Il était une fois, il y a fort longtemps...
Toulouse, 1149D’abord les veilleurs virent la poussière qui se soulevait pour former des nuages ocre et or, puis alors que le soleil se couchait les paysans affluèrent pour indiquer qu’un groupe d’homme, solidement armé, traversait les champs au triple galop. La nouvelle n’apportait aucune crainte mais plutôt l’allégresse car chacun reconnaissait la bannière du meneur. Le blason (de gueules à la croix clichée, vidée et pommetée de douze pièces d'or) était sans conteste celui des De Toulouse. Et alors que le crépuscule s’éteignait tandis que la nuit étendait son manteau sur la province, la rumeur se répandait dans le château. Partout les servantes murmuraient, tandis que les chevaliers devisaient. On discutait, on plaidait, on arguait, on supposait ou on supputait. Un seul fait était clair comme de l’eau de roche : «Alphonse De Toulouse est de retour».
Le comte de Toulouse se trouvait dans sa salle du conseil lorsque les nouvelles parvinrent jusqu’à lui. Il interrompit sa discussion avec ses vassaux pour ordonner à l’intendant de préparer un festin puis reprit le cours de son conseil. Raymond aurait aimé galoper le plus vite possible pour retrouver son cadet. Mais il était désormais comte de Toulouse et il ne pouvait pas se permettre d’abandonner un conseil aussi important pour revoir son frère. De toute façon, ce dernier devait juste aspirer à un bon bain et un peu de repos avant le banquet.
L’élève
Les rires et les discussions formaient un brouhaha impressionnant, suffisant pour couvrir les chansons des ménestrels. Les vassaux se bousculaient pour regarder le puîné des De Toulouse. Ce dernier venait de rentrer de la chevauchée, qu’il avait mené contre des seigneurs récalcitrants à l’idée d’être gouverner par un garçon de seize ans à peine. Couronné de succès, le petit frère du jeune comte comptait fleurette à une dame des environs. Le seigneur Aedan, qui avait été le bras droit du précédent compte, observa le jeune homme. Il venait d’entré dans sa quinzaine année et rayonnait comme un soleil. Avec ses boucles auburn et ses yeux bleu acier, le jeune homme était le portrait de feu son père. Et il avait également hérité de l’intelligence d’Alphonse de Jourdain et d’une dévotion totale à l’égard de sa famille et surtout de son frère.
Le vieux chevalier se souvint de sa première rencontre avec le petit Alphonse. Il n’avait vu qu’un gamin ayant subi un long siège, tremblant de peur et de faim. Aedan eut une grimace amère en se souvenant du siège de Toulouse. Les armées royales et surtout aquitaines avait tenté de prendre possession de la ville. Ils auraient pu réussir, mais les bourgeois et les connétables se montrèrent d’une fidélité inébranlable et la ville resta entre les mains de ses légitimes propriétaires. Suite à cette victoire, Alphonse avait choisi de séparer ses enfants. Raymond resta pour apprendre son futur rôle de comte tandis qu’Alphonse se rendait, sous sa tutelle, en Castille. Alphonse laissa échapper un rire sonore qui coupa le vieux chevalier dans ses méditations. Le second fils d’Alphonse de Jourdain se leva et porta un toast à la santé de son frère et suzerain, Raymond de Toulouse. Le maitre des lieux se leva et les chandelles teintèrent sa chevelure blonde d’or fondu. Il loua la valeur de son frère, sa fidélité et sa pieuté. Le discours fut bref mais enthousiasma les vassaux, en tout cas ceux qui n’avaient pas succombé face au vin.
Aedan sourit en avalant une boulette de viande, au vu de la fratrie qu’avait laissé Alphonse on n’avait nul besoin de s’inquiéter pour ses terres.
