au contraire voulait-elle rester libre ? Cette femme était un mystère. Mais il n'avait pas encore renoncé à le résoudre.
Cette habitude d'avoir des yeux un peu partout, Henri ne l'avait héritée de personne. Il avait compris l'importance d'avoir toutes les informations pour mieux régner. Et quand il rencontrait un espion – ou une espionne en l'occurrence, il savait les reconnaître. C'était le cas de cette Luce Lejeune, une gamine qu'il avait rencontrée au palais de l'île de la Cité. Il trouvait son attitude hautement suspecte car souvent son pas croisait le sien et il l'observait de loin, à laisser traîner ses oreilles et ses regards... Pas franchement étonnant de la part d'une fille qui appartient à Constance de Castille. Il est bien dangereux de fouiner dans les affaires des autres, si elle ose faire cela avec lui, elle saura à qui elle a à faire ! En revanche, si elle découvrait des secrets qui l'intéresse... Tout peut se négocier. Et il pourrait bien ne rien dire de ses occupations au roi et à la reine. Ah, les joies de la cour où tout est hypocrisie et désirs proprement dissimulés ! Parfois, si Henri s'y plaisait, il repensait avec ironie aux commentaires déplaisants que Bernard de Clairvaux ne manquait pas de dire sur les affres auxquelles se livraient apparemment les courtisans dans l'entourage du couple royal. Tout n'était pas faux malheureusement.
Pendant le temps où Henri s'était plongé dans ses réflexions, Thibaud et Bernard s'était lancé dans une discussion qui donnait moins lieu à des disputes que Sulpice d'Amboise. Le comte finit par se retourner vers son fils pour le questionner :
- Tu es en contact avec les Plantagenêts ? La rumeur veut que oui.
Henri prit son temps avant de répondre :
- En effet, pas directement avec notre cousin Henri ou son frère mais par l'un des soutiens du premier, William de Gloucester, le fils de Robert lui-même.
- C'est lui qui est venu te voir ?
- Oui, il connaît la valeur de notre famille et pense que nous pourrions être des alliés intéressants pour une possible reconquête de l'Angleterre. Nous nous engagerions à lui fournir un ost et à débarquer à ses côtés, j'imagine. Il ne m'en a pas parlé directement.
- Une reconquête de l'Angleterre ? S'exclama l'abbé, la Normandie ne lui convient pas ?
- Les Plantagenêts sont insatiables, expliqua Thibaud un sourire aux lèvres, ont-ils fait au moins l'effort de t'envoyer quelqu'un d'agréable ?
- En effet, ils ont bien choisi. Gloucester est un homme tout à fait affable, cultivé... Rusé, tout à fait tacticien et porté sur la politique et l'intrigue. Il me propose des terres en échange de mon soutien, des terres anglaises, voilà qui pourrait être un moyen de placer l'un de mes frères, non ?
- Méfie toi des Angevins, répondit Thibaud d'un ton plus sévère, prends plaisir à la conversation avec cet homme mais ne fais pas de promesse inconsidéré. Ils ont toujours été nos ennemis dans le comté de Blois. Et regarde les deux frères Plantagenêts... Cette famille est digne de celle des Atrides ! Crois-moi, ils n'apportent que des problèmes.
- Rassurez-vous, père, je ne prends jamais de décision irréfléchie. Je saurais voir où sont nos intérêts.
- Je le sais, mon fils, je le sais.
Thibaud se leva mais son visage reflétait tout un coup une grande lassitude. Henri releva la tête vers lui et fut frappé de la vieillesse de son père qu'il avait réussi à oublier pendant la conversation. Il se rappela alors que cet homme si fier n'avait peut-être que quelques mois à vivre. Et qu'il allait se retrouver seul.
- A ma disparition, tu seras le chef de notre famille, commença Thibaud, prends soin de ta mère, elle entrera dans un couvent comme il sied à son rang. Si tes frères te seront des alliés, ne compte jamais que sur toi-même.
Henri hocha la tête.
- Par tradition, l'aîné des Blois-Champagne prend le titre de comte de Blois, tu le sais mais comme je l'ai montré en te donnant Vitry et Bar...
- Je ne veux rien d'autre que la Champagne. Troyes, Provins, Meaux.
Ils échangèrent un regard complice. Évidemment qu'ils avaient compris tous deux où était l'avenir. Ce n'était pas dans ce comté coincé entre les possessions du roi de France et celles du comte d'Anjou. Non, l'avenir était dans les vastes plaines de Champagne où circulaient les marchands et où tout restait à construire.
- Thibaud aura Blois et Chartres. Étienne récupérera la seigneurie de Sancerre que tu élèveras en comté. Guillaume a déjà pris le chemin des ordres, Hugues rentrera à Cîteaux. Ne néglige pas le mariage de tes sœurs.
- Non, mon père.
- Et rends moi fier de toi.
Le jeune homme leva le menton et s'approcha de son père qui avait les larmes aux yeux. Sans un mot, il lui donna l'accolade. Signe d'affection, de respect mais aussi d'égalité. Puis il se détourna pour quitter la pièce. Avant de fermer la porte sur lui, il vit Bernard de Clairvaux prendre sa place au milieu de la pièce et tendre la main sur le front de celui qui avait été son ami. Thibaud avait apparemment beaucoup de péchés à confesser. Arrivé dans le couloir, Henri fut frappé par la luminosité qui l'éblouit un instant. C'était terminé. Ce n'était sûrement pas la dernière fois qu'il voyait son père mais il venait de lui donner ses instructions pour l'au-delà. Henri était maître. Comte de Champagne. Tout ce qu'il avait toujours rêvé. Les yeux secs, il se mit à descendre au rez-de-chaussée, laissant courir ses doigts sur les peintures murales de l'abbaye qui représentaient une file de saints qui semblait comme lui donner leur bénédiction.
Il venait de quitter la maladie et la mort, les hommes prêts à partir pour la Jérusalem céleste.
Lui, il lui restait encore à vivre.
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MessageSujet: Re: Les Gestes d'Henri de Champagne   Les Gestes d'Henri de Champagne EmptyLun 10 Déc - 23:36