Raymond, l’aîné, le nouveau duc gouvernait à merveille. Il écoutait toujours ses vassaux avant d’imposer calmement sa décision sans supporter la moindre contestation. Sage et patient pour son jeune âge, il avait sût se faire aimer du petit peuple qui louait autant sa justice que ses dons de guerrier. Lentement mais surement, il s’imposait comme maitre absolu de ses terres et la chevauché d’Alphonse avait montré l’étendue de son autorité.
Il gouvernait avec une main de fer mais surtout possédait un gantelet de fer impressionnant en la personne de son cadet, Alphonse. Le plus jeune des De Toulouse se révélait être un meneur d’homme impressionnant si on considérait son jeune âge. Presqu’aussi adulé que son ainé, il paraissait être un véritable parangon de chevalerie. Et on devait reconnaitre qu’il en avait autant l’apparence que les manières. Car tous pouvaient louer son courage et son sens de l’honneur, tandis que les dames appréciaient ses manières courtoises et la qualité des compliments qu’il aimait leur murmurer. On appréciait autant ses talents de meneurs que les manières courtoises qu’il avait développées en Espagne et un peu partout en Europe.
« Aedan ! que signifie cette mine sinistre ? »Alphonse dirigeait vers lui à grand pas. Sans faire de manière, il se laissa tomber aux côtés de son ancien compagnon de route et passa un bras autour de ses épaules.
« Je suis de retour, couvert de gloire et mon frère est plus puissant que jamais ! N’es-tu pas content ? »Aedan se força à sourire et accepta le verre que remplissait à ras-bord son ancien écuyer. Toujours souriant et rieurs ce dernier se lança dans la description des batailles qu’il avait livré lors de cette chevauché.
Cette nuit-là, il but beaucoup, plaisanta presque autant, participa à toute les danses et courtisa autant de femme qu’il le pouvait. Cette nuit-là, Alphonse fut une lumière qui illumina la salle de banquet et tout le monde garda en mémoire ses manières aimables et sa beauté.
Et en le voyant Aedan comprit que si Raymond était le soleil, fort, brillant et presque insoutenable alors Alphonse était une comète. Mais le vieux chevalier savait que les comètes, pour le petit peuple, annonçaient de grand malheur. Et s'il savait son élève excellent chevalier, il savait aussi à quels extrémité ce dernier recourait pour sa famille.
Le frère
« Le curé de Camaret a les couilles qui pendent… »
Faydive fit mine de ne pas avoir entendu la chanson que beuglait son frère et avança dans sa direction. Il avançait plus ou moins droit et son écuyer le surveillait du coin de l’œil en tentant de l’empêcher de se fracasser le crâne contre un mur. Elle retint un rire.
La vie à Toulouse avait toujours été ainsi. Ils alternaient les périodes sinistres ou personne ne riait et où la Camargue régnait sans pitié sur le château et les périodes joyeuse et presque de débauches. Adonis fut le premier à s’apercevoir de sa présence et lui adressa une révérence embarrassée avant d’enfoncer son coude dans les côtes d’Alphonse, sans doute pour le faire taire. Ce dernier eut le souffre coupé environs trente seconde puis il reprit avec enthousiasme :
« Le curé de Camaret a acheté un âne,
Le curé de Camaret a acheté un âne,
Un âne aquitain
Qui se tape toutes les putains
Quel âne, quel âne, quel âne »
Faydive retint son rire, avant d’expliquer à un Adonis qui ne savait plus où se mettre, qu’elle souhaitait s’entretenir avec son frère, seule. L’écuyer les laissa donc dans la chambre d’Alphonse en marmonnant qu’il allait boire un coup aux cuisines.
Alphonse se laissa tomber sur un siège et Faydive l’imita, sauf qu’elle faisait cela avec un peu d’élégance. A la lueur des chandelles, allumées par des domestiques plus tôt dans la soirée, la peau hâlée de son frère lui semblait presque doré. Son ainé lui sourit en relevant uniquement le coin droit de sa bouche, ainsi il paraissait incroyablement moqueur. Mais cela n’avait rien d’étonnant.
Enfants, ils avaient été inséparables. Raymond possédait déjà une force tranquille et un rayonnement impressionnant, tandis qu’elle semblait être la douceur personnifié. Alphonse lui se posait comme l’esprit frappeur de la bande, toujours souriant et rieur, ayant toujours une idée de blague ou de farce. Mais cela n’était que les apparences, car c’était à trois qu’ils avaient remplacé le sel des greniers par le sucre ou remplie les bottes de leur oncle de boue et de crotte. Ensemble ils avaient tyrannisé la moitié de la ville et un jour sur deux leur précepteur devait leur courir après cravache à la main.
Mais le temps avait passé, le calme Raymond était devenu un comte adulé et respecté mais sérieux et pragmatique tandis qu’Alphonse se transformait en un chevalier cynique et jouisseur. Elle seule demeurait la même, une véritable allégorie de la douceur, mais une part d’elle savait que c’était parce que c’était ce que l’on attendait d’eux. On attendait d’un comte qu’il soit un meneur d’homme sage et attentif, d’un fils puîné qu’il soit un incapable la fortune de sa famille, et d’une fille qu’elle soit douce généreuse et pieuse. Il était donc important que chacun joue sa partition avec le plus de sérieux possible.
Alphonse s’interrompit dans le récit de ses exploits guerriers pour lever vers elle des yeux bleus perçants :
«
Un problème, petite sœur ? »
Elle inspira profondément. Elle voulait lui parler de ses problèmes mais le redoutait également. Raymond, le doux Raymond, avait toujours été son confident. Elle aimait Alphonse du plus profond de son être mais il était parfois cruellement moqueur et cela ne l’incitait pas à lui faire part de ses états d’âme. Comme tout le monde à la cours de Toulouse, elle redoutait ses piques et ses manières ironique.
«
Vous avez commencé des négociations pour mes fiançailles. » annonça-t-elle.
Ce n’était pas une question, juste l’énoncé d’un fait brutal.
Alphonse arqua un sourcil mais se contenta de porter une coupe de vin à ses lèvres. En le voyant faire, Faydive roula des yeux. Doux Jésus, il avait déjà tant bu. Tenait-il vraiment à vomir sur les draps que les domestiques venaient de changer ?
« En effet. J’ai toujours dit qu’Adonis été trop sensible à tes yeux… Il va falloir que j’ajoute « révéler des secrets d’Etat » à la liste des choses qu’il ne peut faire avec toi »
Il lui sourit, visiblement assez fier de sa plaisanterie. Faydive ne lui fit pas remarquer qu’elle n’était pas à faire en compagnie d’une dame de qualité, surtout sa sœur, mais on parlait de l’homme qui hurlait des chansons paillardes quand il avait trop bu il fallait donc revoir ses exigences à la baisse.
«
Je peux savoir de qui il s’agit ? »
«
A quoi cela servirait-il ? »
La question était un savant mélange de sincérité et de moquerie, un mélange qu’Alphonse maitrisait à merveilles. Elle se mordit la lèvre inférieur tandis qu’il la regardait avec une expression compatissante et supérieure.
Elle ne savait pas pourquoi elle voulait savoir. Elle ne comptait pas refuser, même si l’homme s’avérait nettement plus vieux qu’elle. Le problème n’était pas le mariage, elle avait eu quatorze ans pour s’habituer à l’idée qu’on la marierait pour le bien de la famille. Le vrai problème était l’inconnu. Elle aurait aimé mettre un nom et un visage sur ses peurs. Elle aurait aimé pouvoir mieux se préparer à ce qui l’attendait et ne pas découvrir du jour au lendemain avec qui elle allait devoir passer le reste de ses jours. Elle espérait que pouvoir nommer la peur qui lui serrait les entrailles l’aiderait à surmonter ses appréhensions.