Henri de Champagne  a  dit:
Tout a une fin




La jeune fille descendit l'escalier de l'abbaye. Sur le mur, des restes de polychromie apparaissaient mais seules quelques teintes bleues et rouges donnaient une idée du motif qui était représenté là, le reste avait disparu, laissant à jamais le doute sur ce que voyaient ces hommes du Moyen Âge qui passaient là. Au moment, où elle allait poser son pied sur la dernière marche, elle sentit un souffle, un murmure et sursauta violemment. Le cœur battant, elle regarda autour d'elle mais là encore, à part ses parents qui l'avaient précédée, personne ne se trouvait là. Pourtant, un court instant, qui passa trop vite à son goût, elle eut l'impression de se trouver en présence d'un fantôme tremblant. Celui d'un jeune homme qui était déjà passé là et qui à cet endroit même, avait pris une grande inspiration. Ils se regardèrent puis l'ombre vacillante disparut, s'envola vers le passé auquel elle appartenait.
De retour dans la voiture, la jeune fille n'ouvrit pas son livre. La tête tournée vers le paysage qui défilait derrière sa vitre, elle voyait des chevaliers galoper dans la plaine, épée brandie. Leurs armures luisaient au soleil, éblouissant leurs adversaires tandis que leurs étendards rougeoyants flottaient au vent. Derrières les heaumes, il y avait des visages transpirants, aux traits crispés, la bouche ouverte dans le cri « Montjoie ! ». Derrière la couche de métal, il y avait un cœur qui aimait et détestait. Et la jeune fille comprit. Quand on ne peut rien connaître... Il ne reste que le pouvoir de l'imagination.