«
Tu ne comptes pas refuser ? » lui demanda Alphonse avec le ton froids qu’il employait de temps à autre.
Elle connaissait ses intonations et l’expression sévère de son visage. Il l’employait contre des vassaux récalcitrants mais jamais à son égard. Avec elle, il se montrait moqueur et cynique mais jamais froid. Au contraire.
«
Et si je prétends que oui ? »
L’insolence n’était pas dans ses habitudes mais elle n’aimait pas le voir lui donner des ordres. Elle était sa sœur, pas un chevalier.
Il se leva et lui serra doucement la main.
«
Je t’aime, petite sœur, je t’aime plus que tout. Mais je ne te laisserais pas menacer notre famille. »
Il lui fit peur, elle l'avait toujours connu gentil avec elle. Mais la lueur glacé dans ses yeux et son expression fermée la terrorisèrent.
« La famille est ce qui demeure, la famille est la seule chose qui demeure » récita Faydive «
mon mariage rendra-t-il service à notre famille ? »
Il lui sourit.
«
Je te le promets. »
Faydive eut un geste de la tête. Dans la fratrie De Toulouse, la seule chose qui comptait était la famille et la postérité, elle ne faisait pas exception à la règle. Mais elle aurait aimé, elle aurait aimé être comme les princesse des troubadours ayant le courage d’aimer ceux qu’elles souhaitaient. Mais les seules personne qu’elle pouvait aimer été ses frères.
«
Il te rendra heureuse… C’est promit. »
Il l’embrassa sur le sommet du crâne avant de se rasseoir. Aussitôt un nouveau sourire éclaira son visage comme le soleil illumine les terres de Toulouse. Il reprit son babillage d’ivrogne jusqu’à ce que Faydive ne s’endorme au fond du fauteuil.
Le vassal
Alphonse avait troqué sa tenue de voyage, du cuir noir et sans prétention, contre un surcot de soie bleu sombre, rehaussé de broderies noires. Cependant il ne s’était pas séparé de son épée qui battait fièrement son flanc. Ainsi vêtu son petit frère était impressionnant, à la fois courtisant et guerrier, il prit place à ses côtés affirmant clairement qu’il demeurait son bras droit et son homme de confiance. Raymond sourit avant de demander à ce que l’on serve son petit déjeuné. Près de lui, Alphonse plaisantait paisiblement avec un de ses principaux vassaux. Malgré la dispute qui les avaient opposés juste avant leur repas son cadet semblait de très bonne humeur. Il fallait être un observateur attentif pour constater les marques de contrariétés dans son comportement, comme par exemple sa mâchoire légèrement crispée.
Mais Raymond le connaissait mieux que personne, les deux frères avaient à peine onze mois de différences et ils avaient grandis ensemble, ils avaient subi un interminable et injuste siège ensemble, ils s’étaient battu pour savoir qui aurait le droit au plus beau poulain, ils avaient terrorisaient les prétendants de leur sœur, ils avaient taquiné les servantes. Raymond avait initié son petit frère à la virilité, avec la complicité d’une servante et il riait encore de la timidité du garçon lors de sa première fois, en tout cas d’après les dires de la servante.
Donc il savait que son frère était fou de rage, de toute façon il le lui avait bien fait comprendre en brisant violement un vase au cours de leur dispute. Il n’y avait qu’avec lui qu’Alphonse se laissait allait à ce point, qu’il montrait les émotions qu’en temps normal il contrôlait soigneusement. Raymond était fier de la confiance qu’indiquait le laissé-allé de son frère. Mais du coup, il avait conscience de plus de chose et cela lui faisait peur.
«
Petit frère, que dirais-tu d’un duel après le repas ?»
«
Ma foi, si tu ne crains pas que j’abîme la belle armure qui est la tienne. » répondit Alphonse d’un ton goguenard déclenchant quelques rires.
De fait le combat fut rude et un attroupement s’était formé pour observer les deux hommes combattre. Enfants et adolescents ils s’étaient souvent battu et se connaissaient particulièrement bien. Aussi chacun à son tour domina l’autre et le vieux maitre d’arme, celui-là même qui leur avait appris à tenir une épée, fut contraint de déclarer un match nul. Les deux chevaliers se saluèrent sous les applaudissements de la foule, très courtisane, et allèrent se désaltérer. La journée passa calmement et Raymond attendit le milieu de la nuit pour mettre fin à la bonne entente qui régnait entre son frère et lui depuis le retour de ce dernier.
Ils plaisantaient en menant une vague partie de dés lorsque Raymond lança les hostilités.
« Nous devons faire la paix avec la France. »
«
Je n’ai pas souvenir d’avoir jamais lu, une déclaration de guerre» plaisanta Alphonse. Ses yeux démentaient cependant son ton badin, froids comme la glace ils se plongèrent dans ceux de son frère qui ne cilla pas.
«
Le roi de France est mon suzerain, je lui dois obéissance et conseil. » soutint calmement Raymond.
«
Il n’a pas eu l’air de beaucoup s’embarrasser de ses obligations quand il nous a assiégé pour donner raison à sa femme. » siffla son cadet.
Il n’y avait plus la moindre trace de nonchalance dans son comportement, il ne restait plus qu’un homme froid et aigri qui avait la rancune tenace.
«
On ne fait la paix qu’avec ses ennemis, Alphonse, tu le sais bien. »
«
Mais pourquoi ces ennemis précisément ? » grimaça Alphonse
« P
arce que la Castille estime qu’elle a déjà fait beaucoup en t’élevant, parce que la Normandie est loin et le jeune Henri avide. Et parce que Louis peut être un grand roi et un excellent allié si on l’y aide. »
Calmé Edmond retrouva l’esprit vif et astucieux qui le caractérisait. Un sourire sardonique écarta bientôt ses lèvres.
«
On murmure que les relations entre Aliénor et son royal époux ne sont pas au mieux en ce moment. » fut sa première remarque alors que ses yeux s’illuminaient.
Raymond sourit, Alphonse luttait autant pour leur gloire que parce qu’il aimait la politique et les défis et visiblement il venait d’en trouver un pour le moins conséquent.
«
Ne te mets pas la belle Aliénor à dos » ordonna Raymond qui ne tenait pas à s’engager dans une lutte sans fin alors que son pouvoir était enfin fermement établit.
«
Oh, mon frère. Comment pourrais-je vouloir le moindre mal à une représentante du sexe faible ? » S’offusqua Alphonse en jonglant avec ses dès d’ivoire. «
On murmures tant de compliments sur les capacités des femmes d’aquitaines. J’ai hâte d’attester de leur authenticité. »
Raymond eut un petit rire et se laissa tomber contre le dossier de son siège. Machinalement il se mit à fredonner une comptine de leur enfance. Il se rappelait les jeux dans la cour et les farces joués au nez et à la barbe des domestiques. Que de chemins ils avaient parcouru depuis et malheureusement ces chemins avaient failli les séparer pour toujours. Le jeune homme se souvint du jour où son frère avait frôlé la mort en tombant dans un lac gelé, puis du siège et enfin de leur séparation lorsqu’à neuf ans il était parti en Castille pour quatre ans.
Ses pensées dérivèrent vers le retour définitif de son frère, suite à la mort de leur père en terre sainte. Il avait alors retrouvé un adolescent étrange à la fois charmant et méchant, bon et cruel, calme et fier. Cependant, rapidement leur complicité était revenu et dans les batailles de succession Alphonse s’était avéré être un excellent bras droit, loyal, meneur d’homme, impitoyable et fourbe à souhait.