***
Fiche terminée !
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Aliénor d'Aquitaine

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MessageSujet: Re: Les Gestes d'Henri de Champagne   Les Gestes d'Henri de Champagne EmptyMar 11 Déc - 4:12

Aliénor d'Aquitaine  a  dit:
Ma Ade' ** depuis le temps qu'on en parle de Champagne, ça me ferait presque pleurer de le voir en vrai =(

Enfin bref, soyons sérieux, tu seras la première validée de LOT, et en plus tu es LA SEULE a avoir correctement mit ta fiche dès le début, donc tu as un double bon point rien que pour ça :clap:

On voit bien toute la dualité du personnage dès le questionnaire, et la façon d'écrire ta fiche est super originale, j'adore.

Henri est bien marqué par la forte personnalité de son père et ce qu'il attend de lui, ça en fait l'héritier idéal, réfléchit, et bien formé à son futur devoir. L'anecdote d'Henri enfant est super touchante, j'ai beaucoup aimé. Mais la préférence marquée de Thibaut ne doit surement pas être si facile à accepter pour ses frères mdr. Et Aliénor le zut blase nameoh. Les liens prédefs y sont bien raconté c'est tout parfait comme d'hab j'ai envie de dire ^^. L'évolution de la croisade est visible dans le comportement d'Henri aussi, donc c'est parfait. La fin est triste par contre Sad même si l'Aliénor en moi n'est pas mécontente What a Face

Voilà, la première validée lick

Tu es à présent validé(e), bienvenue parmi nous :clap:. Tu peux à présent t'orienter vers le bottin pour réserver ton avatar. Une fois ceci fait, tu pourras créer tes liens ainsi que tes mémoires tu trouveras d'ailleurs dans ce topic des codes prêts pour t'aider si tu ne sais pas coder. Les rangs se font à partir de 100 messages, et les logements à partir de 200.

Bon jeu parmi nous heart


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MessageSujet: Re: Les Gestes d'Henri de Champagne   Les Gestes d'Henri de Champagne EmptyMar 11 Déc - 13:55

Henri de Champagne  a  dit:
Oh merci ** , moi aussi, j'ai versé ma petite larme (hum green ) quand j'ai terminé de poster cette fiche... Pour laquelle, j'ai quand même bien galéré pour les codes, je tiens à le dire :P (je mérite bien mon bon point ^^).

Merci beaucoup aussi pour tes petites remarques sur ma fiche, je suis contente qu'elle ait plu ! C'est amusant car les anecdotes sur l'enfance sont celles que je trouve les moins touchantes, comme quoi, les goûts et les couleurs mdr


Bref, je suis trop fière d'avoir été la première validée, c'est la classe :king: ... J'ai le droit à des avantages et à des cadeaux, non What a Face ?
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MessageSujet: Re: Les Gestes d'Henri de Champagne   Les Gestes d'Henri de Champagne EmptyMar 11 Déc - 16:24

Aliénor d'Aquitaine  a  dit:
... Un bisou mdr en plus du bon point, et l'honneur d'ouvrir le flood XD
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MessageSujet: Re: Les Gestes d'Henri de Champagne   Les Gestes d'Henri de Champagne EmptyMar 15 Jan - 23:24

Invité  a  dit:
Hey coucou petit Champagne, la prochaine fois promis je boirais tout exprès quelques bulles à ta gloire et je prendrais des photos dans le palais des comtes. What a Face

Quand tu me parlais d'Henri, il me plaisait déjà et après lecture de ta fiche, je veux rejoindre le fan club Blois - Champagne. De combien est l'adhésion ? :P

Bon je compte bien pouvoir rpiser avec toi un de ces jours miss. Au plaisir ! What a Face
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MessageSujet: Re: Les Gestes d'Henri de Champagne   Les Gestes d'Henri de Champagne Empty

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