«
Oh, il faudra aussi que l’on officialise ton titre avant ton départ. Et pense à réfléchir à ton blason. »
Pour la première fois depuis longtemps Alphonse aborda une expression poliment incrédule et Raymond éclata de rire
«
Mon ambassadeur particulier et frère adoré ne peut parcourir la France sans titre. Aussi dès demain je ferais de toi le comte de Rouergue. Il est temps de proclamer ta valeur. »
Deux semaines plus tard à Rouergue le nouveau maitre de lieux ployait le genou devant son frère et suzerain et prononça ses vœux avec une sincérité qui ému l’assemblée.
Paris, 1950L’amant et l’employeur.
Alphonse dormait paisiblement les draps couvrant sa taille mais laissant son torse puissant offert à la lumière des torches. Mélisandre contempla un moment sa peau hâlé sur laquelle se dessinait quelques cicatrices plus clair. Lorsque le vicomte de Rouergue dormait il semblait réellement avoir seize ans. En temps normal, ses expressions soigneusement étudiés le vieillissaient pour correspondre au rôle qu’il jouait en permanence. La jeune femme s’emmitoufla dans une robe de chambre de soie bleu roi, cadeau de son amant, et repoussa une mèche de cheveux flamboyante, pour embrasser le front du jeune homme. Puis elle noua ses cheveux avec une lanière de cuir blanc et se rendit dans son atelier. Contentieuse et appliquée, elle découpa les plantes ainsi que sa grand-mère lui avait appris. Son amant était un homme prudent, presque paranoïaque et il avait prit l’habitude de consommer quotidiennement de petites quantités de poison pour ne pas mourir comme son père. Et c’était elle qui préparait les filtres dont raffolait Alphonse. Parfois, elle en faisait des plus précis pour rendre un seigneur récalcitrant malade ou l’assassinait. Jamais, elle ne posait la moindre question. Il ordonnait, elle exécutait.
Alphonse l’avait sauvé autrefois, alors qu’ils vivaient tous les deux en Castille. Depuis, elle passait sa vie à son service. Le jeune homme était un maitre exigeant, quoique moins cruel que le seigneur pour qui sa grand-mère travaillait, et surtout il ne reculait devant aucune bassesse. Pourtant à chaque fois, qu’elle le voyait la jeune femme se réjouissait de sa venue. En général, il se contentait de partager sa couche quelques instants avant de lui demander un ou deux services. Mais cela suffisait à son bonheur. Parce qu’Edmond était quelqu’un d’attentif qui se souciait de sa santé et de celle de son modeste entourage. Lorsque le vicomte de Rouergue venait, il avait toujours un présent pour les enfants des logeurs de sa maitresse. Puis il l’écoutait lui raconter ce qui l’amusait ou la tracassait. Seules les personnes qu’Alphonse avait déjà écouter pouvait comprendre ce que cela faisait. Lorsqu’il vous écoutait, il ne voyait rien d’autre. Durant toute la discussion il gardait ses yeux rivés dans les votre et il fallait être insensible pour rester de marbre face à des yeux comme les siens. Tout le long de la discussion, vous étiez unique et il se souciait de vous comme personne ne s’était jamais soucié de vous. Melisandre s’était damné pour un regard pareil et elle était prête à recommencer tant elle aimait se sentir unique aux yeux de cet homme. Et de temps en temps, il arrêtait d’écouter pour parler. Il racontait ses souvenirs d’osts et de chevauchées ou la couvrait de compliment. Alphonse de Toulouse séduisait comme il respirait autant les jouvencelles qui tombaient dans ses bras, que les femmes d’âges murs qui regrettait d’avoir vieilli, quant aux courtisans ils s’amusaient des piques et saillis du vicomte.
Melisandre sentit un souffle alcoolisé frôler son épaule tandis que des mains fermes et dur, des mains de guerrier, caressait la peau de sa clavicule.
«
Je pars en Aquitaine dans deux heures et tu vas me manquer. »Souffla son amant en mordillant son oreille.
Elle se retourna mais alors que la passion prenait possession de son corps, elle réalisa qu’il mentait. Elle ne lui manquerait pas, ou si peu. Alphonse était un homme unique, admirable et elle l’aimait de toutes les fibres de son corps mais pour lui tout ce qui importait était sa famille.
L’ami et l’employeur
Adonis dévala les escaliers jusqu’à la cuisine du château de Rouergue, il manqua d’ailleurs de percuter deux lingères qui avançaient pesamment. Sans s’en soucier, il continua de courir en traversant la cour intérieure.
Enfin, il se retrouva face aux cuisinières. Sans paraitre surprise par sa présence une matrone lui remit un plateau généreusement rempli. Le jeune homme vérifia la qualité du vin, la cuisson de la viande et les pains qui étaient disposés. Puis il eut un geste approbateur tout en emmenant le plateau. Après avoir poussé la porte des appartements de son maitre, il appuya de tout son poids sur la porte menant à la chambre d’Alphonse.
Bien que le soleil n’ait pas fini de se lever, le maitre des lieux avait déjà quitté son lit, dans lequel dormait une des filles de cuisine. Le jeune homme émit un tss, tss désapprobateur avant de réveiller et de renvoyer la gamine. Puis il se dirigea vers la salle de travail de son maitre. Ce dernier lisait une lettre tout en se passant de temps en temps la main dans les cheveux, pour assurer un désordre permanent.
Malgré le froids, la pierre ne laissant pas passer la chaleur, Alphonse ne portait qu’une robe de chambre et ne semblait pas se soucier ni du vent, ni du désordre. Immobile, semblable à une statut il fixait intensément la lettre qu’il tenait et la rage faisait trembler sa main. Adonis ne dit rien et se contenta de fermer la fenêtre avant de remettre un peu d’ordre dans les papiers qui avait volés. De son côté Alphonse reposa la missive qui le contrariait tant et commença à manger. Silencieux, il fit signe à son écuyer de prendre place face à lui.
Curieux contraste entre l’homme public qui était un être solaire et jovial, et l’homme privé qui se démarquait par son caractère taciturne et secret. Adonis, habitué au bipolarisme de son maitre, ne dit rien et se servit à manger. Puis il se mit à parler pour combler le silence. Alphonse l’écouta, il avait toujours été doué pour cela. Et Adonis vit un sourire éclore sur le visage de son meilleur ami, ce dernier lança des piques de plus en plus sincère et méchante. Bientôt, Alphonse souriait de toutes ses dents et riaient avec lui au souvenir de leurs mésaventure dans le Gévaudan il y a de cela trois mois.
Ils consommèrent beaucoup de vin et convoquèrent une servante pour qu’elle leur en apporte plus. Tandis qu’Alphonse commentait le déhanchement lascif de la jeune femme, Adonis se demanda si son titre de comte avait rendu son ami plus sombre. Mais ce n’était pas la seule raison sans doute, Alphonse avait toujours été un garçon étrange.
Adonis haussa les épaules et se contenta de faire un sort au lard face à lui. Une heure plus tard, Alphonse se levait d’un bond et partait s’habiller. Pendant qu’un valet se débattait avec son surcot pourpre, le jeune homme plaisantait gaiement avec son intendant. Puis une fois prêt, il se rendit dans la grand salle pour recevoir des seigneurs en visite.
La journée passa lentement pour Adonis. Généralement deux pas derrière son ami, il le regarda gouverner et il aperçut les multiples facettes de cet homme. Sérieux et martial avec ses vassaux, il se montrait pourtant plus moqueur et cruel que son frère et modèle. Puis venait le soir, durant tout le festin, le jeune homme séduisit tout ce qui lui tombait sous les yeux et qui portait jupon. Il joua beaucoup et perdit presqu’autant, il s’enivra plus que raison et porta toast sur toast. Du coin de l’œil, Adonis aperçut les sourires entendus de ses invités. La plupart songeait qu’un guerrier alcoolique serait un piètre administrateur et un faible adversaire politique. L’écuyer sourit, ils ne pensaient que ce qu’Alphonse voulait qu’ils pensent, ce qui causerait leurs pertes.
Une heure plus tard, alors qu’il portait à moitié le comte de Rouergue sur le chemin de ses appartements Adonis se dit que le sourire de son ami n’était pas juste dût à la consommation et de vin et à la somme coquette qu’il avait gagné en pariant qu’il pouvait jongler avec des poignards. Alphonse était heureux parce que tout en s’assurant la fidélité de ses vassaux, il avait veillé à ce que ses adversaires le sous-estiment grandement.
Alors qu’il laissait tomber le comte sur son lit, c’est qu’il pesait son poids le bougre, Adonis s’aperçut que ce dernier tentait de lui dire quelque chose. L’écuyer soupira et servit un verre d’eau à son maitre avant de prendre place un peu plus loin sur le lit.
«
Mélissandre… » Articula difficilement le comte «
je dois lui trouver quelqu’un. Un gentil garçon avec une demeure au bord de la mer. Elle ne doit pas m’aimer. »
Adonis grimaça, Alphonse avait encore trop but.
«
Et Faydive, il faut… il faut que son fiancé soit gentil…où Mélissandre le tuera. Je veux qu’elle soit heureuse. »
Adonis eut un mouvement affirmatif tout en enlevant les bottes de son maitre. Ce dernier ne se laissait aller que très rarement. La dernière fois qu’il l’avait fait c’était à la mort de son père. Comme toujours dans ses moments il ne savait pas trop quoi faire, alors il accomplissait son devoir avec le plus de zèle possible.
«
Quand père est mort, je me suis juré… que je les protègerais tous… Raymond, Faydive, mère, même les batards je voulais les protéger… Je voulais protéger notre famille… Et maintenant ! Maintenant j’abandonne ma sœur, elle va me haïr. Je les trahis, tous. Tous ceux que j’aime finiront détruit parce que je suis devenu un monstre pour protéger notre famille. »
Adonis arrêta de se débattre avec la chemise de son meilleur ami pour lui serrer l’épaule. Ce dernier avait toujours été là pour lui. Troisième fils d’un vassal sans importance, Adonis était condamné à devenir un obscur chevalier et à mourir en croisade. Puis Alphonse l’avait vu et l’avait adoré. Il l’avait élevé, il lui avait donné un train de vie décent et une position puissante à la cours, il l’avait aidé à gérer son fils bâtard né il y a de cela deux mois, il s’était trainé dans le ruisseau avec lui. Maintenant, qu’Alphonse avait besoin d’aide, Adonis ne pouvait pas la lui refuser. Aussi il rassura l’adolescent et lui assura que non il n’était pas un monstre. Une heure plus tard, Alphonse dormait en ronflant légèrement et Adonis s’étira avant de remettre de l’ordre dans la chambre. Il adorait Alphonse et pouvait se vanter d’être une des rares personnes à connaitre les multiples facettes de sa personnalité. D’abord il y avait l’adolescent moqueur, un peu cruel, très cynique et joueur dont chacun admirait les bons mots et les saillis tout en lui voyant une propension à l’alcoolisme inquiétante. Puis il y avait l’homme d’état, sombre, taciturne, froids, machiavélique qui gouvernait d’une main et de fer et qu’un jour tous craindrait et pas juste parce qu’il était l’envoyé du comte de Toulouse. Et enfin, tout au fond, il y avait un garçon de 17 ans à peine, terrorisé à l’idée de faire souffrir ses proches et de ne pas être à la hauteur.
Et Adonis l’avait compris l’adolescent était nettement plus dangereux que l’homme d’Etat ou l’épicurien.